Il se prolifère au Togo plusieurs pratiques singulières, mais qui sont pourtant répréhensibles car, totalement en contradiction avec les règlementations sectorielles et en violation des lois que la République s’est dotées pour le bon fonctionnement de la cité. Presque chaque maillon est touché par les abus de pouvoir, trafics de tout genre, fraude et corruption sous toutes ses formes. A cet effet, la Chambre Nationale des Notaires du Togo (CNNT) est plus que jamais décidée à combattre tous les faussaires dans le but d’assainir le prestigieux corps de ceux-là qu’on a qualifié explicitement de « magistrats de l’amiable ». C’est ainsi que, par lettre en date du 04 décembre 2023, Me Tcha Plinga Ebezou en qualité de président en exercice du CNNT, a interpelé toutes les parties prenantes pour exposer la nébuleuse et demander que des dispositions soient prises pour mettre fin à ces pratiques qui sont contraires à la Loi.
Partout dans le monde, le notaire est un officier public, intervenant dans l’ensemble des domaines du droit : famille, immobilier, patrimoine, entreprises, rural, collectivités locales… L’ambassadeur de l’amiable est une profession libérale, bien qu’investi de l’autorité, agit pour le compte de l’Etat. Nommé par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et de la législation, le notaire confère aux actes qu’il rédige un gage de sérieux et d’authenticité. Cela signifie qu’il possède de véritables prérogatives de puissance publique, qu’il reçoit de l’Etat.
Au Togo c’est la loi N°2001-009 du 16 Novembre 2001 qui fixe les statuts des notaires. Il comporte des règles qui régissent la profession. Malgré toutes ces dispositions prises, certaines institutions notamment les établissements financiers et les institutions de microfinance avec la complicité de certaines « brebis galeuses » au sein du corps des notaires sont arrivés à instaurer un système mafieux et anti-textuel dénommé « consultations restreintes au sein des institutions de crédit pour arrêter une liste de notaires, en contravention des textes régissant la profession des notaires ». Cette pratique qui crée une profonde discrimination entre les notaires togolais, et qui est devenue la mode pour plusieurs institutions financières de crédit, consiste à lancer un appel restreint entre amis, réseaux obscurs et autres intérêts occultes pour enfin nommer un groupe restreint pour les prestations. Et c’est cette liste seule qui preste pour ces banques et microfinances. Ce phénomène remonte à une quinzaine d’année et tirerait son origine de la « panafricaine » ECOBANK. Ceci s’est rependu grâce aux nombreux départs volontaires ou involontaires des anciens agents d’ECOBANK vers les autres institutions des finances qui ont malheureusement et maladroitement contaminé les autres jusque dans les micros et mésos finances du Togo.
Or le principe découlant des dispositions de l’article 33 alinéa 1er, fixant statuts des notaires dispose : « Le débiteur de la convention supporte les frais de l’acte notamment les droits, taxes et émoluments et a le choix du Notaire ». Cette disposition est d’ailleurs reprise dans les PRINCIPES DE DEONTOLOGIE DE L’UNION INTERNATIONALE DU NOTARIAT (UINL) qui disposent en son point 6 que : « Le choix du notaire est laissé à la libre décision des intéressés, sauf dans les cas prévus par les lois et règlements. » et aussi « Dans le cadre de son devoir d’impartialité, le notaire doit s’abstenir de tout comportement qui, même indirectement, pourrait influer sur le libre choix des intéressés quant au notaire à désigner. ». Mieux encore, le CODE DE DÉONTOLOGIE ET RÈGLES D’ORGANISATION DU NOTARIAT, adopté par l’assemblée générale des Notariats membres de l’UINL, le 08 octobre 2013 sous la forme de LOI UNIFORME et qui a vocation à s’appliquer aux 94 notariats dont 19 africains.
En définitif, les statuts qui régissent l’exercice du notariat au Togo sont clairs et limpides, l’article 35 dit : « Le droit pour le citoyen de choisir librement son notaire est un droit essentiel du service notarial, sauf les cas où la désignation du notaire est déterminée par la Loi ».
