Tantôt, leur discours est celui d’un chef de guerre, chef d’état populiste et faussement rassembleur ; tantôt, c’est une parlotte de démocrate pour promouvoir une démocratie multipartiste somme toute véreuse dont l’unique finalité est d’assurer un renouvellement automatique, même chahuté, du mandat présidentiel.
Les Chefs d’État en Afrique au sud du Sahara travaillent à fond les apparences en évitant d’être perçus de nos jours comme des candidats uniques aux élections présidentielles ; pour ce faire et pour les besoins de la cause, ils alignent quelques concurrents fantoches et un adversaire bon teint, pour la communauté internationale, qui aura passé plus de temps à échapper aux tentatives d’atteinte à son intégrité physique et morale qu’à animer sa campagne électorale. À ce jeu pervers, cousu de triches de tous ordres, ils jouent jusqu’à ce que plus fûtés et tout aussi chanceux prennent leur place par voie de putsch militaire avec les mêmes arguments fallacieux. En effet, même la grande muette a perdu sa vocation, suscitant en son sein et jusqu’au niveau de la troupe des envies irrésistibles d’assumer, le pistolet bien accroché au ceinturon, une fonction présidentielle bâclée au fil du temps. Mais les nouveaux venus, par voie d’illégalité, versent presque tous et très tôt, une fois aux affaires, dans la mal gouvernance et affichent leur incapacité à faire des résultats dans l’intérêt général.
À moins de s’appeler Thomas Sankara, aucun Chef d’État putschiste n’a vécu ou ne vit de son salaire de fonctionnaire qu’au demeurant personne ne connait. Un bémol toutefois avec l’atypique Togo, où il a été entendu de la bouche même du président de la république en fonction, feu Etienne Gnassingbé Eyadéma, qu’il ne touchait que sa solde de militaire ; parole de politicien doublé de putschiste bien sûr, au regard des besoins de la prolifique descendance du concerné et des révélations concernant son successeur de fils déjà propriétaire immobilier en France selon des sources journalistiques bien informées alors même qu’il n’était qu’étudiant. En Afrique de l’ouest francophone, il faut remonter aux présidents Senghor ou Diouf et au modèle sénégalais sans coup d’État pour trouver des caisses noires présidentielles à usage exclusivement public. Autre temps et dorénavant en tout lieu, l’occupant du fauteuil de 1er magistrat a vite fait de réserver un usage privé auxdites caisses, véritable caverne d’Alibaba, saisissant à tout le moins l’occasion pour agrandir sa demeure personnelle et sa cour de courtisans. Tous deviennent immensément riches en deniers publics, embourbés dans des conflits d’intérêts évidents si ce n’est dans la corruption passive ou active. Le cas d’école pourrait être celui de Sani Abacha, cet ex Chef d’État putschiste nigérian doublé de dictateur et soupçonné de vie dissolue avec des prostituées, qui a volé et caché avec sa famille, au détriment de son pays, des sommes d’une telle importance qu’elles n’ont pas encore finies d’être récupérées deux décennies et demie après la disparition de l’intéressé.
Ils restent dix, quinze ans ou davantage au pouvoir pour eux-mêmes et jamais une seule année pour la République et la Nation car ils n’ont pas cette capacité, à de rares exceptions près, de leader dont ils s’affublent. Faute de processus compétitif, des sortis de nulle part devenus Chefs de l’État cassent la baraque en activant le tribalisme, le népotisme, les achats de conscience, le diviser pour régner et la corruption à des fins personnelles. Souvent, après de bien longues et difficiles années passées au pouvoir, le constat est un gâchis extraordinaire d’occasions perdues pour le progrès social et la cohésion nationale.
Que d’assassins ou de complices d’assassins au pouvoir ! Rien qu’en Afrique de l’ouest, plus de quarante coups d’état recensés souvent avec mort d’hommes depuis les indépendances. Comme nulle part au monde personne ne juge un président en exercice, le temps ne s’arrête jamais en Afrique pour s’occuper des dossiers de Chefs d’État assassins ou coupables de complicité d’assassinat ou de corruption.
