Le 19 juin 2024, la Ministre Secrétaire-Générale de la Présidence, Sandra Ablamba Johnson proclama que le rapport sur le Développement Humain (IDH) 2023/2024, intitulé : « Sortir de l’impasse : Repenser la coopération dans un monde polarisé » met en lumière les progrès remarquables du Togo, qui a vu son Indice de Développement Humain passer de 0,539 en 2021-2022 à 0,547 en 2023-2024, quasiment proche de groupe des pays à indice de développement moyen (0,550). Et que le Togo se classe ainsi 1er dans l’espace UEMOA. Ailleurs, il était dit que le Togo reste ainsi premier de l’UEMOA depuis les 4 ou 5 dernières publications de cet indice. Tout semble être remarquable au Togo, du moins du point de vue des gouvernants.
Par ailleurs, selon le rapport IDH disponible au report.hdr.undp.org, le Togo avec un IDH-2023/2024 de 0,547 occupe le 163e rang sur 193 pays et est classé dans la catégorie de « faible développement humain ». Alors que son voisin immédiat le Ghana par exemple, malgré sa crise récente, a un IDH de 0,602 (145e); qui se situe dans la catégorie de « développement humain moyen ». De plus l’IDH du Togo est même en deçà de la moyenne de l’Afrique Subsaharienne (0,549). Donc le Togo avec sa 163e place en 2023/2024 a régressé dans le classement général par rapport au précédent classement IDH. Ce qui voudrait dire que, toute chose étant égale par ailleurs, les autres ont progressé aussi, et relativement mieux. Et, voyons de près la progression évoquée par la Ministre. Si l’IDH du Togo s’est amélioré de 33% entre 1990 et 2022, celui du Bénin l’est de 44%, celui du Burkina Faso de 51% et celui du Ghana de 31% sur la même période. Ce sont là les faits qu’on essaie de présenter autrement, une réalité alternative apparemment.
Et comme cela apparait toujours dans la fable, « Couvrez ce sein que je ne saurais voir… », Madame Sandra Ablamba Johnson, a présidé ce 4 juillet 2024 à Lomé, un atelier de dissémination à l’endroit des médias sur ce fameux Indice de développement humain. Ainsi de nombreux patrons de la presse togolaise et des journalistes bien taillés sur mesure ont été rassemblés dans une somptueuse salle de réunion, pour écouter religieusement les explications du score togolais. On parle de 50 journalistes invités, mais ils étaient plus de la centaine à y répondre. C’était en présence de Madame Yawa Kouigan, ministre de la Communication et des médias, porte-parole du gouvernement. Cette rencontre, initiée par la présidence de la République, vise à échanger avec les acteurs des médias sur les performances du pays en matière du développement humain ainsi que les facteurs explicatifs desdits progrès, particulièrement les réalisations enregistrées dans le cadre de la mise en œuvre de la Feuille de route gouvernementale Togo 2025. Sauf que le choix des journalistes a manqué d’inclusivité pour ce qui doit être d’envergure nationale. C’est très dommage de rappeler que contrairement à son prédécesseur le Pr Akodah Ayewouadan qui associait toutes les tendances de la presse togolaise aux initiatives gouvernementales, la militante Madame Yawa Kouigan fait avec sa liste et c’est ainsi que gouvernent semble détenir son listing…
Mme Yawa Kouigan, Mme Sandra Ablamba Johnson et M. Fabrice Pétchézi
Pourquoi ce besoin d’explication s’ils s’avèrent que cela exprimait la réalité et en plus, loin des regards? En dehors des images qui circulent sur les réseaux sociaux, pratiquement aucun débat sur le sujet n’a filtré sur les chaînes. On dirait même que les initiateurs se reprocheraient de quelque chose… Il importe de souligner que ces indices, qu’une partie des acteurs vénèrent avec la monnaie sonnante et trébuchante, sont alimentés par des statistiques nationales qui pour certains pays ne sont pas très fiables. Trop c’est comme pas assez, enseigne une sagesse. Nicolas Boileau écrivait que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ».
En prélude à tout cela, le gouvernement togolais a annoncé ces derniers temps diverses missions de certaines institutions internationales qui l’affabuleraient d’épithètes élogieuses quant à ses efforts pour le développement du pays. Ainsi, la mission du fonds monétaire international (FMI) au Togo, du 29 mai au 7 juin 2024, aurait entre autres mentionné que le Togo a réalisé des avancées notables dans la lutte contre l’extrême pauvreté, qui a reculé de 28,4% en 2018 à 25,8% de la population en 2023.
Par contre, la Banque mondiale, dans une publication mise à jour au 3 avril 2024, mentionnait plutôt que la pauvreté au Togo devrait diminuer progressivement en 2024 et 2025 et de manière plus substantielle en 2026, pour atteindre 36,1 %, contre 42,4 % en 2023. Cependant, que le niveau de pauvreté est deux fois plus élevé en milieu rural (58,8 %) qu’en milieu urbain (26,5 %). Il y est souligné surtout un faible accès à des services de qualité. Appréciez par vous-même les nuances sémantiques, entre ces différentes publications des deux institutions de Bretton Woods, sur le même sujet.