Aux dires du président Me Ebezou, toutes les dispositions précitées doivent être toujours respectées par les notaires : « Le notaire doit s’abstenir d’attirer des clients en offrant des déductions d’honoraires des concessions, des cadeaux, ou des remises ou en réalisant d’autre actions identiques, contraires à la dignité et à l’indépendance de la profession notariale ». C’est-à-dire qu’il est formellement interdit pour un notaire de faire de la publicité, de faire un quelconque cadeau sur ses honoraires et même d’accorder des réductions sur ses honoraires qui sont des tarifs uniformes et homologués par l’Etat.
Tous ces actes repréhensibles persistent malgré les actions multiples à l’endroit des attachées aux services de CREDIT dans les banques qui imposent des Notaires à leurs clients faisant naître une suspicion de corruption et de rétro commissions entre les services de crédit des banques et les notaires cooptés d’une part, et mettant les membres de la profession en position de complicité de concurrence déloyale et de captations de clients, toutes choses interdites par les textes et compromettent ainsi le bon fonctionnement du Notariat au Togo.
Au-delà de la discrimination, les conséquences de cette pratique malsaine sont nombreuses et touchent plusieurs agents du monde socioéconomique.
Pour le client de la banque, cet acte déstabilise les relations de confiance entre son « ambassadeur à l’amiable » attitré avec qui il partage une longue histoire de partenariat. Ce premier se voit imposer un nouveau notaire en qui il n’aura forcément pas confiance. Et c’est là que s’installent les difficultés dans la poursuite ou l’achèvement des formalités ou actes que l’ancien notaire a débuté ou en cours d’exécution. C’est aussi et surtout un boulevard grandement tracé pour la fraude, la délivrance ou l’introduction de faux documents. Le nouveau notaire ayant peu de moyens pour s’assurer des actes posés par l’ancien.
Au niveau des établissements de crédit il laisse libre cour a ses agents malhonnêtes de se sucrer au dos de l’institution de crédit. Et c’est effectivement par cette complaisance dans le traitement des dossiers que s’infiltrent les hypothèques dont les valeurs sont largement en dessous des engagements… C’est ainsi que des banques et microfinances se retrouvent en fin d’exercice avec des immeubles mis en garantis et dont les valeurs ne peuvent atteindre même le dixième de des crédits octroyés. Il s’agit de lourdes pertes qui sont provisionnées. Et ces grosses provisions viennent s’ajouter au taux directeur de la banque centrale, les charges de fonctionnement, les incertitudes économiques, etc. pour déterminer les taux de crédit applicables aux clients. C’est toute l’économie et la société qui sont impactés par ce comportement malsain de certains individus.
Sur cette interpellation de la CNNT, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a promptement répondu dès le 24 janvier dernier tout en rassurant que : « les établissements de crédit seront sensibilisés sur la nécessité de se conformer aux dispositions réglementaires régissant la profession notariale » pour enrayer les conséquences d’une telle situation pour le bon fonctionnement du Notariat et de l’intermédiation bancaire au Togo.
Cependant, c’est le silence de la HAPLUCIA désignée par Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées qui surprend. Car selon l’ancien président de la CNNT, Me Tchassona Traoré, cette affaire concerne au premier degré l’institution de lutte contre « la fraude, la corruption et les infractions assimilées » qui normalement devrait interpeller la commission bancaire et directement les différents établissements de crédit afin de démanteler les réseaux. Il en est de même pour l’Office Togolais des Recettes (OTR) et le Ministère de l’Économie et des Finances qui étaient tous en ampliation dudit courrier de réagir plus rapidement. En ce sens que le notaire ou l’ambassadeur de l’amiable non seulement est un contribuable, mais aussi ce dernier joue également le rôle de mobilisation des recettes pour le compte du Trésor Public. Il en est de même pour le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et de la législation qui pouvait également s’autosaisir du cas. Ainsi, pendant que les institutions nationales qui sont les premiers concernés par cette démarche citoyenne de la Chambre Nationale des Notaires du Togo, c’est la BCEAO qui est une institution supranationale qui réagit.
Cette situation devrait interpeller également les associations des consommateurs qui disent défendre les droits des consommateurs. Elles doivent interagir, interpeler les acteurs concernés par ces mauvaises pratiques.
Chacun doit œuvrer pour que des dispositions idoines soient prises afin de mettre fin à ces pratiques qui sont aux antipodes des lois de la République Togolaise et qui frise le ridicule au-delà de nos frontières. Il y va en premier de la responsabilité et de l’intérêt du corps notarial.
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0051 du 07 février 2024