Le marché est l’endroit où on va vendre ses marchandises. C’est aussi un endroit où on va faire ses courses et un endroit convivial où certains habitués vont se rencontrer sans un but bien défini. Ils boivent (…) mangent et se racontent les derniers potins du pays. Certains y vont à la recherche de leur âme sœur. Et dans tous les pays au monde, il y a l’équivalent du marché comme lieu de vie (les cafés en occident, les bistrots et les bars en Afrique tout comme au Togo etc. Alors quand un marché brûle c’est comme une église qui disparaît. Il y a la perte de l’outil du travail, les économies de toute une vie car beaucoup de gens réinvestissent leurs économies dans leur entreprise ou gardent l’argent liquide avec eux. Au marché l’argent circule. C’est le vrai centre nourricier et le vrai poumon de la société. L’argent du petit commerçant ne dort pas dans des immobilisations dont les intérêts ne sont attendus que plusieurs années plus tard. C’est non seulement une perte économique abyssale, mais aussi une cause de grande atteinte de l’état de santé mentale et physique. C’est-à-dire une cause de suicide, de folie ou de perte grave de l’état général de santé. C’est souvent le vivier des « troubles du stress post-traumatique » en abrégé TSPT qui se développent après un événement extrêmement traumatisant et se manifestent par sa reviviscence régulière, accompagnée de manifestations physiques liées à l’émotion extrême ressentie. Ils altèrent de façon significative la vie personnelle, sociale et/ou professionnelle. Et c’est souvent ce que vivent les victimes lorsque les enfumages des pyromanes prennent fin. Bref, un marché qui brûle est une réelle catastrophe dont les conséquences sont nombreuses, imprévisibles dans le temps et très graves. Surtout que dans le cas d’espèce, plusieurs commerçant(es) renforcent leurs activités par des financements auprès des IMF (banque) ou raclent totalement leurs économies en ces moments de fête pour s’approvisionner. Ce sont des vies qui sont brisées : stress, problèmes cardiovasculaires…par conséquent la société, en particulier le gouvernement doit en prendre conscience pour établir les responsabilités pour que les fautifs soient traités comme des criminels ; ils doivent être recherchés, jugés et punis comme tels.
Il s’agit d’une question d’opinion publique sur laquelle les citoyens attendent beaucoup du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé et son appareil en charge des investigations.
Structure économique des marchés périphériques comme d’Agoè-Nyivé-Assiyéyé
Afin de mesurer l’efficacité ou non des mesures gouvernementales, il est important de comprendre la structure économique des marchés périphériques comme celui d’Agoè-Nyivé-Assiyéyé. En effet, les marchandises qui sont vendus sur ce marché proviennent essentiellement de trois sources de financements. Il s’agit d’abord des fonds propres qui sont entre 30 et 40% du fonds de commerce. Puis viennent les crédits fournisseurs (essentiellement les agriculteurs et éleveurs) pour une proportion moyenne de 40%. Et enfin le fameux crédit bancaire ou des institutions de microfinance (IMF) qui ferme la marche avec une moyenne parfois moins de 30%. Il faut préciser que la part des institutions financières est minimale dans le petit commerce quand on sait qu’elle ne finance que le renforcement de capacités et non le début d’activité (le même souci que rencontrent les startups). Ainsi bon nombre de vendeurs et revendeuses se financent plus sur fonds propres et à partir des crédits des paysans. On note également dans ce lot de pertes, le commerce transfrontalier qui approvisionne les marchés togolais.
La particularité de ce nième incendie des marchés du Togo notamment celui du marché d’Agoè-Nyivé-Assiyéyé est qu’il survient, le 21 décembre 2023, donc la veille des fêtes de fin d’année. Il survient non seulement en fin d’année mais aussi et surtout juste à la veille du premier jour des trois jours d’animation d’affiler. C’est-à-dire qu’au lieu que ce marché s’anime comme d’ordinaire deux fois par semaine à intervalle tous les trois jours, les opérateurs économiques du marché d’Agoè-Nyivé-Assiyéyé avaient décidé d’animer les lieux le jeudi 21, vendredi 22 et samedi 23 décembre 2023 pour rentrer dans la Noël. Et cette innovation des vaillantes femmes togolaises devrait se répéter la semaine suivante pour marquer l’entrée dans la nouvelle année 2024. Et c’est en tenant compte de ce contexte inédit que l’on peut appréhender la dimension des pertes subies afin d’envisager des solutions appropriées.
