Dans le journal du Doyen Apollinaire Mewenemesse du 14 février 2024, nous avons goûté comme un conte de fée une « belle » déclaration d’amour. Comme quoi, ” À chacun sa chacune”, dit un adage populaire. Nos yeux couverts de poudre ont pu lire cet article portant sur un droit de réponse exercé par des ‘’cadres natifs de Bassar’’ qui réitèrent leur profond amour pour le régime politique de leur choix. Ils ont réagi à la suite d’un précédent article qui n’aurait pas amélioré l’image officielle de leur régime politique d’appartenance. Tout ceci est normal. Sauf que nos éminents cadres ont requis l’anonymat dans leur déclaration truffée de subjectivités qui fait d’ailleurs penser à un baiser de Judas. On se demande alors ce qui n’a pas marché. Est-ce à croire qu’ils ont vendu leurs noms au régime politique qu’ils supportent becs et ongles ? Est-ce qu’ils se sentent obligés, au nom d’un impératif de loyauté de dire tout le bien qu’ils ne pensent pas forcément d’un régime politique ?
En lisant cet article, j’ai immédiatement pensé à cet ancien Président africain qui aurait autrefois dénoncé autour de lui des « intellectuels tarés ». Sans commentaire, voilà l’exploit d’un régime politique que nous accusons d’avoir volé nos cervelles, nos mentalités, notre identité, jusqu’à nos noms. La chosification est l’une des tristes réalités d’un régime qui n’exclut aucune méthode, peu orthodoxe dans sa quête de longévité. Je dénonçais il y a très peu de temps une instrumentalisation du régionalisme à des fins politistes. Voilà que cet article tombe à pic. Nos cadres dans leur ingéniosité ont jugé bon de devoir défendre leur grande famille politique que des ”impies” auraient tenté de salir. Mais ils ont oublié exprès de mentionner leurs propres noms dans un article dont ils ont exigé eux-mêmes la parution. Ils ont certainement peur d’assumer publiquement un soutien qu’ils sont conscients de ne pas pouvoir justifier même devant leurs propres enfants.
En réalité, ils ont recours à l’anonymat sans doute pour cacher leur visage couvert de honte, et pour tenter d’apaiser leur cœur troublé qui bât de plus en plus fort, malgré cette insolente opulence dans laquelle les fait baigner leur régime, le seul par lequel ils jurent de toute leur vie. Leur conscience est troublée parce qu’ils savent que même le Ciel et la Terre témoignent contre eux. Et nos brillants intellectuels de conclure, effacés, chosifiés et anonymés par un militantisme de marchandage sur fond de régionalisme : ” tout le pays de la danse des feux reste un derrière…” leur régime. C’est cette conclusion qui me fait réagir, car elle viole le principe universel de la multiplicité. Vous avez le droit absolu de faire allégeance au régime politique de votre choix. Mais de grâce, chers intellectuels anonymes, sachez que tous les fils et filles de votre localité ne sont pas acquis à votre cause politique. Parmi eux il y a ceux qui sont morts, fauchés par la volonté de longévité d’un régime politique. Leurs esprits rôdent encore autour de leurs maisons familiales et ne sont pas favorables à votre régime. Parmi eux il y a ceux qui ont perdu leur carrière après avoir voulu dire non à l’inéquité d’un régime. Ils traînent dans vos rues, dans la pauvreté ; vous les traitez de délinquants, de vaux rien. Ils ne chantent pas de louanges à votre parti. Parmi eux encore il y a ceux qui sont en exil pour sauver leur vie et leur dignité. Ils ont fui vos diverses persécutions, votre instinct de dénaturation et la poisse de votre haine indescriptible contre la diversité. Ils sont physiquement hors de ce territoire, cette « Kiyàjatiŋ » ou encore « Terre de nos aïeux » commun que vous avez confisqué pour vous seuls par l’ardeur de votre égoïste entêtement ; mais leurs placentas vivants restent enterrés dans votre localité. Leurs esprits également hostiles à votre régime rôdent autour de leur communauté même s’ils s’abstiennent d’y remettre les pieds, par peur de votre excès de zèle rapace. Et même parmi ceux qui ont réussi à rester à contempler la danse des feux dans votre localité, il y a ceux qui ont choisi malgré eux de ”faire l’âne pour manger le foin”, tel que me recommandait un universitaire dans ce pays. Ceux-là aussi se présentent à vos meetings politiques, ils reçoivent vos kilos de riz pour nourrir leurs enfants, car ils se disent que de toute façon c’est l’argent du contribuable. Mais du fond de leurs ” cœurs endurcis ”, ils ne bénissent pas votre régime.
Après tout, notre souci n’est pas juste de réagir pour déplaire à vos beaux yeux de Saint Valentin en mode militants politiques dociles, mais de voir se rehausser un jour le niveau du débat citoyen, dans une cité où l’on croirait désormais que la médiocrité, la démesure, la vacuité font office de culture. Chers cadres ! Pour l’amour du Ciel, ne tuez pas la liberté sur l’autel d’un statu quo que vous souhaitez éternel. Vous ne rendez service ni à la République ni à l’image collective, ni même au régime politique que vous avez le droit de soutenir.
Hervé Kissaou MAKOUYA, philosophe et écrivain.