Les échéances électorales sont des occasions de proposer un projet ou une combinaison de projets de société. Autrement, c’est l’opportunité à la fois pour le politicien de solliciter le mandat du peuple pour sa vision décisive, et pour le citoyen de faire un choix pour son bien-être, sa descendance, son environnement, etc. Toute chose étant égale par ailleurs, le politicien doit conquérir, organiser et exercer le pouvoir d’État pour le mieux-être des citoyens.
Dès lors, pour vouloir présider aux destinées d’un pays, il faut anticiper, projeter et concilier les espérances avec les diverses contraintes et impondérables pour contribuer au bonheur collectif. Pour cela, il faut pouvoir être capable de mobiliser les compétences spécifiques pour l’atteinte de solutions adaptées aux défis. Et un leader politique doit faire rêver, cependant avec substance et audace. Il ne s’agit aucunement de la politique proclamatoire.
Le projet de société et l’engagement patriotique
Un projet de société viable est un ensemble de projections cohérentes constituant un engrenage structurel et organisationnel, que l’on veut mettre en œuvre pour engendrer le fonctionnement projeté de l’État, dans un horizon donné. Cela suppose la formulation de principes, de même que des orientations ou programmes politiques soutenus par des valeurs morales et éthiques. Un pays passe plusieurs étapes avec des besoins spécifiques et évolutifs. Voilà pourquoi, il est plus que nécessaire, comme aspirant à la gouvernance du pays, de proposer véritablement sa vision tu Togo dans 5, 10, … 50 ans; bref la volonté de construire une nation et comment on va s’y prendre. Pour y arriver pour le mieux, il importe aussi d’implémenter une déclaration de service dans l’administration togolaise, afin de replacer le citoyen au centre de l’offre de services.
Ultimement, un état de la situation actuelle s’impose. C’est de cela qu’a besoin le peuple togolais. Le tableau comparatif de l’évolution du PIB et de la population renseigne sur l’état du Togo comparé aux autres pays de la sous-région. Il se veut surtout un rappel à ceux qui penseraient que c’est un exploit gouvernemental, si le budget du Togo a dépassé récemment les 2000 milliards FCFA. Les faits sont têtus. Ainsi depuis 1980, si le budget du Togo a été multiplié par 7, celui du Bénin l’a été par 12, celui du Burkina Faso par près de 10, celui du Ghana par près de 17, le Mali environ 11 fois et ainsi de suite; pour une progression de la population dans presque les mêmes proportions. Notre pays doit mieux faire.
Les «MUST» pour un Togo viable pour les générations :
La Banque mondiale alertait sur le fait qu’il y a un taux de pauvreté de 65%, mais il reste deux fois plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain et que seulement 46,9% de la population a accès à l’électricité, et encore là. La une population très jeune où les 14 ans et moins font environ 41% de la population totale. Cette démographie est un bonus quand c’est valorisé, autrement elle constituerait un goulot. Plus ou moins 80% des Togolais sont nés sous le règne des Gnassingbé. Malgré l’absence de politique structurelle, le secteur primaire contribue au PIB pour 22% (2020); le secteur secondaire pour 23% et le secteur tertiaire pour 55%. Le secteur informel est responsable de plus de 50% de la valeur ajoutée à l’économie togolaise. Alors les citoyens n’ont pas forcément la présence souhaitée de l’État. Le potentiel du pays est énorme.
Il faut de l’engagement patriotique et de la vision pour faire de la terre de nos aïeux l’Or de l’humanité. Par contre, réduire la pauvreté ne réside pas dans des actions sporadiques de transferts de quelques milliers de FCFA, et encore là à qui réellement, mais plutôt dans la construction d’un engrenage structurant dans une gouvernance transparente et avisée.
Jusqu’ici des annonces se succèdent sans concrétisations adéquates; notamment le FNSI, DOSI, DSRP, SCAP, PUDC, les projets de filets sociaux et services de base et d’opportunité d’emploi pour les jeunes vulnérables, le PND (Programme National de Développement 2018-2022) qui devait créer 1 million d’emplois, dont 500 000 directs, 50% de taux de bancarisation, etc.
