Il faudrait peut-être ajouter qu’en Afrique francophone, les filières d’import/export et les attributions conséquentes de marchés sont gangrénées par le népotisme, la corruption et le clientélisme d’affaires au point de constituer de gros handicaps pour les politiques d’import-substitution ou de transformation sur place des produits du cru. Des progrès ont toutefois été accomplis en Côte d’Ivoire et d’autres avancées sont en perspective. Tout semble dramatiquement au point mort dans l’hyper riche Guinée-Conakry par exemple, aussi bien dans le secteur agricole que dans le secteur minier.
En effet, ceux qui ont le quasi-monopole du commerce extérieur des produits qui structurent l’économie (pétrole, minerais, denrées alimentaires comme le riz, le blé, …) ont rarement intérêt à voir une autre politique mise en œuvre que celle qui leur garantit des rentrées financières confortables et sans risques ; tant pis pour les autres et leur pouvoir d’achat, tant pis aussi pour la redistribution des revenus et le progrès social. Les francophones africains sont champions de ces politiques économiques prédatrices de l’intérêt général ; les anglophones le sont de moins en moins car le fait est dénoncé, me semble-t-il, grâce aux avancées démocratiques.
Un homme d’État comme l’ex premier ministre de Malaisie a su sans doute se faire violence dans les situations de conflits d’intérêts pour pouvoir imposer une vision moins prédatrice de l’intérêt général que ce qui est ordinairement vécu en Afrique noire au sud du Sahara. Il faut noter qu’il avait tout d’un politique intègre. Enfin, autre qualité majeure : il a volontairement quitté le pouvoir au plus fort de sa popularité.
Soixante ans après les indépendances, même les conflits d’intérêts les plus manifestes laissent encore indifférents dans l’espace public francophone et font énormément de torts au progrès économique et social ; des dépositaires de pouvoirs politiques et leurs proches qui sont notoirement dans les affaires au vu et au su de tous, des attributions véreuses de marchés publics aux proches et lèches-cul du pouvoir en place etc. ne peuvent produire que pillages et scandales et jamais faire prospérer une nation sur le modèle asiatique.
L’Umoa a eu 60 ans ce 12 mai 2022
L’Union monétaire ouest africaine (Umoa) a bouclé ce jeudi 12 mai 2022 ses 60 ans ; il ne faudrait surtout pas la confondre avec l’Uemoa ou Union économique et monétaire ouest africaine dotée d’une Commission éponyme chargée de coordonner les politiques budgétaires et fiscales en soutien à la politique de la monnaie, du crédit et des changes des États-membres de … l’Umoa. L’Umoa n’est pas l’Uemoa, chacune ayant son traité, ses objectifs, ses organes et sa gouvernance. Néanmoins, sans adhésion préalable à l’Umoa, nul État ne peut faire partie de l’Uemoa ; c’est une condition sine qua non.
Le signe monétaire franc CFA, sa convertibilité et son taux de change fixe par rapport à la monnaie d’un partenaire-clé de référence, assorti de compensations financières en cas de dépréciation de la monnaie du partenaire-clé dans le rôle de garant, la mutualisation des réserves de change des pays-membres et leur gestion par une seule banque centrale constituent en substance les principaux marqueurs de cette Union monétaire avant-gardiste qu’est l’Umoa. Six pays étaient signataires de son traité originel, rejoints bien plus tard par deux autres. Le principe de fixité du taux de change, assorti d’une garantie de convertibilité illimitée du signe monétaire franc CFA, fait régulièrement l’objet autant de quiproquos, de controverses que de critiques depuis une quarantaine d’années.
Le parcours de l’Umoa est incontestablement élogieux, sauf pour un anti franc CFA primaire, c’est-à-dire un contempteur par principe de son signe monétaire symbole. À son corps défendant toutefois, il faut relever que le bel ouvrage de l’Umoa que constitue sa banque centrale unitaire se retrouve trop facilement, de fait comme de jure, sans Gouverneur pour des raisons improbables ; de même, des États-membres sont exclus des organes de gouvernance ainsi que des services financiers et de changes de l’Union, non pour irrespect des textes en vigueur mais comme suite à de sombres instructions politiques y compris venant de la lointaine et concurrente Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ; enfin, quelle différence de taille dans la qualité des gouvernances macroéconomiques d’un État-membre à l’autre, au point de décrédibiliser ses principaux marqueurs que sont notamment le signe monétaire franc CFA et ses règles de fonctionnement !
Les fondamentaux du traité de l’Umoa depuis ses débuts sont de bâtir un vivre ensemble monétaire et solidaire permettant un développement harmonieux et équilibré des États-membres ; ils n’ont guère changé en dépit de multiples mises à jour du traité originel. Pour davantage de pertinence des dispositions de ce traité historique du 12 mai 1962, les nécessités de terrain ont conduit à envisager, dès les années 1970, puis plus tard dans les années 1990, d’abord une ou plusieurs institutions de financement du développement puis ensuite, une organisation à même d’amener les États-membres à se doter de politiques budgétaires et fiscales vertueuses et non concurrentes.

C’est ainsi qu’a vu le jour la Banque Ouest Africaine de Développement (Boad), chargée de financer un développement équilibré entre les États-membres. Jusque-là, c’est la Bceao qui se chargeait des financements structurants, notamment en accordant des concours à long terme aux États membres (qui lui présentaient des projets de développement) au titre des dispositions de l’article 15 de ses Statuts. La Commission de l’Uemoa sera créée bien plus tard après la Boad, en application de pertinentes dispositions d’un nouveau traité fondateur, cette fois-ci de l’Uemoa, en charge de l’harmonisation des politiques économiques et fiscales. Le traité de l’Uemoa complète in fine le vivre ensemble monétaire du traité de l’Umoa, conçu trente ans plus tôt entre États nouvellement indépendants, par un projet de vivre ensemble économique et fiscal.
En l’absence de communication et de secrétariat dédiés, l’Umoa demeure peu connue soixante ans après son lancement. Outre le signe monétaire franc CFA et sa banque centrale émettrice qu’est la Bceao, le patrimoine de l’Umoa englobe des règles génératrices de l’émission uniformisées, un cadre également uniformisé de politique de la monnaie, du crédit et des changes, une solide réglementation bancaire et prudentielle, une réglementation harmonisée des transactions financières, une mutualisation éprouvée des réserves de change, une banque centrale structure-conseil des États en matière de gestion de la dette publique, un impressionnant corpus juridique et un vécu soixantenaire etc. Bien qu’en butte à divers chocs délébiles aussi bien exogènes qu’endogènes, l’Umoa promeut bon an mal an avec réussite un vivre ensemble monétaire et solidaire.
Vilévo DEVO