Florence Aubenas et Miguel Benasayag écrivaient dans le livre, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication : « Aujourd’hui, il n’est plus que quelques dictateurs perdus ou une poignée de corrompus pour être convaincus qu’un gros titre dans la presse pourra ébranler leur empire et qu’il leur faut couvrir d’ombre leurs actions ».
Indubitablement, les autorités togolaises ont fini par perdre le véritable combat qui mérite d’être mené, celui du développement social. Pour camoufler les échecs, la gouvernance fait recours à la terreur sous toutes ses formes pour museler les voix discordantes. C’est exactement ce que Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan décrivait dans son essai Crise d’autorité, abus de pouvoir.
Et pourtant, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), l’organe de régulation des médias s’était déjà autosaisie dès la publication de l’article paru dans le numéro 1185 du 28 février 2024, en infligeant une lourde peine de trois (03) mois de suspension au journal, selon l’article 64 du Code de la presse de la communication en vigueur au Togo, à compter du 4 mars 2024, pour violation des « règles de déontologie et d’éthique de la profession de journaliste et d’autres manquements professionnels ». Une peine déjà très lourde, si l’on considère que le journal « La Dépêche » et son directeur de publication Apollinaire Mewenemesse, n’avaient jamais reçu, au paravent, de mise en demeure, ni d’avertissement formelle comme l’exige le même code. Car, au terme de l’Article 58 : « En cas de non-respect des obligations imposées par les textes législatifs et réglementaires, la HAAC met en demeure les titulaires d’autorisation d’installation et d’exploitation d’une entreprise de communication audiovisuelle ou met en garde les titulaires de récépissé de parution de publication nationale et en ligne. La HAAC rend publique ses mises en demeure ou mises en garde. Elle applique les dispositions des articles 61, 62 et 65 en cas de non-respect des dispositions des articles 27, 48 et 54 de la présente loi ».
Ce qui est dommage est que la HAAC motive ses sanctions par des communiqués qui ne remplissent pas les mêmes conditions que la « mise en garde et mise en demeure » que le législateur a pris soin de marteler.
C’était contre toute attente qu’une information relative à une nouvelle convocation du directeur de publication de « La Dépêche » a pris d’assaut la toile le 22 mars dernier. Et cette fois-ci, à se présenter à la Brigade de recherches et d’investigations (BRI) du Togo, le mardi 26 février 2024. Cette BRI qui par sa célébrité est devenue « un chemin de non-retour » pour les journalistes togolais, va confirmer la règle plus tard par une privation de liberté de 72 heures de garde à vue suivie d’un mandat de dépôt. Le confrère est visé par sept chefs d’inculpation pour l’article sur le meurtre du colonel Bitala Madjoulba, un proche du président Faure Gnassingbé qui a été tué par balle dans son bureau en mai 2020 et dont l’inhumation a eu lieu le 08 mars 2024 à Siou (Niamtougou), son village Natal.
Ainsi, celui qu’on appelle affectueusement le Doyen de la presse togolaise, Apollinaire Mewenemesse est jeté en prison sur instruction du doyen des juges d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Lomé et risque jusqu’à 30 ans de prison. Selon son avocat, Apollinaire Mewenemesse est visé par « sept chefs d’inculpation », dont « conception et publication de nouvelles fausses aux fins de susciter la population ou l’armée à se soulever contre l’Etat », « apologie contre la défense nationale et la sécurité de l’Etat », « publication par voie de presse écrite d’un écrit ayant porté atteinte à l’honneur, à la dignité et à la considération du président de la République », a précisé Me Darius Atsoo.
Bien évidemment, l’étau se resserre autour des journalistes et les médias togolais surtout la presse papier en ce moment de coup d’Etat institutionnel pour un passage périlleux de la IVème à une fameuse Vème République, que d’aucun qualifie de monarchique.
Rappelons que c’était la même BRI qui avait connu les affaires des confrères Ferdinand Ayite, Joël Egah, Isidore Kouwonou, Loïc Lawson, Anani Sossou…
Le septuagénaire de la presse Apollinaire Mewenemesse, aurait-t-il dû faire le choix ultime de franchir les frontières comme l’avaient fait d’autres confrères ou également imité le nonagénaire Mgr Philippe Fanoko Kpodzro pour enfin revenir par fret après la mort. Ce qui arrive aujourd’hui au confrère Apollinaire Mewenemesse ressemble à ce conte dans lequel « un grand chasseur qui a tué un Lion et un Buffle mais se fait mordre par un crabe mort ». Car, faire plus de 30 années d’exercice dans la presse libre et indépendante au Togo, c’est-à-dire depuis Eyadéma et surtout quand on est originaire d’un certain coin du Togo. Le feu Charles Kondi Agba le savait certainement en donnant cette caricature fâcheuse lors des grèves des hospitaliers en 2011 « Les Kabyès ne font pas grève ». Mais comme tant d’autres, Mewenamesse en vaillant fils du terroir, a défié le serviteur qui voulait faire croire que « Les Kabyès ne peuvent revendiquer aussi leurs droits par la plume ».
