Professeur Feu Sey-Sandah Lantam-Ninsao
Né en 1943 et Endormi dans le Seigneur le 03 janvier 2025
La présidentielle projetée intervient dans le cadre de la vacance présidentielle organisée par l’article 65 de la Constitution togolaise (adoptée par référendum le 27 septembre 1992 et révisée en 2002) en vigueur au moment du décès du Chef de l’Etat, Général Gnassingbé Eyadéma. C’est contre cette disposition que le coup d’Etat militaire a été perpétré ; la contestation conjuguée du peuple togolais et de la communauté internationale, (CEDEAO, UA, UE, ONU, OIF …), a visé et atteint au rétablissement de cette disposition constitutionnelle relative à la conduite de l’intérim présidentielle par le Président de l’Assemblée Nationale ; cette charge de président intérimaire est attribuée au Président de l’Assemblée Nationale au titre de sa fonction et non pas en raison de sa personne.
Il est évident que la démarche adoptée par l’Assemblée Nationale togolaise pour satisfaire à notre exigence de retour à la légalité constitutionnelle ne nous contente pas politiquement ; mais du point de vue légal, en fonction même de notre propre démarche qui laissait de côté, à tort à mon sens, la forfaiture elle-même du coup de force, la destitution de Fambaré Ouattara Natchaba et l’élection de son deuxième vice, El-Hadj Abbas Bonfoh à sa place au poste de président de l’Assemblée Nationale, chargé de conduire l’intérim présidentiel, ne souffre d’aucune contestation valable ; tout cela a été fait conformément à la Constitution, (art. 54) et au Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, (art. 15) ;
Par ailleurs, il convient d’avoir clairement à l’esprit que le contentieux relatif de l’intérim présidentiel est essentiellement d’ordre institutionnel ; il ne relève pas de la longue crise politique que traversait le Togo au moment de la mort du Chef de l’Etat ; c’est un événement accidentel qui s’ajoute ou se superpose à la crise antérieure sans pourtant se confondre avec elle ; l’intérim présidentiel a ses enjeux spécifiques ; vouloir confondre cette crise accidentelle avec la crise antérieure pendante, dans le seul but, bien louable, de résoudre en une seule opération ou en un seul tour de main les nombreux et épineux problèmes politiques du Togo, c’est aller droit à l’impasse, c’est compliquer inutilement des choses simples ; c’est même brader une précieuse opportunité de sortir pacifiquement de l’impasse récurrente !
la diversité des enjeux et le poids des facteurs subjectifs
Le jeu politique au Togo n’est pas aussi simple qu’on le présente souvent ; les facteurs subjectifs sont plus déterminants que les considérations objectives ; au-delà de la fracture opposition démocratique/dictature RPT, se profilent d’autres antagonismes tout aussi significatifs qui structurent les opinions, modulent les attitudes et conduisent les actes des protagonistes ;
L’opposition démocratique est confinée dans les partis politiques, marginalisant et les citoyens et la société civile organisée; or, les partis politiques sont traversés par des conflits de leadership qui opposent leurs Chefs, rendant difficile sinon impossible l’union de l’opposition face au RPT ; quand les leaders affichent publiquement leur unité, ils agissent égoïstement en secret pour se télescoper ; l’opposition commune au RPT exerce moins d’influence sur leurs décisions importantes que les conflits personnels des leaders!
Le RPT lui-même est loin d’être un bloc compact ; il connaît aussi des clivages et des luttes de factions (Nord/Sud, réseaux ethniques voire claniques, groupes d’intérêts économiques etc.) qui ont favorisé longtemps le despotisme personnel du Général Eyadéma ;
A l’opposition comme au RPT “travaillent” donc des ferments ethnicistes, claniques et régionalistes qui atteignent même des pics de fermentation avec l’entrée en jeu des “localismes” ataviques du genre : mina/watchi, bassar/tapou, lama/pya etc. ; l’inculture politique exacerbe les passions !
L’armée elle-même, se trouve être à l’image de ce tableau profondément marqué par une excessive segmentation des pensées, des sentiments, des réflexes émotionnels et des actions subséquentes ; la Passion domine la Raison !
