Le constat est très amer et les conséquences dans les prochains mois seront redoutables pour l’économie togolaise, en matière de trafic des marchandises en transit sur le Port Autonome de Lomé (PAL) et à destination des pays de l’Hinterland (Burkina Faso, Niger, Mali…). Une situation qui brise fatalement tous les efforts dans les réformes en matière de compétitivité du transport de marchandises car, les attentes et le « transit time » sont devenus tellement élastiques. En effet, les longues durées d’immobilisation des camions de transport ne favorisant pas de bonnes rotations, mais occasionnent de lourdes pertes. Et pour cause, les énormes goulots d’étranglement que les gouvernements successifs de Faure Gnassingbé ne cessent d’asséner à l’économie du pays. Déjà, l’Office Togolais des Recettes (OTR), avec ses tarifs excessifs, décourage les importateurs locaux qui ont réduit drastiquement leurs activités d’importation. Pour preuve, les quais du PAL n’enregistrent, depuis quelques temps que des bateaux de minerais et d’engrais, et autres marchandises en transit, comme le confiait un opérateur portuaire : « (…) oui, les affaires sont vraiment au ralenti. L’augmentation des prix par la douane, fait que les importateurs de riz et sucre ne se prononcent plus. Sauf le Burkinabé Kanazoé qui a fait accoster un navire de 48172 tonnes de riz, depuis novembre jusqu’à ce jour ».
A l’analyse des multiples réformes économiques, le Togo sous Faure Gnassingbé n’a excellé que dans des réformettes qui ont été très nuisibles pour le pays et qui ont toujours fini par des échecs ou changer de dénomination. On peut citer l’application « stricte sans concession » du Règlement 14 de l’UEMOA, portant limitation des poids aux essieux et gabarit en 2012, la montée exponentielle du tarif de ce que le DG de NAVITRANS, Auguste Dogbo appelait à l’époque la « Bombe BESC » en 2015, l’instauration du Handling Tax (TH) au port de Lomé qui a été d’ailleurs combattu à l’époque par l’actuel ministre de l’Économie Maritime, Edem Kokou Tengue qui, à l’époque, était DG de MAERSK Togo, donc étant contre les intérêts de l’Etat Togolais, l’instauration de la TVA sur les surestaries c’est-à-dire « amender des pénalités (surestaries) ».
Aujourd’hui, la situation raisonne encore plus grave avec la réactivation du Port Sec de la PIA, un projet qui est, non seulement, très mal pensé mais aussi, connait beaucoup de dysfonctionnement dans son opérationnalisation. On note une lenteur considérable dans le transfert des conteneurs du Port Océan vers le Port Sec PIA, ce qui occasionne de lourdes et diverses conséquences, tant pour les importateurs que pour le pays.
La lenteur dans le transfèrement des marchandises
Et pourtant, toutes les règles de fonctionnement sont inscrites noir sur blanc dans le Décret 2021-057/PR du 14 mai 2021, portant création d’un parking de camions de transport de marchandises et d’un port sec franc au sein de la Plateforme Industrielle intégrée d’Adétikopé. Son Article 7 : Service de navettes dédiées, stipule que : « Les cargaisons ou marchandises débarquées au Port, dont les formalités doivent être effectuées au Port Sec Franc sur la base des régimes douaniers renseignés sur les manifestes des navires, sont, dans un délai ne dépassant pas 48 heures, transférés dès l’accostage du navire, par voie de déclaration sommaire de la douane, par des navettes dédiées, jusqu’à la Plateforme Industrielle intégrée d’Adétikopé… »
Alors que l’importateur et son transitaire sont talonnés par les durées de transit de 48 à 72 heures et de franchise qui tourne autour de 21 jours, le temps de transfèrement des conteneurs du « port océan » vers le « port sec » de la PIA est devenu tellement élastique avec une moyenne de dix (10) jours, entre temps, mais depuis le mois de février 2024, la durée de transfert des TCS excède largement quinze (15) jours. Ni les maisons consignataires des bateaux, ni les manutentionnaires (LCT et AGL) et même les agents de la PIA n’arrivent pas à expliquer où se trouve le blocage. Pis encore, le ministre en charge du secteur est resté muet sur la lettre « N/Réf. : FNK/003/2024 en Objet : Demande d’informations relatives au port sec PIA » que « TAMPA EXPRESS » a fait décharger par son secrétariat, depuis le 09 février 2024, pour comprendre réellement ce qui se passe. Et pourtant c’est la LOI 2016-006 du 30 mars 2016, « portant accès à l’information et à la documentation publique » de la République Togolaise qui oblige le détenteur de l’information publique à répondre au journaliste ou au chercheur dans un délai de 15 jours. Voilà encore des décrets signés par Faure Gnassingbé (paroles du président) qui s’écroulent comme un château de cartes.
