La démocratie, c’est un peu compliqué quand on n’est ni éduqué ni cultivé. Aristote (384-322 av. J.-C.) laissait deviner ce diptyque depuis des temps immémoriaux en écrivant : “_Un esprit éduqué comprend une pensée différente de la sienne sans avoir à l’accepter_”.
La Loi de l’Assemblée Nationale et le Décret du Président Macky Sall traitant des élections présidentielles sénégalaises du 25 février 2024 sont invalidés par le Conseil Constitutionnel. Explosion de satisfaction plus que populaire, sauf bien entendu dans le camp de ceux dont les copies ont été recallées mais seulement recallées. Les copies recallées devront en effet être reprises pour une organisation des élections présidentielles dans les meilleurs délais par les autorités concernées.
Mais avant, le Conseil Constitutionnel était accusé par un opposant écarté des présidentielles, Karim Wade, de compter dans ses rangs des corrompus, et par un autre, en prison celui-là, Ousmane Sonko, de prendre en otage tout un pays en étant aux mains de sept citoyens à la solde de l’exécutif ; Ousmane Sonko appelle, avec des propos véhéments et subversifs, à son démantèlement. Après donc un opposant pétitionnaire et un opposant fasciste, voilà que le Chef de l’État Macky Sall s’emploie lui-aussi à provoquer le Conseil Constitutionnel et des tollés conséquents par une adresse surprenante à la Nation reportant sine die les élections présidentielles.
Au Sénégal, Opposants en vue comme Président de la République en fonction ou ex font tous du Conseil Constitutionnel un souffre-douleur. Vingt et un ans auparavant, le 15 mai 1993, son Vice-Président, par ailleurs avocat et Député-maire de Saint-Louis, a même été assassiné au lendemain d’élections législatives tendues, confrontant la formation politique d’Abdoulaye Wade, alors dans l’opposition, à celle d’Abdou Diouf alors Chef de l’État sortant. Les manifestations de rue et déclarations à caractère politique furent aussi très violentes.
Le Conseil Constitutionnel du Sénégal est une institution surexposée à un climat politique habituellement difficile, parce que véritablement compétitif, laissant penser (à tort) qu’il n’est de service qu’en périodes électorales. En périodes électorales en substance, il est attendu de cette institution qu’elle ruse du droit sans en abuser, rappelle à l’ordre judiciaire sans esprit partisan et participe avec sagesse et responsabilité à la décrispation du climat social en faisant jurisprudence si nécessaire.
Le Président Macky Sall, qui a ordonné le désordre, a ainsi reçu un carton jaune qui ne compte pas vraiment puisqu’il lui est juste demandé de reprendre le texte de son décret en s’assurant que celui-ci organise les élections présidentielles dans les meilleurs délais (et non les plus brefs). En d’autres termes, juridiques et élégants, ce n’était pas à lui de reporter de jure les présidentielles du 25 février 2024, même si de fait un report était d’un quelconque intérêt. C’est à rappeler un Président Abdoulaye Wade qui voulait, après douze années au pouvoir, rempiler pour un troisième mandat inconstitutionnel aux yeux de l’opposition ; qu’à cela ne tienne et pour un climat politique apaisé, le Conseil Constitutionnel a laissé en son temps les urnes trancher et servir une défaite mémorable à l’intéressé.
Retoquer une loi de l’Assemblée Nationale pour cause d’inconstitutionnalité, comme l’a fait le Conseil Constitutionnel, est juste une invite à la reprendre le cas échéant en conformité avec les dispositions constitutionnelles : au demeurant, aucun député n’est sanctionné ni ne court de sanction, ni morale, ni intellectuelle, ni pécuniaire, ni rien d’autre pour un travail mal fait.
Au final et afin que la Cité n’étouffe de laisser-aller, le Conseil Constitutionnel convie la Présidence de la République du Sénégal à faire le nécessaire dans les meilleurs délais pour convoquer le corps électoral, le Parlement à être plus attentif dans ses délibérés aux dispositions constitutionnelles et l’opinion publique à prendre acte que les institutions régaliennes fonctionnent convenablement et en bonne harmonie.
Ce qui précède est à peu près ce qui semble si difficile, voire impossible dans les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) où les Dirigeants exultent d’entendre dire qu’il y a, non pas une crise politique soluble, mais un coup d’État au Sénégal de Macky Sall, à leurs yeux, un valet comprador du néocolonialisme français ; qu’est-ce qu’ils doivent être déçus que le Conseil Constitutionnel, rien qu’en étant dans son rôle (sans kalachnikov), ait oxygéné toute une nation et au-delà !
Bon vent au Conseil Constitutionnel du Sénégal et à tous les acteurs œuvrant à la promotion sans violence de la démocratie dans ce pays.
Vilévo DEVO
« TAMPA EXPRESS » numéro 0052 du 28 février 2024 »