L’entreprise contemporaine est perçue comme une coalition de personnes. Le centre de décision n’étant pas incontestablement le propriétaire mais parfois un dirigeant salarié, un ensemble de personnes etc. L’analyse des systèmes de contrôle de la gestion des dirigeants est nécessaire à la compréhension du fonctionnement des entreprises et à l’amélioration de leurs performances.
Les dirigeants sont au cœur des processus de décisions et il est fort possible que les stratégies personnelles viennent influencer celles de l’entreprise. Justifiées par l’inefficacité des mécanismes de contrôle, diverses réflexions ont porté sur le système de gouvernement des entreprises à l’échelle mondiale. Concernant l’Afrique, des efforts restent à fournir car l’avenir du continent en dépend.
L’entreprenariat africain au cœur du système familial
Les africains sont tellement entreprenants car tout commence depuis au sein de la famille et chaque famille est une micro entreprise ou porte en son sein un petit entrepreneur. Malgré la lourdeur et l’opacité des modes de contrôle interne des entreprises, la faible financiarisation de l’activité économique matérialisée par la quasi-absence d’un marché boursier, l’Afrique mérite pourtant une attention particulière compte tenu des singularités que les entités qui y sont concernées font apparaître aussi bien par leurs caractéristiques stratégiques et organisationnelles que par leurs caractères financiers. Les pratiques africaines de gestion d’entreprises ne peuvent être analysées qu’à la lumière des réalités africaines, réalités qui déterminent leur environnement et leurs conditions de naissance et de pérennité. Il ne s’agit pas de juger les pratiques à l’aune d’une rationalité économique mais plutôt de voir comment des formes de rationalisations s’inscrivent dans les pratiques, ou des systèmes de pratiques, et quel rôle elles y jouent. En effet, les représentations traditionnelles importent davantage pour comprendre les mécanismes de gouvernance que la seule hypothèse de rationalité des individus. A cet égard, North a déclaré que « l’avenir est lié au passé à travers les institutions informelles de chaque société». Le côté informel constitue la caractéristique essentielle à prendre en compte lorsqu’il s’agit de comprendre le fonctionnement des entreprises dans les pays africains et particulièrement dans les anciennes colonies françaises comme au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Mali, en Guinée […] au Togo. Ces pays ont connu un passé colonial assez long, ce qui signifie qu’il est impossible de cerner leurs institutions, cultures, politiques en faisant l’impasse l’héritage colonial.
L’entité dans son environnement institutionnel
L’environnement institutionnel est double en raison du statut historique. Il convient de faire remarquer que lorsqu’on parle de pays africains, certains experts estiment que les problèmes économiques que connaissent ces pays résultent d’un blocage culturel et propose comme remède un changement de mentalités pour se conformer à la modernité occidentale.
La difficulté d’application des bonnes lois des institutions régionales et sous-régionales (UEMOA et CEMAC) en sont de parfaites illustrations des contraintes environnementales qui influencent l’avancée de la gouvernance et la restauration de l’éthique managériale. Prolongeant différents travaux sur le gouvernement des entreprises, il apparaît qu’il n’existe pas de modèle unique de gouvernance, mais certains éléments communs se dégagent pour constituer les « standards internationaux » auxquels les entreprises africaines doivent se soumettre. Dans ce contexte, s’agit-il de continuer à importer des modèles occidentaux de gouvernance ? Lesquels ont connu des échecs en raison de leur transposition par des dirigeants africains formés par l’esprit occidental dans un environnement différent où le poids de la tradition dicte la manière de fonctionner et fait exploser les limites tout en favorisant le sens d’obligation de la famille et de la communauté d’appartenance en termes de répartition de la richesse. Les analyses et enquêtes menées ont permis de relever que les structures de contrôle (Parlement, justice, Conseil d’administration et de gestion, comité de développement, Assemblée Générale, Audit et contrôle…) sont inopérantes. En d’autres termes que les mécanismes de contrôle sont défaillants. Les défaillances des mécanismes par lesquels les structures de contrôle influencent la gestion des dirigeants sont insuffisamment expliquées.