Ainsi, les Chefs d’État en Afrique au sud du Sahara s’accrochent au pouvoir en abusant notamment de sophismes sur la démocratie. Plus ils s’accrochent, plus la permanence de leur administration devient suspecte. Leurs prises de position sont de plus en plus mensongères et déconnectées de l’intérêt du pays en raison de la spirale insensée dans laquelle ils s’empêtrent à cause d’affaires de corruption, de conflits d’intérêts, d’assassinats gratuits, d’échecs macroéconomiques symbolisés par l’effondrement des pouvoirs d’achat et la banalisation de la pauvreté. À défaut de légalité, vertement contestée et rudement rétablie à tous les coups dans le cénacle politique, ils se donnent les moyens de rester au moins légitimes, non pas pour apporter des solutions à la construction de la nation, mais pour étouffer et toujours briser toutes formes de contestation et surtout toutes forces organisées.
L’armée est surveillée comme du lait sur le feu, les faiseurs potentiels de coup d’État étant étouffés à jamais dans l’œuf au moindre soupçon justifié ou pas. Le multipartisme, outrageusement de façade, est dévoyé via des textes sur mesure et des acteurs instrumentalisés pour servir de faire-valoir. Au mépris de leur vocation et formalisés sans âme, les syndicats et la société civile cessent tout apport au débat public : ils sont muets et apeurés ou complices consentants des dérives de ceux qui exercent la réalité du pouvoir d’état.
En dépit d’un acharnement à démanteler toute velléité de discernement et à convertir tous les esprits en courtisans, il arrive fort heureusement qu’un vilain grain de sable vienne gripper le parcours de ceux qui n’ont de cesse de forcer leur légalité ou leur légitimité et qui, normalement dans un État de droit, auraient dû finir en prison pour corruption ou assassinat ou complicité d’assassinat ou outrage à la Constitution.
En effet, parfois le passé rattrape les plus malchanceux car les faits peuvent se révéler têtus. Ils n’ont guère le temps de se couvrir d’amnistie en travestissant totalement la vérité, en mentant de manière éhontée ou en passant impunément de vie à trépas. Ils s’agitent sans convaincre, conçoivent un nouveau discours de réconciliation que des années de pouvoir sans partage n’auront pas permis de rédiger et encore moins de traduire dans les faits. L’ancien putschiste Blaise Compaoré, déchu de son piédestal de Chef de l’État burkinabè, fait partie de ces malchanceux ; en outre, il est une parfaite illustration du Chef d’État africain au sud du Sahara dans le style “après moi le déluge“. Effectivement, Blaise Compaoré se soucia peu de fin inéluctable de règne, peu de République sans sa modeste personne et absolument peu des séquelles en veilleuse causées par les conditions de sa succession à feu Thomas Sankara en qualité de Chef de l’État burkinabè.
Tom Sank, entendez Thomas Sankara, le prédécesseur de Blaise Compaoré le malchanceux en quête d’impunité et d’amnistie, ne fit que quatre ans avant d’être dégagé sans ménagement pour des nécessités de rectification d’un idéal politique qu’il imposait quoi qu’il en coûte ; il finit par en agacer plus d’un. Mais parce qu’il a eu raison, contre tous et trop tôt, son idéal panafricain séduit toujours trente-cinq ans après sa disparition, au point de contraindre ses assassins à vivre cachés ou dans le mensonge vu qu’ils sont couverts d’opprobres.
Voilà en 2022 une lecture de l’Afrique des Chefs d’État au sud du Sahara, en déficit évident de leaders pertinents et de leadership. Une demi-douzaine d’entre eux sur une cinquantaine échappe toutefois à ce déprimant narratif : c’est vraiment peu.
Vilévo DEVO