Les peuples bassar-konkomba appartiennent à une civilisation du fer. Leurs ancêtres métallurgistes ont développé la technologie de la fonte, celle de la forge. Le fer, élément de domination qui a suscité et suscite la convoitise leurs a permis de rayonner longtemps sur l’ensemble de la sous-région. Le Grand Bassar est très riche en potentialités culturelles et linguistiques.
Les potentialités culturelles
La culture des Btchimb est riche et variée, mais malheureusement mal exploitée. Ses éléments sont constitués par la conception de la vie humaine et de sa dimension sociale, la relation de l’Homme avec les mondes invisibles, la nature environnante, les valeurs cardinales qui donnent le sens à la vie de l’être et de la collectivité, le travail et sa finalité, la richesse et la pauvreté, le sacré et le profane. Nous allons passer sommairement tous ces éléments.
La conception de la vie humaine et de sa dimension sociale
Pour les bassar-konkomba, l’être humain est sacré car il n’est pas le produit de la nature. Il est une créature divine et porte la marque de son créateur Dieu qu’il représente dans l’univers visible. En tant que tel, l’Homme a reçu la mission de révéler la volonté, les caractères et les desseins de Dieu à l’ensemble de la création du monde visible qu’il est aussi chargé d’administrer pour le compte de Dieu. Leurs ancêtres ont légué un art et une culture guerrière à laquelle se trouve associée cette mystique de l’homme c’est-à-dire on ne commet pas impunément le meurtre, d’où les rites de purification qui l’accompagne toujours. L’art de la guerre ne doit servir dans cette tradition qu’en situation de légitime défense. Voilà pourquoi l’on considère chez les bassar-konkomba que la vie humaine se prolonge au-delà de la mort, car à sa mort l’Homme retourne à son créateur pour lui rendre compte de la manière dont il a vécu ici-bas. Toujours pour la même raison attenter à la vie humaine revient à attenter à la vie de Dieu lui-même. Ils affirment néanmoins l’existence d’un univers intermédiaire entre l’Homme et Dieu composé des êtres spirituels notamment les esprits des défunts humains et des esprits de la nature environnante.
La relation de l’Homme avec les mondes invisibles, la nature environnante
En effet, pour les bassar-konkomba, la vie ne s’arrête pas aux êtres humains, aux animaux et aux végétaux tous créatures de Dieu, et animées par l’esprit de vie venant de Dieu. Mais ils établissent une hiérarchie de sacralité qui commence par Dieu au sommet, ensuite les esprits des hommes décédés ayant été agréés par Dieu, les divinités organisées en confrérie avec des charges particulières (les esprits de l’air, les esprits des eaux, des forêts, des montagnes etc…). Les bassar-konkomba sont les fils d’une des traditions mystiques les plus complètes qui puisse exister. Ils sont dépositaire de la culture du feu. Maîtriser l’art et l’esprit du feu, suppose que l’on a préalablement maîtrise des forces telluriques (la terre), les esprits de l’eau et ceux de l’air. Le symbolisme du feu dans la tradition mystique et ésotérique est le plus haut degré dans tous les sentiers initiatiques. Le feu est l’élément purificateur par excellence: il favorise la réconciliation de l’individu avec lui-même (santé physique ou morale), le groupe (différentes formes d’oppression) et Dieu (besoin de l’absolu) ; il favorise surtout la réconciliation du groupe avec lui-même (recherche de l’harmonie et de l’équilibre social par l’expiation du mal). T’Bol, la danse du feu en pays bassar-konkomba est la facette visible de cette réalité. Ainsi donc l’Homme est inséré au milieu d’un vaste réseau de relation qui relie les mondes visibles et les mondes invisibles et la gestion de ces relations se trouve être sa principale tâche de mandataire de Dieu dans l’univers. Sa paix et son bonheur en est conditionné. Il devra en rendre compte à qui de droit de son vivant et après sa mort. En clair la notion du bien et du mal est définie en fonction de cette conception globalisante de la vie. C’est sur les fondements de cette conception que les ancêtres bassar-konkomba ont élaboré leur échelle des valeurs.