Tout est sombre dans la gestion du pays et les gens subissent sans broncher. Les textes régissant le climat des affaires sonnent bien comme une mélodie, mais qui pour les faire respecter dans l’intérêt des bénéficiaires.
Or, sauf dispositions particulières, « En shipping, la franchise est le temps franc pouvant être accordé par la ligne maritime à l’importateur pour effectuer les différentes formalités et opérations d’enlèvement (administratives, portuaires y compris de transfert). Ceci est valable aussi quand ces opérations sont sous-traitées par une autre partie (transitaire, opérateur de terminal maritime ou port sec) ».
Les conséquences de cette lenteur
Tous ces retards enregistrés entre la date du déchargement des bateaux et celle du transfert des conteneurs du « port océan » vers le « port sec » de la PIA ont des incidences fâcheuses à plusieurs niveaux.
Les premiers à en pâtir sont l’importateur et son transitaire. Pour éviter des pénalités (surestaries et détentions) dans le maritime, le transitaire ou commissionnaire en douane doit anticiper et accélérer les formalités et opérations d’enlèvement des marchandises et ce, auprès des différentes parties de la chaine logistique des imports. Mais le hic avec ce Port Sec de la PIA est que l’anticipation se limite à l’échange de connaissement et d’obtention du bon auprès du consignataire. Aucune formalité n’est plus permise tant que la marchandise n’est pas encore transférée sur Adétikopé. Ceci, non seulement, ronge les jours de franchises, immobilise les camions et de l’argent, empêche les régies (OTR, PAL, SEGUCE, CCIT…) d’enregistrer les recettes et en fin de compte c’est l’importateur qui est pénalisé dans son contrat de livraison et paiera encore des pénalités.
Ensuite, le manutentionnaire qui se trouve devant une congestion des aires de stockages de marchandise et partant le ralentissement des opérations de manutention.
Au final, c’est le port qui perd sa performance et les importateurs qui vont décider de continuer par utiliser le port de Lomé ou dévier leurs marchandises vers les ports voisins.
Les effets de cet amateurisme d’Etat sur le port de Lomé
Une question que la rédaction a adressé à une cadre de ligne maritime de savoir : « Savez-vous que depuis la mise en œuvre du Port Sec de la PIA, les importateurs de l’Hinterland subissent des pénalités énormes qui risquent de les faire fuir à nouveau vers les ports voisins ? » la réponse ironique dit : « Je pense que les autorités du Port de Lomé et les parties prenantes y travaillent pour garantir la compétitivité du Togo comme pays de transit des cargaisons d’hinterland ».
Cette réponse venant d’un haut cadre du secteur maritime de plus 20 ans d’expériences professionnelles est révélateur du déclin du professionnalisme au Togo. C’est la preuve que les acteurs ont décidé de laisser les « gouverneras » continuer par patauger jusqu’à la fin.
Nonobstant les surcoûts très excessifs occasionnés par le transport et la manutention des marchandises par le Port Sec à 25 km de Lomé port, soit pour un conteneur 20’ est facturé à 177 332 FCFA (EUR 270,34) et le TCS 40’ est facturé à 244 784 FCFA (EUR 371,98). Comparativement au Bénin où le port sec d’Alada est à 80 km de Cotonou, le tarif transfert-manutention est facturée à 150 000 FCFA (EUR 228,67) pour un TC 20’ et 240 000 FCFA (EUR 365,88) pour un TC 40’.
Pour cet opérateur économique Léon K. : « Cette affaire de la PIA là est une forme d’escroquerie de mauvais goût. Comment ses prestations font le double ou triple des frais de manutention ? Est-ce du stationnement, à ces tarifs ? Et c’est devenu obligatoire. Si cette plateforme était installée à l’intérieur du pays (Blitta ou dans les Savanes) cela se comprendrait. Qui vivra verra ». Même en Guinée Conakry, la Transition vient de poser la 1ère poutre du chemin de fer du « TransGuinéen » de 650 km (soit Lomé-Dapaong) dans le cadre du projet Simandou pour non seulement l’exploitation du fer et autres minerais, mais aussi pour développer les régions traversées pour stimuler la croissance. Et au Togo, qu’est-ce qui bloquerait les autorités à se projeter dans une vraie vision…
Aujourd’hui, les prix sont connus dans tous les maillons économiques et ce qui compte est la performance et la rapidité dans les transferts. Pour un agent économique, le choix est clair. La frontière du Niger vient de s’ouvrir alors pour un importateur nigérien, il est plus économique et rapide de passer directement d’Alada (Bénin) pour le Niger sur 1030 km en trois jours, au lieu de passer par Lomé pour en moyenne 3000 km en trois mois en passant par les zones d’insécurité du Burkina Faso et du Niger.
