Les citoyens togolais rencontrent de plus en plus de défis dans leurs vécus quotidiens. Tout parait hypothéqué. Tellement les implications des décisions, des mesures et des inactions des gouvernants actuels portent les germes d’implications multiples, multiformes et gageant. Alors que les défis et enjeux socioéconomiques des prochaines décennies s’annoncent complexes et variés. Il faudrait une prise de conscience des dirigeants, qui doivent se faire violence au-delà de leur confort individuel pour opter principalement pour la poursuite du bonheur collectif. En d’autres termes, il faudrait plus de frugalité et donc moins d’insatiabilités égocentriques.
Contre toute attente, les Togolais apprenaient en ce début de 2025 que les immeubles abritant les sièges sociaux de l’Union togolaise de banque (UTB) et d’IB Bank, l’ancienne Banque togolaise pour le commerce et l’industrie (BTCI) privatisée en 2021, ont été rachetés par le gouvernement en 2024. Et rebelote, le coût du rachat du seul siège de l’UTB s’élèverait à 31 milliards de FCFA, selon Togo First. Un article d’un journal Burkinabé « economistedufaso.com » du 22 janvier 2024, oui l’information remonterait à un 1 an déjà, annonçait que l’État du Togo avait mobilisé près de 66,9 milliards FCFA pour pouvoir conduire une activité de titrisation, donc d’acquisition, des biens immobiliers de l’UTB) et du siège social de IB-Bank. Et si on fait deux moins un, en soustrayant les 31 milliards qu’aurait coûté la titrisation du siège de l’UTB du total de 66,9 milliards, il reste 35,9 milliards de FCFA (66,9 – 31). Par conséquent, le coût de la titrisation du siège de l’ancienne BTCI, maintenant IB-Bank serait de 35,9 milliards de FCFA.
En 2021, l’État togolais s’était départi de 90% des parts de la BTCI sans plus de détails. Ce n’est acculé par les députés, que le ministre de l’Économie et des Finances d’alors, Sani Yaya, finira par révéler le 28 décembre 2021 que la cession par l’État de 90% des parts de la BTCI avait rapporté 6,435 milliards de FCFA. Le ministre adjoindra que cette cession répond à la « volonté de nouer des partenariats avec le secteur privé pour accélérer la croissance économique ». Entre temps en 2024, l’État togolais aurait racheté seulement l’immeuble pour environ 35,9 milliards de FCFA. Dans cette optique, ce coût de titrisation en 2024 de l’immeuble de l’annecienne BTCI (35,9 milliards) représenterait donc 5,6 fois la valeur de cession des 90% de la capitalisation de la BTCI en 2021, et cela en moins de 4 ans. Expliquez-nous, comment est-ce possible? Et qu’est-ce que cacherait toute cette gymnastique?
L’immeuble de l’UTB qui se retrouverait ainsi objet de 2 opérations de titrisations simultanées
Il s’agit du contrat SUKUK signé avec le FCTC valide de 2016 à 2026 et cette opération de rachat des sièges de l’UTB et de la BTCI/IB-Bank.
Pour mieux saisir l’imbroglio financier dans lequel le Togo est plongé, qu’est-ce qu’une titrisation? La titrisation est l’opération par laquelle un fonds commun de créances acquiert, soit directement auprès de tiers cédants, soit par l’intermédiaire d’un autre organisme habilité pour ce faire, des créances, ainsi que les sûretés, garanties et accessoires y afférents, en finançant cette acquisition par l’émission de titres négociables représentatifs d’un intérêt pro rata dans l’actif du fonds, dont la souscription et la détention est ouverte aux investisseurs qualifiés ou au public. Certaines sources évoquent aussi la possibilité que ce soit une transaction isolée et par conséquent la dette qui en résulte ne figurerait pas au bilan du cédant. Probablement que les autorités togolaises auraient pris ce dernier aspect au mot, en voulant multiplier ces opérations sur un même objet. Autrement, comment peut-on avoir 2 titrisations concomitantes sur le siège de l’UTB?