Raisons de défaillances souvent diagnostiquées dans la gouvernance des sociétés africaines.
Les causes les plus couramment avancées de la contreperformance des entreprises africaines retracées dans nombre d’études et conférences menées à ce jour se résument à l’incompétence des dirigeants et administrateurs, la corruption, un conseil d’administration dépendant et assimilé à une chambre d’enregistrement, l’influence politique, l’importance accordée au conformisme et au clientélisme, enchevêtrement des organes chargés d’assurer le contrôle, la solidarité familiale matérialisée par l’existence des réseaux sociaux contribuant ainsi à la réduction des investissements et au détournement des deniers de l’entreprise. Dès lors, aucune étude ne s’est appesantie sur les causes profondes de ce malaise managérial au-delà de l’aspect simpliste de partage de gâteaux, de manque d’éthique, de ralliement des dirigeants au parti au pouvoir, etc. Il semble qu’au cœur de tous ces dysfonctionnements se trouvent notamment la famille et la communauté des parties prenantes ; l’inféodation des administrateurs et commissaires aux comptes à la direction générale ; l’octroi des avantages induits non prévus dans les statuts et les textes législatifs aux administrateurs; ensuite la position du dirigeant sur l’échiquier politique, la quête des titres de notabilité ; le non-respect de la chaine de responsabilités incombant aux différents acteurs –surtout les actionnaires- ; et enfin par l’inscription de fausses écritures comptables matérialisant les opérations fictives. Ainsi, ce sont les institutions tant formelles qu’informelles qui sont à l’origine des défaillances constatées ayant entrainé des scandales financiers. Bref, ce sont les communautés d’appartenance (traditionnelle et religieuse), la famille et l’inféodation des administrateurs et commissaires aux comptes à la direction générale qui expliquent les scandales financiers au regard des exigences implicites de redistribution que doit assurer le promu. Ainsi, la pratique de la gouvernance d’entreprise en Afrique est le reflet des institutions informelles (chefferie traditionnelle, église, famille, etc.) qui canalisent le comportement des individus.
La communauté reçoit une part relative des détournements dans le cadre de sa politique de développement. Ceci s’observe à travers les dons et les investissements réalisés par les dirigeantes et autres parties prenantes. La principale contrepartie de ces actes est l’obtention des titres de notabilité qui confère au donateur une notoriété absolue. Cette psychose traditionnelle a pour impact de stimuler le dirigeant à adopter un comportement peu orthodoxe dans l’Organisation dont il a la charge afin de satisfaire les besoins exprimés par sa communauté du fait de son statut. Par conséquent, il apparait que l’institution informelle soit plus acceptée que l’institution formelle est une source de dérapage des individus entraînant au passage la défaillance des mécanismes constatés. Ce raisonnement est valable pour l’ensemble des autres parties prenantes de l’entreprise. La famille constitue la deuxième principale source d’explication des défaillances des mécanismes de contrôle à l’origine des scandales financiers.
Mécanisme pour la sauvegarde du bijou de famille
Le contrôle s’inscrit dans la logique d’une problématique sur les pouvoirs et la possibilité d’infliger ou non des sanctions. Ainsi, quels sont les moyens de contrôle reconnus juridiquement et de fait que les actionnaires peuvent adopter pour limiter au maximum l’opportunisme managérial et les amener dans la même lancée à créer de la valeur ? Les organes de contrôle sont relatifs au Conseil d’Administration, à l’Assemblée Générale des actionnaires et aux commissariats aux comptes D’après les théories contractuelles, le Conseil d’Administration a pour ambition de discipliner l’équipe managériale ; contrairement aux théories dites stratégiques, la préoccupation première du Conseil d’Administration serait d’aider à la création de valeur par les compétences. Les systèmes de contrôle des dirigeants sont souvent décrits comme comportant deux grandes catégories de mécanismes respectivement externe et interne.