En effet, le parcours du confrère Apollinaire Mewenemesse a été jalonné de plusieurs soubresauts. Cet nième « Prisonnier de la République » puisqu’il s’agirait d’une auto-saisine du Ministère Public, sinon des « enfants spirituels » de feu Abdou Assouma et non une plainte de ses « enfants nucléaires », comme la rumeur qui avait couru les rues. Ce journaliste fut le premier à avoir annoncé comme une parole biblique, dans les colonnes de « La Dépêche » dans les années 2000, le scénario Faure Gnassingbé candidat à la députation pour la succession. Ce qui s’est d’ailleurs accompli comme une parole d’Évangile. À l’époque, sous le prétexte d’un autre article paru à la Une du même numéro, mais relatif aux Forces Armées Togolaises (FAT), le patron du journal avait été convoqué par les Hommes en uniforme. C’est ainsi que le jeune Apollinaire Mewenemesse, fort de ses jambes de la quarantaine avait pris la poudre d’escampette. C’était la belle époque où « Kabyès » vivaient la fraternité naturelle. Et grâce à une solidarité des frères (autorités coutumières, cadres militaires et civils…), les diligences ont été faites en direction du Général Gnassingbé Eyadéma. Ce qui avait permis au « prophète » Apollinaire Mewenemesse de sortir de son maquis pour reprendre sa plume, le sacerdoce.
La nouvelle donne est que depuis la mort du Général Eyadéma et à la suite de l’emprisonnement de Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du président Faure, la plume de « La Dépêche » est demeurée la même. On le voyait plus proche du prisonnier Kpatcha Gnassingbé. Et qui est proche de Kpatcha Gnassingbé doit de facto se mettre loin du Général Félix Abalo Kadangah (tête du commando de la fusillade de la nuit pascale de 2009). C’est aussi une évidence que l’ancien président de la Cour constitutionnelle considérait Essozimna et Kpatcha comme ses propres enfants. Aussi, feu Abdou Assouma était connu pour son franc parlé. Il s’était beaucoup investi pour la mettre fin à la « guerre » des frères, mais hélas. Parfois, le vieux magistrat se laissait guider par le sentiment comme lors de la prestation de serment pour le deuxième mandat de Faure en 2010 quand il disait en ces termes : « (…) cette prestation de serment est une épée de Damoclès sur votre tête », dixit Abdou Assouma. On se rappelle aussi de la dernière de 2020 relative à des « menaces » à l’endroit de son compère Mgr Kpodzro qui a plus fait le buzz. Et c’est une réalité que tous ces acteurs se connaissent très bien et chacun connait son joueur.
Aujourd’hui, dans cette affaire qui oppose le ministère public au journal « La Dépêche », il réside une zone d’ombre autour de cette « lettre à titre posthume de Abdou Assouma ». Car jusqu’ici, le procureur de la République, Mawama Talaka et son parquet ne sont pas encore parvenus à situer l’opinion sur l’origine de la fameuse lettre. Ce document qui est tombé dans le domaine public depuis plus de trois mois. C’est aussi curieux de constater que depuis l’apparition d’un document sur les différentes plateformes numériques et qui incrimine directement les premières autorités du pays, la justice togolaise qui s’est spécialisée dans l’auto saisine n’a rien fait pour retrouver les traces afin de déterminer les tenants et les aboutissants… Et il fallait alors qu’un journaliste s’en serve pour crier « Oh voleur ! ».
Bien entendu, personne ne dit que le journaliste est un citoyen extraordinaire donc un intouchable pour se prendre comme pour Zorro, le justicier masqué. C’est la raison pour laquelle la corporation des médias est cadrée par des lois qui s’appliquent au professionnel lorsqu’il est en faute. Il y va de l’intérêt commun car, sans liberté d’expression et de la presse, il n’y a pas de démocratie. Si le citoyen est mal représenté, si ses options sont trahies par les élus politiciens, on ne tiendra guère compte de principes d’intérêt général dans la législation concernant l’information : le pouvoir se contentera de réglementer et d’encadrer l’exercice de l’information, évidemment le plus souvent à son profit. Le média et le journaliste sont donc régis par la loi dont il faut rappeler que, si elle est bien faite, dans un pays moderne et démocratique, « c’est l’anarchie qui opprime, et c’est la loi qui affranchit. » Reste que c’est en ce sens qu’on peut penser, dire et écrire qu’un pays a la presse qu’il mérite. Le niveau de la presse reflète celui de la démocratie.
Pour Florence Aubenas et Miguel Benasayag, l’étalage médiatique de la force fait désormais partie de l’arsenal de répression ou de dissuasion. Un pouvoir qui agit ouvertement, même dans l’injustice, sera crédité d’au moins une valeur : la transparence. Ce n’est pas rien, c’est même l’essentiel. Un homme ou un État « transparent » ne peut être tout à fait mauvais, pense-t-on. Le terme vit d’ailleurs, une existence brillante. La transparence s’est aujourd’hui imposée comme la norme centrale de notre société. La figure du bien passe par le fait de pouvoir être montré. Plus généralement, pour qu’une situation puisse être exposée, il faut qu’elle soit avant tout représentable, qu’elle puisse apparaître. La presse s’est fait le gendarme de cette norme. Par là, elle contribue à construire et reconstruire chaque jour le monde.
La place du citoyen Apollinaire Mewenemesse, comme toute autre personne privée de Liberté ne s’aurait être un lieu de détention.
Toutes nos pensées vont vers toi, doyen Mewenemesse, ton nom qui signifie littéralement ” Je suis avec mes yeux” ou au sens propre “Je suis toujours vivant”, force et courage à toi.
Bon nombre dans ce petit rectangle et sur cette terre verront ce temps tant espéré car, dans le Togo de demain se retrouve une grande partie du présent.
La rédaction
« TAMPA EXPRESS » numéro 0055 du 11 avril 2024