La 1ère titrisation en 2016 de l’immeuble de l’UTB : le contrat SUKUK de titrisation de créances sous le nom de “FCTC Sukuk- État du Togo 6,5% 2016-2026
Selon le document de cet accord SUKUK, en 2016 le Togo souhaitant mobiliser un financement de 150 milliards de FCFA sur le marché financier de l’UEMOA a par l’entremise d’un Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC) signé un « SUKUK État du Togo 6,5% 2016-2026 comportant 15 600 000 titres à 10 000 FCFA émis, pour une capitalisation boursière de 156 milliards de FCFA avec une jouissance fixée au 18 octobre 2026. Le Togo en est le débiteur et la Banque Islamique du Sénégal, le dépositaire du Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC). Le contrat stipule entre autres que l’État togolais agissant comme vendeur par l’intermédiaire du Ministère de l’Économie, des Finances et du Plan a vendu au FCTC l’usufruit (l’Actif SUKUk) pour une durée de 99 ans sur certains actifs décrits « les Biens Objets de l’Actif SUKUK » en vertu du Contrat de Cession et d’Acquisition. Il s’agit de 12 immeubles publics, incluant l’immeuble de l’UTB estimé alors à 12,973 milliards de FCFA (voir le premier tableau ci-dessous), que l’État met en garantie et pour lesquels l’État togolais doit payer des loyers pour un total de 217,635 milliards de FCFA au terme de 10 ans (2016-2026).
De fait, l’État s’est engagé irrévocablement en vertu du Contrat de location à ce que, tant qu’une part quelconque n’a pas été réglée, il veillera, entre autres choses, à ce que l’état des biens Objets de l’Actif SUKUK soit à tout moment raisonnable inspecter et examiner; de garder et maintenir les biens objets de l’Actif SUKUk en conformité avec les dispositions du contrat de Location; de s’abstenir de vendre, céder, créer une quelconque Sûreté sur tout ou partie des biens objets de l’actif SUKUK autre qu’une Sûreté légale ou autrement permise par les termes des Documents de Transaction. Les détails des paiements de loyers dans le 2e tableau ci-dessous. Subséquemment, le Togo aurait payé en 2019 un peu plus de 32,147 milliards de FCFA de loyers au FCTC à titre de loyers sur les 12 immeubles titrisés; 30,736 milliards en 2020, ainsi de suite. En cette année 2025, ce sont 23,681 milliards de FCFA de loyers que le Togo doit honorer sur les 12 immeubles, et 22,275 milliards l’année prochaine, 2026. Et ceci si le contrat a été honoré jusqu’à présent. Décidément, l’on s’endette par toutes les manières inimaginables, sans que les citoyens observent ce pour quoi on le fait.
Quel état de situation du Togo dressent certains milieux financiers et organisations internationaux?
Malgré ce contexte de micmac de toutes sortes, le chef de l’État du Togo déclara dans ses Vœux du Nouvel An 2025, entre autres, « Je me réjouis que la communauté internationale ait reconnu la qualité de l’action économique du Togo ». De plus, le gouvernement togolais est dans la fétichisation du taux de croissance. Est-ce de l’aveuglement volontaire ou quoi ou simplement « machiavélien » ? Dans cette optique, que de budgets nationaux au Togo n’ont été affublés d’épithètes les plus ésotériques sans que le citoyen lambda n’en trouve pour son compte. La question fondamentale reste « qu’est-ce qui croit? ». La croissance économique n’est rien d’autre que la variation du produit intérieur brut (PIB) dans le temps. Et ce PIB peut bien être soit par les dépenses, ou les revenus ou encore par la valeur ajoutée. Dans le cas du Togo, on serait plus dans la sommation des dépenses, et encore que de prestige.
En revanche, le développement économique est une suite logique de transformations structurelles (économique, socioculturelle, politique, etc.) d’une entité ou d’un pays. C’est ce qui est requis, principalement pour les pays à construire, à développer comme le Togo.
Le rapport « perspectives économiques en Afrique 2024 » du groupe de la Banque africaine de développement (BAD) mentionne à propos du Togo que l’activité économique demeure faible, la croissance du PIB réel passant de 5,8 % en 2022 à 5,6 % en 2023, sous l’effet de l’évolution du secteur agricole contribuant à hauteur de 1 point de pourcentage à la croissance du PIB, de l’industrie qui y contribue pour 2 points de pourcentage) et des services pour 2,6 points de pourcentage.
