La gestion des archives définitives au Togo met en évidence une problématique essentielle et pourtant souvent négligée : la préservation de la mémoire administrative, juridique et historique du pays. Dans un contexte marqué par l’évolution rapide des technologies de l’information et une nécessité croissante de transparence dans la gestion publique et privée, les archives jouent un rôle fondamental. Cependant, au Togo, leur traitement souffre d’un cadre juridique inexistant, d’un manque de structuration et d’une sensibilisation insuffisante, tant dans les institutions publiques que dans le secteur privé.
Dans l’administration publique togolaise, la situation des archives définitives reflète un désordre préoccupant. De nombreux ministères conservent leurs documents dans des conditions précaires, souvent sans tri préalable ni différenciation entre les archives courantes, intermédiaires et définitives. Cette accumulation désorganisée, accentuée par l’absence de politiques archivistiques claires, nuit non seulement à l’efficacité administrative mais fragilise aussi la traçabilité et la conservation de l’information stratégique. L’inexistence de locaux adaptés, le manque de personnel formé et la faiblesse de la coopération avec les Archives nationales aggravent encore cette situation. Le cadre juridique, quant à lui, reste flou : il n’existe aucune loi nationale sur les archives, seulement quelques circulaires ou arrêtés internes, sans portée contraignante. Dès lors, les administrations ne sont ni incitées ni contraintes à verser leurs archives aux institutions compétentes, ce qui compromet sérieusement la gestion à long terme de la mémoire publique.
Face à ce constat alarmant, quelques initiatives méritent toutefois d’être saluées. Certains ministères, à l’instar de ceux de l’Économie et des Finances ou de la Justice, ont entrepris des efforts pour intégrer la dimension archivistique dans leurs réformes de gestion documentaire. Ces actions, bien que limitées, témoignent d’une prise de conscience progressive de l’importance des archives dans la gouvernance et l’efficacité institutionnelle. Mais elles restent insuffisantes tant que le cadre législatif et organisationnel général n’est pas renforcé.
Le secteur privé, de son côté, présente un tableau encore plus contrasté. Les grandes entreprises structurées, en particulier dans les secteurs bancaire, assurantiel ou technologique, disposent pour la plupart de systèmes de gestion documentaire formalisés. Certaines utilisent des logiciels de gestion électronique de documents et appliquent des politiques internes de conservation à long terme. Ce professionnalisme s’explique souvent par une culture d’entreprise importée de groupes internationaux, soucieux de conformité et de traçabilité. À l’opposé, la majorité des petites et moyennes entreprises togolaises restent peu sensibilisées aux enjeux de l’archivage. Par manque de moyens ou de formation, elles stockent leurs documents de manière informelle, parfois dans des conditions mettant en péril leur intégrité. L’absence totale de réglementation spécifique applicable au secteur privé laisse ces entreprises libres de détruire ou de négliger leurs archives, contribuant ainsi à une fragilité chronique de leur mémoire institutionnelle.
Dans ce contexte de vulnérabilité généralisée, il devient urgent pour le Togo de repenser en profondeur sa politique archivistique. Les archives définitives ne sont pas de simples documents administratifs : elles sont les garantes de la mémoire nationale, de la continuité de l’État, de la transparence de la gestion et de la protection des droits des citoyens. Leur valeur historique, juridique et stratégique impose un encadrement légal clair et rigoureux. L’adoption d’une loi sur les archives, couvrant à la fois le secteur public et privé, devient une priorité. Elle doit être accompagnée d’une politique nationale cohérente, de la formation des professionnels du domaine, ainsi que de la mise en place d’infrastructures adéquates pour la conservation physique et numérique des documents.
La transition numérique actuelle, loin de rendre les archives obsolètes, en renforce au contraire la complexité. Il est désormais impératif d’anticiper les nouveaux défis liés à la conservation des données électroniques, à l’authenticité des documents numériques et à leur accessibilité sur le long terme. Sans législation adaptée, le pays court le risque de voir une partie précieuse de sa mémoire disparaître dans l’indifférence, faute de politiques publiques adaptées à cette nouvelle réalité.
En somme, le Togo se trouve à la croisée des chemins. Il peut choisir de continuer à ignorer les signaux d’alerte et risquer une perte irréversible de son patrimoine documentaire, ou bien engager une réforme ambitieuse pour assurer la sauvegarde de sa mémoire collective. Il en va de l’histoire du pays, de la transparence de son administration et de la transmission de son héritage aux générations futures.
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0080 du 02 juillet 2025