D’où proviennent les données qui servent au calcul de l’indice IDH?
La notion de l’indice IDH porte sur 3 composantes qui sont le revenu, la santé (espérance de vie) et l’éducation. Il traite donc d’un sujet complexe, multifactoriel et multidimensionnel et comporte indubitablement des avantages et des inconvénients. Le principal reproche fait à cet indice est que les sources statistiques qui lui servent de base proviennent certes de la Banque Mondiale (PIB), des Nation-Unies pour la santé (espérance de vie à la naissance) et de l’UNESCO pour l’éducation (’alphabétisation et la scolarisation). Toutefois, le hic est que les données de ces 3 institutions sources proviennent des données statistiques nationales. Autrement, ces institutions les estiment lorsque ces données nationales ne sont pas disponibles. Si certains pays disposent d’institutions éprouvées avec une tradition de statistiques avérées, d’autres pays produisent des statistiques qui ne sont pas toujours fiables ou qui reposent sur des bases questionnables des fois. Cette variation dans les règles d’élaboration des statistiques nationales amène à relativiser les choses, principalement pour certains pays.
L’IDH reposant sur 3 composants (le revenu, l’éduction et la santé), examinons juste 2 exemples de données au Togo qui améliorent probablement son indice sans pour autant refléter la réalité du terrain. Il avait été décrété un SMIG au Togo à 52 500 FCFA, mais qui reste dans les faits un SMIG hypothétique, négociable, voire virtuel. Alors que de par sa nature, un SMIG ne doit pas être négociable. Dans ce cas, il faudrait un SMIG adapté au contexte et donc qui s’impose à tous. Par conséquent très peu d’employés concernés en profitent. Mais ce SMIG fait partie des éléments de revenu dans les statistiques nationales, qui rentrent ultimement dans l’évaluation de l’indice IDH. Par exemple selon Tradingeconomics et Perspectiveséconomiques, le taux de chômage au Togo au début de l’année 2024 serait à 3,72%, alors qu’il était de 3,7% aux USA, 6,5% dans la zone de l’Union européenne et 4,9% dans l’ensemble des pays OCDE. Croyez-vous sincèrement que proportionnellement moins de Togolais sont sans emploi que dans les pays de L’OCDE, aux USA, etc.? Un autre exemple, les taux de réussite aux examens au Togo ont connu des augmentations sensibles ces dernières années, excepté cette année 2024. Est-ce véritablement le résultat d’amélioration du niveau des apprenants? Si c’est le cas bravo, mais il y a un gros mais quand on regarde l’évaluation réservée au BAC togolais par certaines institutions d’enseignement à l’étranger, par rapport à il y a quelques années.
Les contradictions, bref l’IDH du Togo à l’épreuve de certains faits!
Comment comprendre qu’on nous dise que le Togo est 1er de l’UEMOA depuis au moins 4 ou 5 publications d’indice, mais sur le plan du PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) il n’est que devant le Niger, le Mali, le Libéria et la Sierra Leone dans la CEDEAO. En ce qui a trait au niveau de pauvreté dans l’UEMOA, le Togo ne se retrouve que devant le Niger, le Burkina Faso et la Guinée-Bissau. Il en est ainsi de bien d’autres indicateurs ou indices (voir le tableau ci-dessous pour plus d’indicateurs comparatifs). Subséquemment, on peut faire dire aux chiffres bien de choses, toutefois la réalité du terrain reste ce qui compte.
Selon le rapport World Investment Report 2024 de la CNUCED (unctad.org/system/files/official-document/wir2024_en.pdf), le Togo figure parmi les 11 pays africains qui ont affiché des flux d’investissements directs sortants négatifs ou de « désinvestissements ». Précisément le Togo y occupe le 5e rang. Et on peut y lire que « Des facteurs internes pèsent aussi lourdement comme au Togo (-60 millions de dollars) où l’environnement des affaires reste difficile malgré les efforts de réforme. Un signal d’alerte sur la nécessité d’accélérer la cadence des réformes structurelles. » Pourtant, le gouvernement togolais nous vante continuellement les prouesses et les titres obtenus en termes de réformes.
De plus, la nouvelle classification des pays en fonction de leur revenu : 2024-2025 du groupe de la Banque mondiale, publiée le 1er juillet 2024 classe le Togo dans le groupe des pays à revenu faible. C’est le dernier des 4 groupes de ce classement, notamment le groupe à faible revenu, revenu intermédiaire de la tranche inférieure, revenu intermédiaire de la tranche supérieure et revenu élevé. Par exemple, le Bénin, le Ghana, la Côte d’Ivoire, la Guinée, etc., sont dans la tranche de revenu intermédiaire.
Emile Zola dans la Vérité ne pouvait mieux dire quand il écrivait que “Rien ne passe aussi inaperçu que le Bien, puisque le Bien véritable ne dit pas son nom. S’il le dit, il cesse d’être le Bien, il devient de la propagande.”
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » numéro 0060 du 12 juillet 2024