Quant à la direction du trésor français, le déficit budgétaire du Togo est à 6,6 % du PIB en 2023 et demeure élevé, et même s’il s’est réduit par rapport à 2022 qui était de 8,4 % du PIB. Il est projeté à près de 5% en 2024 (4,8%) et reste encore loin de la norme communautaire (UEMOA) de 3 % du PIB à l’horizon 2025. Par rapport à la dette publique du Togo, la direction du trésor français estime qu’elle s’est aggravée pour atteindre 68 % du PIB, soit 3 707,8 milliards de FCFA en fin d’année 2023; alors qu’elle était de 62,2 % du PIB en décembre 2020. Cette dette est composée dans une proportion de 61,4 % de dette intérieure quasi exclusivement formée de titres d’États émis sur le marché sous-régional.
La fiche pays sur le Togo de « COFACE for trade », un groupe de gestion du risque de crédit commercial au niveau mondial, attribue au Togo un « C » pour le risque pays. Elle fait état d’un environnement des affaires déficient, de forts taux de chômage et de pauvreté (30,6% de la population en situation de pauvreté) en 2022, une déficience des infrastructures agricoles, des infrastructures d’éducation, de santé publique, et de transport insuffisantes, de faibles progrès en matière de gouvernance et particulièrement en termes de lutte contre la corruption. Concernant le niveau d’endettement, cette fiche indique un rapport dette/PIB de 67,4% en 2022; 68% en 2023; 70% en 2024 et une estimation de 69% pour 2025.
Sur un plan plus global, les analyses perspectives du spécial report de « The Économist » publié le 6 janvier 2025 souligne qu’en 1960 le revenu par habitant en Afrique était environ la moitié de la moyenne du reste du monde. De plus l’Afrique était à peu près au même niveau que l’Asie de l’Est. Par contre aujourd’hui, ce rapport revenu par habitant en Afrique par rapport au reste du monde est d’environ un quart. Et les revenus moyens des habitants de l’Asie de l’Est sont sept fois supérieurs à ceux de l’Afrique subsaharienne. En quelque sorte, nos pays stagnent ou reculent au moment où les autres bougent, avancent ; et encore plus le Togo. Ce rapport estime que sur la base des tendances actuelles, les Africains représenteront plus de 80 % des pauvres dans le monde d’ici 2030, alors qu’ils n’en représentaient que 14 % en 1990. Ainsi, dans la majeure partie de l’Afrique, la croissance de la productivité reste faible. À cette allure, la jeunesse africaine ne deviendrait pas la force de changement qu’elle devrait être. Le bonus démographique pourrait se transformer en un handicap. Le Togo est à ce niveau actuellement. Face à ce consta, tout dirigeant patriote et visionneur devait déchirer sa chemise et se mettre au travail, mais hélas.
L’habitude étant une nature, face à la critique, le pouvoir de Lomé annonce avoir dans le cadre des réformes engagées avec le Fonds Monétaire International (FMI) ordonné un audit de 6 sociétés, dont la SNPT, le PAL, la CEET la TdE, la LONATO et l’UTB. L’objectif de cet audit serait supposément de clarifier la gestion et les performances des sociétés d’État. Mais les résultats de cet audit ne seraient disponibles qu’en 2026, et encore là! Ça va donner quoi cette fois-ci? Ah en passant, on est portant «fatigué, fatigué…» de ces organisations, mais pour un simple audit de bonne gouvernance, il faut leur faire appel. Paradoxalement, au Togo, la liste des scandales est interminable et se rallonge année après année. Et il y a toujours eu des audits, des enquêtes, des rapports, mais qui n’aboutissent pas en des actions correctrices ou dans un processus d’amélioration continue.
Il faut préférablement une vision afin de pouvoir redonner le sourire aux citoyens et léguer un héritage, de projets et d’espoir aux générations à venir, surtout dans une Afrique à la recherche d’une masse critique de leaders panafricains et engagés pour leurs peuples. Il est temps de changer la direction de la barque pour le bien commun.
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » numéro 0070 du 19 février 2025