« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». Winston Churchill
Pour ceux qui ne sont pas au courant et ceux qui ont depuis longtemps cessé de prêter attention à ce qui se passe dans notre rectangle de Togo, messieurs le Président de la République Faure Gnassingbé et son Ministre des Affaires Étrangères Robert Dussey organisent un sommet international de haut niveau « sur la gestion des transitions politiques et la lutte contre le terrorisme au sahel et en Afrique de l’ouest ». Initialement prévu pour le 21 avril, un communiqué du ministre Dussey en date du 11 avril 2022 fait état d’un report du sommet à une date ultérieure.

Oui, vous avez bien compris : le régime militaire du Togo dirigé par Faure Gnassingbé organise un sommet sur les « transitions politiques », un phénomène de plus en plus fréquent dans la région depuis 2020, avec le renversement, suivi de régimes de transition, de trois sous-préfets de la France : Ibrahim Boubacar Keita (IBK) du Mali, Alpha Condé de Guinée et Roch Christian Kaboré du Burkina Faso.
A y regarder de près, ce sommet confirme la marque déposée du régime militaire qui régente le Togo depuis des décennies: l’organisation de sommets internationaux coûteux comme le train de vie de Louis XIV, pour faire oublier ses carences et sa médiocrité dans la gestion des affaires et son échec à offrir une vie digne aux Togolais. Tenez, il y a quelques semaines, le régime venait d’organiser un sommet lui aussi international sur la « sécurité numérique », de quoi faire rire les Russes. Depuis le règne du père Gnassingbé, ces conférences internationales sont la seule carte dont dispose le régime pour obtenir une visibilité là où d’autres pays se font remarquer par la lutte contre la corruption, le développement industriel et des innovations en matière d’une gouvernance juste et équitable vis-à-vis de leurs citoyens.
Faure et Dussey, serviteurs zélés d’un régime militaire vieux de 59 ans organisent donc un sommet sur les transitions politiques, dans un pays dont la véritable expérience avec une transition politique date d’il y a 30 ans (1991 – 1992), transition qui fut si chaotique qu’aujourd’hui les Togolais en parlent plus comme d’un détail de l’histoire plutôt que d’une référence politique. Chaotique, elle le fut, car le régime militaire en place depuis 1963, faisant pour la première fois l’expérience du partage de prérogatives et de la perte de privilèges qu’il croyait éternels, se dressa dans toute sa laideur et sa férocité pour reprendre tous les pouvoirs, n’hésitant pas à attaquer la primature et le parlement de transition, et posant tous les actes visant à déclencher une guerre civile au Togo, un chantier dans lequel le régime échoua lamentablement – heureusement pour le Togo.
Pour certains observateurs, le sommet Faure-Dussey sur les transitions politiques est un sommet « sans enjeu », un folklore de plus, nonobstant les milliards qui seront engloutis pour épater les invités en quête de chaleur et de chaire tropicale, le tout aux frais du contribuable togolais. Pour le binôme Faure et Dussey qui cherche désespérément à se faire remarquer dans un monde qui ne remarque plus des oiseaux de leur carrure, ce sommet est une bouffée d’oxygène au sortir de la pandémie du Covid-19.
Cela appelle à certaines questions : Par ce sommet, Faure et Dussey tentent-ils de dompter le diable des coups d’état suivis de transitions? Organisent-ils ce sommet parce qu’ils veulent agrandir leur trousse à outils sur comment prévenir les coups d’état et les transitions politiques ? Est-ce plutôt parce qu’ils ont des solutions aux divers questionnements relatifs aux transitions en Afrique de l’ouest ? On ne le sait pas encore, mais comme on dit, le diable est dans le détail. Quoiqu’il en soit, Faure et Dussey étant les bénéficiaires du triple coup d’état de février 2005 et de l’empêchement d’une transition politique pacifique au Togo, ils sont les dernières personnes qu’on verrait aux manettes d’un tel sommet.
Au-delà de l’absence des enjeux mondiaux, le sommet est une perche tendue, volontairement ou involontairement, par Faure Gnassingbé lui-même à son opposition, ou plutôt à ses opposants. Pourquoi ? Parce que ce sommet est l’opportunité inespérée que les opposants togolais ont pour situer leur peuple et le monde sur leurs propres plans de transition politique pour le Togo à la fin du régime militaire qui régente le pays depuis 1963.

Pour ceux qui se rappellent encore des débats qui ont agité les opposants togolais alors regroupés dans la C14 dans la foulée du 19 août 2017, il était question de réformes politiques, du départ de Faure Gnassingbé du pouvoir et de l’ouverture d’une transition politique devant aboutir à un changement de régime au Togo, ce qui aurait été une première depuis 1963. Eh bien, seules les réformes ont été obtenues a minima, le reste fut enterré et par le régime et ses parrains de la CEDEAO qui jouèrent un rôle trouble pour protéger un membre du syndicat des chefs d’État.
Toutefois, la CEDEAO a pu aisément réussir sa forfaiture parce que d’importantes questions adressées aux opposants, notamment sur un plan de transition politique, sont restées sans réponses de la part de ses interlocuteurs. Depuis les débuts de la démocratisation en 1991, il est de notoriété publique que lorsque les opposants togolais scandent un slogan comme « alternance », « changement », « transition » et cetera, cela ne s’accompagne pas d’un plan visible de la gestion de la période d’alternance, du changement, ou de transition.

Cela étant, ce sommet organisé par Faure et son ministre Dussey est une belle occasion pour l’opposition – ou plutôt les opposants togolais, puisqu’ils aiment s’affirmer individuellement – de rendre enfin visible leur plan de transition politique pour le Togo, et de prendre le régime de court, à son propre jeu. Même si chaque opposant présentait un plan de transition, ce serait quelque chose de gagné pour le Togo.
Pour une fois, au lieu que les opposants mobilisent de maigres ressources pour faire le tour des capitales du monde pour vendre leur vison d’une nécessaire transition politique au Togo, Faure Gnassingbé et Robert Dussey leur offrent gratuitement l’opportunité de rencontrer tous ceux qui s’intéressent aux transitions politiques dans la sous-région, ceux dont les voix comptent sur la question de ces transitions, le tout en un seul endroit, à Lomé ou virtuellement.
Recevoir un tel cadeau, quoique involontaire, de l’adversaire politique qu’on veut chasser du pouvoir, c’est une opportunité qui ne se présente pas deux fois dans la carrière d’un homme politique, et les opposants togolais doivent saisir la perche qui leur est tendue par l’homme qu’ils rêvent de dégager. Car comme disait Ali, Calife musulman du 7eme « l’opportunité est prompte à s’enfuir, mais longue à revenir».
A. Ben Yaya