Celui du Faso a trois options en dehors de Lomé. Il peut transiter sa marchandise pour raison de rapidité par Cotonou et passer par Cinkassé via Kétaou (Togo), l’option du port de TEMA est souvent utilisée en passant par la Côte d’Ivoire, avec ses infrastructures routières et ferroviaires très modernisées. Pour preuve, un opérateur qui a envoyé 05 camions pour acheminer les conteneurs sur Ouaga a dû les dévier sur TEMA, le 17 mars 2024, car le transfert des marchandises du MV MSC ORNELLA du 02 mars 2024 tardait de trop. Souvent, dans le shipping, les booking (planning de transport) sont fait six mois bien avant. Il faut donc attendre la fin des six prochains mois pour sentir les effets.
Que faire pour atténuer le mal
Quand on essaie de faire entendre raison les « dirigeurs » togolais, en matière de commerce vers le Sahel, la réponse est souvent : « nous venons de nous entretenir avec une délégation burkinabé, malienne, nigérienne…qui apprécient les réformes du gouvernement » ou pis encore, l’on vous chante une performance sans tête ni queue avec un vieux discours « transbordement, navire de nouvelles génération, port en eau profonde… », qui ne génère de revenus consistants au pays. Sinon, une performance du port de Lomé sans effet multiplicateur sur le budget national ne peut être qualifiée de progrès. La preuve, à la dernière comparution du DG du PAL, Contre-amiral Fogan Adegnon, devant la commission des finances de l’Assemblée Nationale qui voulait en savoir sur la contribution du port au budget 2024, le patriarche serait resté « muet comme une carpe » durant la séance.
En effet, dans la mise en œuvre du Port sec de la Plateforme Industrielle d’Adétikopé (PIA), un projet dans lequel le ministre Edem Kokou Tengue, demeure un principal acteur, le décret 2021-057/PR du 14 mai 2021, dont le contenu de l’article 7 cité plus haut, astreint le Port sec franc d’Adétikopé à rendre disponible les marchandises sur le site dans un délai maximum de 48 heures. Cette disposition du décret signé par le Président de la République, Faure Gnassingbé et qui se trouve dans le domaine public, donc connu de toutes les parties prenantes, est allègrement violée par les principaux acteurs.
C’est pour pallier cette improbabilité de transfèrement des milliers de conteneurs en 48 heures qu’il avait été demandé aux lignes maritimes d’accorder une franchise supplémentaire moyenne de sept (07) à dix (10) jours, à partir de la date d’arrivée du navire. Seule la ligne MAERSK TOGO dont l’actionnaire ARISE est en même temps le promoteur du port-sec de la PIA avait mis en œuvre la jouissance de jours supplémentaires pour un moment. Mais force est de constater que, non seulement, les autres compagnies de la place n’ont pas appliqué cette disposition, pourtant raisonnable, mais aussi MAERSK TOGO a arrêté d’accorder ces jours supplémentaires aux conteneurs destinés à l’hinterland. Ce qui, non seulement, pénalise doublement les importateurs qui doivent enregistrer un retard de livraison et encore perdre une dizaine de jours sur les 21 jours de franchise, mais aussi subir in fine des surestaries occasionnées par les acteurs de ce port sec. L’autorité publique doit agir pour faire respecter les textes et dispositions en vigueur. Il urge à présent que les actes du Chef de l’Etat togolais connaissent leur application effective. En ce qui concerne le Port Sec intégré de la PIA, soit, augmenter sa flotte logistique pour accélérer les transferts et respecter l’esprit du décret présidentiel, ou simplement prendre en charge les surestaries et détentions occasionnés par les retards. Mais ne pas perdre de vue que seule la logistique de transport ne suffira pas car, il faut voir le nombre limité et l’état technique des scanners qui également peuvent ralentir les opérations. Il y va dans l’intérêt du Togo tout entier.
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0054 du 27 mars 2024 »