La production agricole de notre pays comme un peu partout en Afrique a subi de plein fouet la situation inattendue de la flambée des prix des engrais cette campagne agricole.
En effet, notre agriculture d’après les statistiques et les études est moins gourmande en intrants chimiques en général mais de plus en plus, les sols deviennent très pauvres et les producteurs avisés qui ont un peu de ressources ne ménagent aucun effort pour en acheter et fertiliser leur champ.
Dans certaines zones agricoles du pays comme les préfectures de Vo et Tabligbo et surtout dans la région des Savanes, les sols sont tellement pauvres au point où si vous n’apportez pas d’intrants (chimiques souvent et organiques parfois), vous n’obtenez rien à la récolte.
Cette situation fait que dans ces zones surtout la région des Savanes, l’affluence autour des magasins de vente des engrais est très forte à chaque début de campagne agricole.
Les producteurs de ces zones sont fortement dépendants des engrais chimiques de synthèse dans leurs exploitations agricoles.
Cette année particulièrement, à cause des flambées des prix des engrais, le ministère de l’agriculture, de l’élevage et du développement rural (MAEDR) du Togo a mis en place un dispositif/procédure, diversement apprécié par les acteurs, dans le but de limiter selon eux la fuite de nos engrais vers les pays limitrophes.
Les producteurs de la région des Savanes ont été particulièrement touchés au début de la distribution des engrais, par cette procédure naturellement à cause de leur position géographique qui est limitrophe à trois pays en même temps (Ghana, Burkina et le Bénin).
La flambée des prix entraînera certainement des conséquences sur la productivité des exploitations agricoles (faible rendement) mais aussi sur les emblavures qui pourront être affectées (limitation des superficies pour certaines spéculations gourmandes en intrants chimiques comme le maïs et le riz).
Les services compétents du ministère de l’agriculture, de l’élevage et du développement rural (MAEDR) notamment la DSID nous aideront à la fin de la campagne à nous situer sur la question des emblavures et des rendements.
La flambée des prix des engrais aura également des effets sur les types de spéculations que les producteurs vont mettre en place. Les producteurs choisiront des spéculations moins gourmandes en intrants comme les légumineuses.
Alors que notre alimentation de base c’est la pâte à base du maïs principalement et secondairement le riz, deux cultures très gourmandes en intrants.
Le prix de ces deux spéculations a même grimpé ces 10 derniers mois au point où la situation est difficile pour les consommateurs finaux, en première ligne les producteurs eux-mêmes qui bradent généralement leur production à la récolte et qui se retrouvent quelques mois plus tard dans une situation de précarité et de famine qui ne dit pas son nom.
La campagne agricole étant en cours, nous espérons que le labeur de nos producteurs permettra de nous fournir une alimentation suffisante pour assurer la sécurité alimentaire surtout pour les produits de première nécessité (maïs, riz etc.).
Défenseur de l’agroécologie
Je suis un acteur qui défend la production respectueuse de l’environnement et le principe de la vie du sol. Nous avons toujours lutté pour une production saine et suffisante pour les populations.
Ainsi notre combat s’inscrit dans la promotion des pratiques durables et agro écologiques. D’après l’étude sur la carte de la fertilité des sols au Togo réalisée par l’Institut Togolais de Recherche Agronomique (ITRA), il apparaît clairement que nos sols sont très pauvres en matière organique.
Ainsi pour assurer une bonne production la majorité de nos sols ont besoin de beaucoup d’unités fertilisantes. Ces unités fertilisantes peuvent provenir soit exclusivement des engrais chimiques, soit des engrais organiques ou la combinaison des deux.
En tant que défenseur de l’agroécologie, nous sommes farouchement contre la première option qui est une option destructrice de nos sols et tue la vie de nos sols.
Nous avons aujourd’hui des sols qui ont reçu exclusivement tellement d’engrais et autres intrants chimiques au point où aucune preuve de vie n’est plus perceptible sur ces sols (plus de lombric et des petites bêtes microscopiques qui sont de véritables architectes et artisan du maintien de la vie sol).
La deuxième option, pour laquelle nous menons notre combat de tous les jours, nous pensons que c’est l’idéal que nous devons chercher à atteindre pour assurer un bon équilibre de la nature et fournir des aliments sains à la population.
Elle passe par la troisième option (combinaison chimie et organique) qui pour nous, doit être l’étape intermédiaire que nous devons privilégier à court et moyen termes tout en progressant vers l’idéale qui est la deuxième option qui exclut ou limite au maximum l’utilisation des intrants chimiques.
Des alternatives aux intrants chimiques existent et peuvent être valablement développées pour aider nos agriculteurs à pouvoir produire sainement.
Le reste est une question de vision et de volonté à pouvoir développer les filières intrants organiques tout en subventionnant leur production à grande échelle.
Cela permettra sans doute de créer beaucoup d’emplois au niveau local. Des unités de production des intrants organiques existent et la CAGIA (Centrale d’Approvisionnement et de Gestion des Intrants Agricole au Togo) en collaboration avec la GIZ a conduit en 2021 une étude sur les filières engrais organiques assortie d’un plan d’actions qui devrait permettre de lancer des initiatives d’envergure pour leur développement.
Espérons que le ministère prendra la mesure de la chose et mobilisera les ressources nécessaires pour lancer la filière engrais organique au Togo.
Au niveau de RéNAAT et de ses membres, un effort de sensibilisation et de formation sur l’agriculture organique régénérative est fait depuis 2018 et les unités de production des intrants organiques poussent de gauche à droite.
Ces unités mettent déjà sur le marché plusieurs gammes d’intrants organiques efficaces. Il faudra travailler pour leur mise à l’échelle. Nous devons cesser de compter sur les intrants chimiques de synthèse qui ont montré leur limite en termes d’efficacité ailleurs et travailler à développer le génie local pour produire des intrants organiques adaptés à nos sols.
Des solutions pour une agriculture durable
Comme je le disais dans la section précédente, l’utilisation exclusive et intensive des intrants chimiques dans l’agriculture n’a produit jusqu’ici que des conséquences négatives sur notre environnement (dégradation de la biodiversité) et notre santé (multiplication des maladies).
Pour une agriculture durable en Afrique, nous proposons des solutions alternatives suivantes :
- Soutenir et développer des unités de production des intrants organiques au niveau local (cela est possible et permettra de créer de l’emploi) ;
- Consacrer au moins 25% de la subvention accordée aux intrants chimiques pour soutenir la production locale des intrants organiques ;
- Limiter progressivement l’importation des intrants chimiques ;
- Primer les promoteurs locaux des intrants organiques ;
- Développer les pratiques agroforestières avec des plants fertilitaires sur les parcelles pour renforcer la restauration des sols ;
- Encourager la culture de production des arbres comme une activité économique dans les pays non forestiers ;
- Développer les filières agroécologiques et biologiques tout en renforçant le pouvoir d’achat des petits producteurs.
Makenou Tchoekewo, Chargé du Programme d’Appui à la Transition Agroécologique et au Renforcement de la Résilience Climatique (PATARRC)