- Les infrastructures d’assainissement :
C’est presque de la vétille, alors que nous avons un taux d’urbanisation très élevé et en forte progression. Les plans d’aménagement, de viabilisation sont requis, et leur implémentation doit être sans concessions. L’État togolais a failli complètement sur ce volet. Pourtant, quand Faure s’était imposé aux Togolais en 2005, il avait dans son pamphlet « les 20 plus de Faure » mentionné qu’il allait entamer de grands travaux, dont des logements pour tous et l’assainissement à Lomé en particulier.
- L’énergie :
Il est acquis que l’économie, c’est de l’énergie transformée. Alors la clé du développement économique est simplement une énergie abondante et bon marché. Malheureusement, le Togo n’a été aussi en manque d’énergie qu’actuellement. Ça va de mal en pis et il n’y a aucune lumière à l’horizon.
Il y a eu pourtant des projets financés à coup de milliards de franc CFA, qui ne sont pas fonctionnels ou plus ou moins et personne n’est imputable. On a par exemple, la centrale « Kékéli Efficient Power » inaugurée en avril 2021 pour augmenter de 50 % la capacité de production électrique ; la centrale Contour Global fuel HFO inauguré en 2010, la centrale solaire photovoltaïque de Blitta (50MW), le projet KAMADAMA (310 km de line dans le septentrionale); l’initiative CIZO qui est projet d’électrification rurale de 317 localités par de mini-réseaux solaires. Après tout, le délestage tisse sa toile de plus en plus.
- Le transport et la logistique :
Il y a une carence endémique d’infrastructures routières, ferroviaires, fluviales, etc. Par exemple, malgré l’avantage du port de Lomé comme le seul en eau profonde de la sous-région, les connexions tant à l’interne que vers l’Hinterland sont chimériques. Donc, des atouts qui s’évaporent sans contreparties, cependant le Togo est dans un cycle inquiétant d’endettement vide. Cela hypothèque grandement sa capacité de RESET. En avril 2005, Faure Gnassingbé promettait de réaliser en 5 ans l’Autoroute sud-nord « Fleuve de l’Espérance » avec à la clé 100000 emplois.
Le Togo est l’un des rares pays sans transport ferroviaire, qui est un incontournable d’un développement structurant. Imaginons un peu un chemin de fer Lomé-Cinkassé ou minimalement Blitta. Les retombés seront énormes en termes de désenclavement de multitudes de localités. Et si en plus, les grands axes routiers nationaux (les N) sont aussi construits comme tels, le miracle togolais se produirait par l’effet multiplicateur. Selon les données disponibles pour le 1er trimestre 2020, environ 2 101 km de routes nationales sont revêtus et 1 473 km de voiries urbaines; 1 294 km de routes nationales sont non revêtues et 6 802 km de pistes rurales. L’engagement était alors de réduire le nombre de routes délabrées de 49% à 40% et de bitumer plus de voies à l’horizon 2022. Nous sommes en avril 2024 et chacun peut faire le constat.
- L’éducation et la formation :
Le système éducatif togolais est jusqu’ici plus excentré et encore là non actualisé. Il fabrique principalement des instruits, au lieu d’être une fabrique de compétences, un incubateur de vocations, de génies. En 2005, Faure Gnassingbé avait promis 5 000 nouvelles classes. Pire, on retrouve des écoles peintes aux couleurs du parti UNIR, contre tout bon sens. Cette situation est l’illustration de la conception qu’on fait du bien public au Togo des Gnassingbé. Un état général de l’enseignement est incontournable.
- Agriculture et transformation:
La base est la recherche et l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire, sans laquelle rien de structurant ne saurait se construire. Au Togo l’agriculture emploie 62,5% de la population active, surtout dans le secteur informel. Toutefois elle n’est pas mécanisée, malgré son potentiel.
Il faut agir avec diligence sur ces différents leviers, car l’heure est grave. Selon l’ETD (Entreprise Territoire et Développement) 89% des superficies cultivées sont emblavées avec du matériel aratoire et seulement 1% des exploitations sont équipées d’un tracteur, 25% des exploitations bénéficient d’un appui technique. L’utilisation d’engrais concerne 16% des cultures, les semences améliorées sont utilisées dans moins de 3% des cultures vivrières. Aussi, seuls 12% des ménages ont accès au Crédit Agricole, en plus l’exploitation agricole est tournée vers l’autoconsommation et est faiblement monétariste.