- Outil stratégique de conseil d’administration
L’objectif disciplinaire du Conseil d’Administration mérite d’être souligné, ceci afin de mettre en exergue les différentes implications tant au niveau du pouvoir des dirigeants, de la missions des commissaires aux comptes et de l’Assemblée Générale qu’au niveau du rôle même du Conseil d’Administration. Le poids des défaillances d’entreprises qui sont souvent dénoncés par l’opinion et la presse amènent à se poser des questions sur l’efficacité présumée des structures de gouvernance d’entreprise qui constitue une préoccupation relativement.
Au-delà du cadre juridique qui régit le Conseil d’Administration dans l’espace OHADA et les lois particulières à chaque pays, il ne faut pas perdre à l’esprit que ces pays évoluent dans un univers imparfait avec des conflits d’intérêts sans cesse rebondissant. Ainsi, le Conseil d’Administration apparaîtra comme une entité de discipline des dirigeants et de management. Sur ce, le Conseil d’Administration se situe à l’interface Assemblée Générale, Direction Générale et les commissaires aux comptes.
Leviers de la fonction disciplinaire Le Conseil d’Administration apparaît comme le meilleur censeur des stratégies adoptées par les dirigeants. Il devrait également être appréhendé comme un organe de consultation et d’approbation de décision et de contrôle. A cet effet, l’efficacité du contrôle interne qu’il constitue a toujours été remise en cause. En esprit, le Conseil d’Administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société. Il exerce ses pouvoirs dans la limite de l’objet social et sous réserves de ceux expressément attribués aux assemblées d’actionnaires. Les prérogatives des conseils tels le contrôle, les manœuvres reconnues à savoir la révocation et la nomination des dirigeants et un accès illimité à l’information sont implicitement ou explicitement contenues dans les textes juridiques. La mission dévolue au Conseil d’Administration dans les théories contractuelles est de contrôler les décisions managériales et évaluer la performance. Mais le plus souvent, les décisions sont arrêtées par les dirigeants et approuvées par le Conseil d’Administration qui peut émettre des avis. Ainsi l’évaluation par le Conseil d’Administration devient complexe.
- Outil stratégique de contrôle financier
Le contrôle financier qui est confié à un cabinet externe moyennant une rémunération quant à lui permet d’évaluer les dirigeants uniquement sur la base de la performance. Il prend en compte les critères financiers ex. ante (budgets, planification) et ex. post (résultats comptables et financiers). Le déroulement de ce contrôle est assez aisé car ne nécessitant pas un important traitement de l’information. Il engage l’avenir de l’entreprise dans le long terme. Etant donné que ces informations reposent sur la comptabilité, celle-ci souffre aujourd’hui d’une véritable crise de légitimité. L’opacité et la diversité des documents financiers constatées peuvent constituer un obstacle à l’information des administrateurs tant que n’auront pas été précisées les règles de présentation communes à l’ensemble des activités. Car l’auditeur n’est pas forcément un spécialiste du domaine audité. Parfois inexpérimenté ou encore cela devient plus inquiétant quand c’est les stagiaires qui vont au charbon. Cet état de chose aboutit à l’affaiblissement du contrôle et il convient de rappeler qu’il subsiste un vide juridique à ce niveau et l’ONECCA.
Ce contrôle est plus élaboré lorsque la Direction Générale et le Conseil d’Administration ont adopté un système de contrôle stratégique qui permettrait non seulement d’évaluer l’impact des décisions prises sur le développement de l’entreprise, mais aussi de s’assurer que les plans stratégiques conçus ont été respectés. A l’épreuve des observations faites, il ressort que peu d’entreprises disposent d’un système d’information formalisé capable de retracer le vécu de l’entreprise ainsi que son avenir. Les structures décisionnaires sont importantes pour développer un contrôle efficace et cohérent. Ceci nous permet de développer la typologie du contrôle stratégique pour apporter des débuts de solution.