Le régime togolais dans sa politique « proclamatoire »
Comme dans ses habitudes, sur la roulette du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé, le gouvernement togolais a pris des initiatives en faveur des femmes du marché comme il l’avait fait pour les grands marchés de Lomé et de Kara. C’est-à-dire que de simples effets d’annonce pour animer la galerie. C’est quand-même révoltant quand on scrute les images de ces femmes victimes des incendies comparé aux dirigeants lors des sketchs déguisés en audiences, que ce soit à la présidence ou dans les ministères. On constate une profonde facture entre celles qui produisent le lait (les pauvres commerçantes) et ceux qui sont nourris au biberon (les membres de la minorité). Et le monde a toujours été ainsi. C’est le pauvre en haillon qui produit pour les riches ou pour métamorphoser une élite orgueilleuse. En interrogeant l’opinion publique, les Togolais ne sont pas d’accord sur la compassion telle que le gouvernement l’avait orchestré. Beaucoup auraient voulu que pour une fois, c’est le chef de l’Etat qui se déplace vers les victimes et non les afficher comme si elles étaient allées faire allégeance à Faure Gnassingbé. Que les services protocolaires et les conseillers du président de la république jouent parfaitement leur rôle.
Et pour les premiers soutiens, l’on avait annoncé en pompe « des dons composés de 1200 sacs de riz de 25 kg, de 4000 bidons d’huile végétale de 5 litres, et d’une enveloppe financière de 150 millions de francs CFA (EUR 228 673,53) … » qui auraient été déboursés par le Chef de l’Etat Faure Gnassingbé. Mais à l’arrivée, l’on a tendu des miettes comme un cadeau de 25000 FCFA (EUR 38,11), un litre d’huile végétale et 5 kg de riz pour chaque victime. Où est passé le reste des dons du chef de l’Etat ?
Sur le plan logistique, notons d’abord que l’effectif des commerçants et commerçantes installé dans ce petit marché de… hectares est chiffré à 5000 personnes qui paient régulièrement les taxes à la commune Agoé-Nyivé 1. Les recettes annuelles de ce marché sont estimées à 200 millions FCFA (EUR 304 898,03). Il s’agit encore d’une grosse perte pour cette municipalité qui avait déjà connu un net recul de ses recettes depuis la destruction et l’interdiction des kiosques aux abords des grandes voies dans la ville de Lomé.
Pour le moment, les solutions d’urgence pour la reprise des activités du marché sont de deux ordres. Primo, le concours des banques et des microfinances qui se limite à l’échelonnement de anciens crédits et l’accord de nouveaux crédits pour refinancement. Second, la réinstallation des commerçants sur trois différents sites à savoir le nouvel espace aménagé de Togograin au niveau du Carrefour bleu dont la capacité est de 2000 places et les 3000 restant seront renvoyés sur le marché de Sogbossito et Netime sur le grand contournement. Mais entre-temps, les femmes dans un élan de solidarité insistaient qu’on les réinstalle sur un même endroit, ce qui signifie qu’il faut rapidement reconstruire le marché ravagé par les incendies.
Il faut aller visiter les aménagements de ce site provisoire du marché au lieu-dit Togograin pour se rendre compte que l’autorité publique fait trop de bruit pour rien du tout. Pour être pragmatique, le gouvernement togolais aurait dû laisser ce travail de réinstallation à la commune de ressort qui certainement ferait mieux. Ces aménagements que les concepteurs appellent « logistiques » ne sont que des hangars de fortune en bois tôlés. La surface attribuée à chaque commerçant est moins d’un mètre carré et sans les allées ou séparation. C’est ici que commence spéculations et bitos tout en provoquant les « troubles du stress post-traumatique ». Dans cette jungle urbaine, c’est ceux qui sont puissants ou fortunés qui accaparent de plus vastes espaces. Tout est installé à même le sol dans un environnement très insalubre et accidentogène. Le premier test de cet embryon de marché sera les 1ères pluies du mois de mars prochain. Le plus grand danger qui saute aux yeux mais que les « gouverneras » n’ont pas vu est relatif à ces dizaines d’arbres géants qui abondent sur cet espace de Togograin. Certes les arbres donnent de l’ombre mais le danger est que les branches peuvent céder à tout moment sous l’effet des vents violents et le risque de foudre (en temps de tornade) est fort probable.
C’est aussi le moment pour les spéculateurs car les maisons et terrains non-bâtis dans les environs de ce marché provisoire ont aussitôt pris de la valeur. Les devantures des maisons sont louées au plus offrant. Et même une portion d’un domaine qui abrite un vodou et où les prêtres officient a été cédée pour la construction d’un magasin conteneur. Une dame qui a été victime d’une surenchère raconte sa mésaventure : « Quand je suis arrivée le propriétaire m’a demandé une avance de 500 mille FCFA que j’ai versé. Le lendemain, il me retourne mon argent car un autre locataire aurait versé 700 mille FCFA. Ce n’est pas fini. Car Akoua qui m’avait driblé a été également driblée pour le même magasin d’environ 9 m3, quand une revendeuse de céréale a misé 1,5 millions FCFA au propriétaire ».