Comment comprendre alors que le Togo qui exploite des gisements de phosphate à ciel ouvert depuis 6 décennies n’a pas d’unités de fabrication d’engrais, si ce n’est l’absence de vision à son paroxysme. Le Burkina Faso en a par exemple.
- La Santé et le volet social :
Il y a un manque criard d’infrastructures dans le système sanitaire togolais, qui est l’un des plus précaires dans la sous-région. On note un nombre limité d’hôpitaux publics, d’équipements et de personnel soignant qualifié. Non seulement la prise en charge médicale est à la charge des malades, mais des fois il faut débourser avant la consultation ou les soins. Une couverture maladie universelle serait entrée en vigueur depuis janvier 2024, cependant le citoyen lambda attend son effectivité.
Toujours dans son document « les 20 plus de Faure » de 2005, Faure Gnassingbé mentionnait vouloir doubler le budget de la santé. Toutefois, selon l’OMS, la part du budget de la santé a régressé de 9,1% à 5,3% du budget général entre 2002 et 2012. Et cette régression est persistante, loin du seuil des 15% préconisés dans la Déclaration d’Abuja en 2000. Pire, 36,5% des dépenses publiques de santé sont des dépenses de fonctions administratives, un record en Afrique de l’Ouest.
- Les richesses naturelles (mines, hydrauliques, halieutiques, etc.)
Le Togo détient des ressources comme le phosphate à Avéta, Dagbati, Hahotoé, Kpogamé, Bassar, Pagala; la chromite dans le massif Kabyè et à Haïto; le manganèse à Nayéga; les calcaires à Tabligbo et à Tokpli; les argilites à Avéta, les tourbes à Agouégan, le cuivre, le nickel, le chrome et l’aluminium dans les massifs Agou et Kabyè; l’or dans l’Atakora, Agbandi et Pagala; le marbre à Gnaoulou; l’uranium à Niamtougou, le fer à Bandjéli, etc. Sur le plan géomorphologie, hydrologie, on a les systèmes lagunaires, lacs, rivières et fleuves (Zio, Haho, Mono, Anié, Ogou, Oti, la Kara, le Kéran, le Koumougou, etc. Certaines d’elles sont exploitées, sans qu’on retrouve distinctement les apports dans le budget national.
- La lutte contre la corruption :
- Abdoulaye YAYA, Président de la Cour Suprême, a dénoncé à plusieurs reprises la corruption endémique au Togo, sans résultat. Finalement il ne put s’empêcher de déclarer que « la minorité pilleuse qui a été dénoncée dans ce pays est devenue une majorité prédatrice tentaculaire, et à cette allure, personne n’est en sécurité…». Et le 13 décembre 2023, il s’était encore évertué à dénoncer la corruption dans le système judiciaire togolais. Curieusement, selon les bouts de textes de la nouvelle constitution, la Cour suprême passerait son tour. On verra ce qu’il en est! Pourtant déjà en avril 2012, le Chef de l’État Faure Gnassingbé dénonçait la minorité pilleuse. C’est d’autant plus ahurissant que cette minorité se répand dans l’impunité la plus abjecte. C’est le « free for all ».
On dénombre une kyrielle des scandales qui se succèdent sans que des coupables ne soient amenés à rendre des comptes. Ce sont généralement les sonneurs d’alertes qui sont poursuivis. On peut citer pêlemêle, les fonds FER, de la SNPT, de la FTF, le PAT, Togo-Telecom, la NSCT, la CEET, la route Lomé-Vogan-Anfoin, l’OTR, le Petrole-Gate, «Wacemgate», les scandales de rétrocommissions lors des passations de marchés, en particulier dans les travaux publics, les fonds COVID-19.
Jusqu’à la constitution secrète contrainte du 19 avril 2024, Faure Gnassingbé avait le pouvoir plus qu’absolu, sans pouvoir imposer une vision pour le Togo et lutter contre la corruption endémique. Est-ce que c’est le changement de régime politique qui constituerait une potion magique?
Peuple togolais, il y a du bon dans ce monde, et il faut se battre pour y arriver.
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » numéro 0056 du 25 avril 2024