On ne peut boucler sans évoquer le contrôle stratégique. Ce type de contrôle porte sur le processus de décision et est fondé sur des critères d’ordre subjectif. L’information traitée est le plus souvent non financière. Il nécessite aussi une combinaison des différents facteurs influant sur les activités et la vie de l’entreprise et ceci à divers niveaux.
- Système basé sur le contrôle stratégique
C’est sur la base du contrôle stratégique que repose la mission de vérifier que les entreprises sont gérées efficacement. Le Conseil d’Administration n’étant qu’un maillon de la chaîne de contrôle ; un contrôle stratégique dominant pourrait conduire à une contreperformance que si la qualité de relation existante entre les différentes activités est mal conçue ou mauvaise et aussi si la vision stratégique se révèle également insuffisante. L’orientation stratégique de l’entreprise contribuerait à renforcer le contrôle stratégique car la loi reste muette sur le contenu et les principes de ce type de contrôle. Au demeurant, les deux modes de contrôle concourent à l’évaluation de la performance du dirigeant et diffèrent selon les informations traitées. Le contrôle financier a priori est plus aisé que le contrôle stratégique qui exige une parfaite connaissance des activités de l’entreprise et plus d’information. L’efficacité du contrôle stratégique peut être attribuée aux administrateurs internes qui maîtrisent mieux les structures de décision et vivent au quotidien la réalité de l’entreprise. Par contre, l’objectivité du contrôle financier est l’œuvre des administrateurs externes du fait de leur compétence en finance en dépit de l’inefficience informationnelle. Le résultat scientifique de plusieurs chercheurs dans le domaine en Afrique démontre que la plupart des conseils d’administration sont constitués des administrateurs n’ayant aucune connaissance en finance et partant qui ne savent pas lire un bilan. Ce qui est important dans ce cas n’est rien d’autre que les jetons de présence et la fonction d’administrateur représente alors un prestige et une simple formalité. Surtout que dans tous ces pays, la loi ne définit pas les compétences qui devraient être observées lors de la composition du Conseil d’Administration afin de garantir un conseil vivant et efficace en tout point de vue. L’indépendance prônée par les textes ne garantit en aucun cas le professionnalisme de l’administrateur. Cette indépendance pratique des administrateurs (interne et externe) est remise en cause en raison de leur mode d’accession à ce poste ; rejoignant ainsi les fondements de la théorie de l’enracinement qui s’appuie sur l’incapacité des administrateurs à effectuer un contrôle efficace sur les dirigeants. Les modes de contrôle ainsi présentés amènent à pencher sur les actions du Conseil d’Administration.
Armadas du conseil d’administration pour discipliner la gouvernance d’entreprise
Pour tenter ou essayer de discipliner les dirigeants le Conseil d’Administration utilise deux armes contenues dans les Art 467 et 469 de l’Acte Uniforme OHADA : une à vocation offensive — la rémunération — qui est le plus important élément d’incitation à la performance et l’autre à vocation défensive-la révocation. Traditionnellement en droit des affaires comme c’est le cas pour le traité OHADA, l’assemblée ou le Conseil d’Administration possède un pouvoir de révocation du président Directeur Général ou du Directeur Général ou Président du Conseil d’administration. Puisque celui-ci est nécessairement un administrateur et que le mandat de tout administrateur de société anonyme est révocable ad nutum. Le Conseil d’Administration intervient largement dans l’administration de la société. Certaines décisions ne pourront jamais être prises par les dirigeants de la société, pas même en vertu d’une délégation.
Toutes ces dispositions qui conduisent à la bonne gouvernance sont confrontées aux réalités du terrain. C’est-à-dire l’informelle qui influence plus le formel à travers la culture, famille, la religion, la politique. Encore faut-il que le Conseil d’Administration soit légale (respect du mandat et des quorums) soit doté de membres compétents pour mener en bien sa mission.
Ainsi va l’Afrique !
La Rédaction