Les valeurs cardinales qui donnent le sens à la vie de l’Homme et de la collectivité
Les bassar-Konkomba considèrent l’être humain dans sa triple dimension d’individu, d’émanation divine et de membre d’une collectivité. En tant qu’individu, il est unique, irremplaçable, ayant une mission personnelle unique dont il est comptable devant les mondes invisibles et visibles. De même il est responsable de son honneur, de son bonheur, de sa sécurité personnelle, ainsi que de l’honneur, du bonheur, de la paix et de la sécurité de la collectivité dont il est membre. Aussi est-il comptable de de ses paroles, ses pensées, sentiments et actes devant lui-même, devant sa communauté et ultimement devant le Maître suprême de la Vie, Dieu créateur !
C’est pour cette raison que les bassar-konkomba ne dissocient jamais l’Homme ni de ses collectivités (famille, lignage, clan, tribu … pays royaume ou empire), ni de son environnement des mondes visibles (terre, faune, flore eau, air …) et des mondes invisibles des esprits. Sa vie, le sens et la qualité de celle-ci ainsi que celle de sa collectivité dépendent rigoureusement du respect qu’il porte à tous ces éléments. Aussi l’éducation morale, civique et religieuse qu’il reçoit à toutes les étapes de son existence a-t-elle pour but sacré est de le porter à cette dimension de l’individu et de membre solidaire de sa société. Il s’acquitte de ses devoirs à travers son action et son statut social !
Le travail et sa finalité, la richesse et la pauvreté
Le travail est considéré par les bassar-konkomba comme la voie noble par laquelle l’individu s’insère dans la société des hommes et forge les éléments concourant à son statut social. Il est le principal instrument de mesure de son caractère moral et civique, de son respect des autres et du divin créateur. Par le travail l’Homme manifeste dehors ses qualités invisibles : courage, honnêteté, bonté, gratitude, solidarité responsabilité etc.
Pour toutes ces raisons l’on considère ici le travail comme la source quasi-unique de toutes les vertus. Voilà pourquoi, disent-ils, Dieu confie les richesses à ceux qui s’adonnent au travail. Le riche (Ougadja) n’est pas uniquement le possédant d’abondantes richesses, c’est le possédant vertueux et généreux.
En revanche, la paresse qui est la dénégation du travail, est perçue comme mère de tous les vices. Elle est la principale cause de la pauvreté matérielle et l’indigence morale. Le vrai pauvre, celui qui l’est légitimement, est l’homme atteint d’un handicap physique ou mental profond (Ouwofou) qui l’empêche de travailler pour pouvoir à ses besoins propres. Sa présence permet de juger du degré des qualités morales des membres de sa famille et de sa communauté. « Si l’on dédaigne de venir en aide aux faibles (Faladan) ce n’est sûrement pas aux forts que l’on assistera en cas de détresse !» dit un dicton local.
Le sacré et le profane.
Pour les bassar-konkomba, il n’est pas de différence fondamentale entre le sacré et le profane, l’acte sacré étant accompli par des gestes qu’on exécute lors des œuvres considérées comme profanes, exemple s’assoir et se lever, manger et boire, parler et se taire, travailler et récolter le fruit de son effort, se construire une maison et y habiter, partir de chez soi et demander hospitalité ou l’offrir etc. La liste de ces actes banals ou graves que l’on accomplit quotidiennement pour satisfaire nos besoins est longue. Mais ce sont les mêmes gestes et actes que nous accomplissons pour satisfaire aux obligations que nous imposent nos devoirs envers les divinités. Mieux encore, pensent les Bassar-Konkomba, aucun acte ou geste de l’être humain de ne s’accomplit en dehors des denses et serrées relations de solidarité que nous entretenons avec les mondes invisibles. Pour cette raison nos actes et nos gestes, voire nos paroles et nos pensées ne sont pas sans conséquences sur ces relations avec les mondes spirituels, ils les contentent ou les mécontentent. La sagesse consisterait à y prendre garde en faisant tout dans un esprit respectueux de la dignité de ces voisins qui nous côtoient chaque instant.
Tous ces éléments et bien d’autres encore non abordés ici constituent les fondements basiques de la riche civilisation traditionnelle que les ancêtres ont léguée aux peuples bassar-konkomba. Elle mérite d’être conservée, développée et modernisée pour s’adapter aux exigences du modernisme et devenir un véritable levier dynamique du progrès dans cette communauté. Cela est heureusement possible grâce, entre autres instrument, les langues bassar et konkomba.
Francisco Kossi Gbandi NAPO-KOURA
Extrait de « Mise à niveau institutionnel et réorganisation des ressources humaines :
Cas de la Radio Dawul, FM 88.7 Mhz de Bassar au Centre-ouest du TOGO », Mémoire de Master, 2013