Toutes ces sombres réalités nuisent à la cohérence idéologique pourtant indispensable à une organisation rationnelle de la lutte patriotique autour des valeurs universelles stables : Liberté, République, Citoyenneté, Démocratie, Etat de droit, Egalite, Justice etc. ; ces divisions marquent profondément les opérations électorales au Togo, principalement celles qui touchent à la dévolution du pouvoir présidentiel : le Président au Togo a un double statut, l’un officiel et l’autre officieux ; officiellement il est le Président de la République, une et indivisible, donc le Président de tous les Togolais ; mais officieusement il est perçu par tous comme le Président de telle ou telle composante de cette nation mal intégrée !!
Ces facteurs structurants nocifs cachent à notre intelligence la réalité sociologique du régime oligarchique à caractère féodal du RPT qui, il faut le rappeler sans cesse, recrute pourtant ses barons et ses adeptes dans toutes les composantes de la Nation, (régions, ethnies, clans, groupes socioprofessionnels, couches sociales etc.)
Il suit que l’élection du président au Togo est une opération politique laborieuse, faite d’intrigues et d’alliances inattendues, souvent de contre nature, qui défient la Raison ! Ignorer cette cruelle réalité, c’est jouer au Don Quichotte (…)
Les conditions légales d’éligibilité
La principale exigence de la contestation contre le coup d’Etat militaire a été le rétablissement de l’ordre constitutionnel ; tout le monde admet désormais que cette exigence a été satisfaite avec la démission de Faure Gnassingbé, le retour aux dispositions constitutionnelles modifiées par l’Assemblée Nationale et le remplacement de Fambaré Natchaba par Abass Bonfoh pour conduire l’intérim présidentiel jusqu’à l’élection du nouveau Président de la république, dans les conditions prescrites à cet effet par la Constitution.
L’élément central de cette exigence est le respect rigoureux de la Constitution de 1992 telle que modifiée en décembre 2002
C’est cette Constitution qui était en vigueur lors du décès du Chef de l’Etat ; c’est contre elle qu’a été perpétrée le coup d’Etat militaire ; c’est son rétablissement que nous avons demandé et obtenu ; Or, cette Constitution contient des dispositions relatives à l’élection présidentielle qui excluent la candidature :
– des citoyens ayant la double nationalité, c’est-à-dire qui ne sont pas exclusivement de nationalité togolaise par naissance ;
– des citoyens n’ayant pas séjourné sur le territoire national les douze derniers mois précédant le scrutin ;
Que ces dispositions soient iniques, personne ne les conteste, y compris même ceux qui les ont introduites dans la Constitution, avec l’intention avérée d’exclure certaines personnes bien déterminées : tous les opposants “présidentiables” en exil, avec Gilchrist Olympio et Kofi Yamgnane en tête ! mais le fait est là, incontournable, aussi longtemps que le RPT radical sera au pouvoir, (avec l’appui indéfectible de la FrançAfrique et de la Chiraquie), et exercera un contrôle exclusif sur les mécanismes législatifs ! Le résultat est que pour la présente élection, ni la candidature de Gil, ni à Kofi, ni celle d’aucun “présidentiable” résidant à l’étranger depuis 12 mois, ne sera reçue ! elles sont bel et bien anticonstitutionnelles, sauf modification de ces dispositions d’exclusion et tout le reste n’est que blablabla… ;
Or, justement, l’article 144 alinéa 5 de la même Constitution dispose expressément que “aucune procédure de révision (constitutionnelle) ne peut être engagée ou poursuivie en période de l’intérim ou de vacance …”. Et tel est le cas en ce moment ! C’est aussi en vertu de cette disposition que nous avons contesté la révision de l’article 65 de la Constitution par l’Assemblée Nationale pour permettre à Faure Gnassingbé de terminer le mandat de son père défunt ; de même c’est pour assurer le respect rigoureux de la Constitution que nous avons contesté le coup d’Etat militaire qui contrevenait à de nombreuses dispositions qui fondent notre régime républicain, démocratique et d’Etat de droit, notamment l’article 4 relatif à la souveraineté, les articles 45 et 148 protégeant la forme républicaine et l’ordre démocratique de notre régime et l’article 150 qui légitime la résistance citoyenne aux coups de forces contre notre régime constitutionnel ; il ne peut pas y avoir en ce domaine deux poids deux mesures ! il y va de la cohérence et de la crédibilité de nos pensées, de même que de celles de nos actions visant à les traduire dans la réalité ; il convient en ce domaine, pour la vérité et pour la justice, de garder une constante rectitude dans nos jugements et nos actions !
A suivre
Extrait de la note politique du 19 mars 2005
« TAMPA EXPRESS » numéro 0070 du 19 février 2025