Malgré le drame, les vaillantes commerçantes affichent un moral d’acier. Elles sont plus que jamais résilientes et leurs seules exigences est que l’Etat togolais les réinstalle tous dans un endroit viable et qu’une solution durable de préfinancement de leurs activités soit trouvée. Et pour bon nombre de spécialistes, au lieu de parler des financements bancaires ou les tracasseries du fameux FNFI ou encore une garantie d’un crédit sans intérêts, le gouvernement devrait aller directement à une subvention minimale de 500 mille FCFA (EUR 762,24) par victime, couvrant tout ou partie des capitaux. Soit une enveloppe estimée à 2.5 milliards FCFA (EUR 3,82 millions) pour 5000 Togolaise/Togolais. Si l’on considère que chaque famille est composée moyennement de 3 personnes, l’impact direct toucherait plus de 15 mille âmes. C’est d’ailleurs ce que le chef de l’Etat Faure Gnassingbé ou tout responsable ferait à un collaborateur, frère ou sœurs (…) compagne qui a tout perdu accidentellement. Pourquoi ne pas avoir la même compassion vis-à-vis de ces femmes battantes qui sont à la fois père et mère dans leur foyer. La femme togolaise mérite mieux !
La justice togolaise et ses nombreuses enquêtes impossibles
Bien évidemment, les togolais sont à leur tour fatigués de la sécurocratie dont les conclusions des enquêtes renforcent plutôt les populations dans leur conviction qu’ils sont des laissés pour compte. Mais pour une fois, le procureur de la république Mawama Talaka a tenté de sauver la face en évoquant « qu’il envisage que la source d’incendie provient d’un court-circuit électrique d’un compteur additionnel (illégal) depuis le centre du marché ». Les constatations et les premières auditions ont permis d’identifier le bloc « épices », au centre du marché, comme point de départ du feu.
Cette déclaration du procureur de la république, 10 jours après le drame n’apporte aucun élément nouveau car selon des témoins, ceux qui vivent dans le voisinage comme ce anonyme « …quand l’incendie a débuté du côté sud-ouest, c’était encore gérable. Les gens qui vivent aux alentours ont demandé aux agents de sécurité hyper zélés d’ouvrir le portail pour tenter d’éteindre le feu…ces derniers ont refusé prétendant que les petits bandits qui dorment le long du mur du marché vont profiter s’infiltrer pour voler les effets des bonnes dames…ils croyaient avoir pris la bonne décision et comptaient sur la promptitude des sapeurs-pompiers alertés. Ils se sont lourdement trompés…c’est face à l’avancée inexorable du feu qu’ils ont dû ouvrir les portails, mais c’était déjà trop tard…les jeunes ont pu sauver ce qui pouvait l’être…le reste est parti en fumée ; de multiples fonds de tontine sont conservés dans le marché, les pagnes, tissus, chaussures, céréales, bouteilles de gaz, charbon, riz, volaille…tout a pris feu ». Cette version et plusieurs d’autres personnes qui ont assisté à cet événement macabre viennent contredire la version officielle sur l’origine du feu. Pour d’autre encore, il y’a un départ de feu, mais la vitesse de propagation rapide interroge sur l’existence d’un accélérateur…Toujours dans la conscience des populations, certains voient les représailles suites aux manifestations des femmes du marché contre le racketage et cette affaire d’encombrement du pourtour du marché.
Que dire de ce corps des sapeurs-pompiers togolais qui visiblement n’a jamais gagné une bataille de feu d’envergure. Même les renforts venus du port de Lomé et de l’ASECNA sont restés impuissants.
Pour l’heure personne ne peut vraiment se prononcer fermement avant la fin de l’enquête de la gendarmerie.
Cet événement quoi que malheureux vient effacer un important mémorial de Mme Victoire Tomégah-Dogbé. Ce marché serait sans nul doute sa plus grosse réalisation parmi les nombreux projets d’enfumage. La cheffe du gouvernement venait de célébrer en grande pompe les 10 ans de ce marché. Mais avec cet incendie, plus question de fêter les anniversaires avec les femmes du marché d’Agoè-Nyivé-Assiyéyé.
Ainsi va le Togo !
B.Douligna
« TAMPA EXPRESS » parution 0050 du 24 janvier 2024