Du 26 au 28 mai 2021 s’est tenu à Lomé les états généraux de l’ECO, la future monnaie ouest-africaine sous le terme « Du franc CFA à l’ECO : quelle monnaie pour quel développement en Afrique de l’Ouest ? ».
De quel ECO il était question durant ce forum?
De l’ECO usurpé, décrété et imposé?
Il y a l’ECO que Alassane Ouattara et Emmanuel Macro ont décrété le 21 décembre 2019 et imposé motus bouche cousue aux 8 pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Cette réforme opportuniste décrète la fin de la centralisation des réserves de change auprès du Trésor français. Cependant l’ECO-CFA doit conserver une parité fixe avec l’Euro et sa garantie de convertibilité sera toujours assurée par la Banque de France.
La simple logique est qu’un bail si parfait soit-il, n’est pas une propriété.
- Depuis quand contracte-t-on une assurance, une garantie sans conditions, avenants ou « les fameux petits caractères »?
- Ou depuis quand peut-on disposer librement d’un instrument garanti par un autre, de surcroit par le « maître »?
Paradoxalement la réforme imposée ne concerne que le FCFA de la zone UEMOA, la zone qui a lancé un processus de remplacement du CFA par l’ECO. La zone CEMAC (Commission économique et monétaire d’Afrique centrale), dont la masse monétaire est la plus importante des 2 zones CFA, n’est pas concernée. On dirait, pas de menace, pas de réforme au forcé.
Ou l’ECO originel, c’est-à-dire l’ECO de la CEDEAO?
Les soubassements de l’ECO de la CEDEAO remontent au processus d’intégration monétaire enclenché au début des années 80. Et cette dynamique trouve sa genèse dans la volonté d’intégration monétaire inscrit en 1971 dans l’acte constitutif de l’OUA (organisation de l’unité africaine). Cet ECO originel s’étend sur deux zone l’UEMOA et la ZMAO (Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest) créée en 2000 avec 6 pays, qui ont autant de monnaies.
Le processus de la monnaie unique de la CEDEAO devrait conduire à la fusion des 2 zones (UEMOA et ZMOA) en 2020 pour ensuite déboucher sur une stratégie d’intégration graduelle. Cependant en décembre 2019, la France de Macron sortie le lapin de son chapeau, comme d’habitude.
- Alors pourquoi autant d’efforts hargneux pour imposer et maintenir le cordon monétaire; si la France n’a aucun intérêt dans le mécanisme CFA?
- Juste pour mémoire, les anciens colonisateurs qui se sont départis de leurs colonies ont relativement régressé ou perdu de leur poids relatif. Est-ce juste fortuit? Loin de là!
Au moins la France a le mérite de savoir ce qu’elle veut.
Entre temps, la mise en œuvre du pacte de convergence en 2020-2021 a été retardé pour cause de la pandémie COVID-19. Toutefois le président de la commission de la CÉDÉAO, Jean-Claude Kassi Brou annonça ce 19 juin 2021 que les Chefs d’États des 15 pays ont convenu d’une nouvelle feuille de route et d’un nouveau pacte de convergence qui couvrira la période entre 2022 et 2026, et 2027 sera l’année du lancement de l’ECO de la CEDEAO.
Alors pourquoi la France se donne autant de peines?
Singulièrement, le franc CFA qui est supposé être une monnaie de pays souverains, est reformé aux pas militaires par un autre pays, qui n’en fait pas usage. Ainsi, le 10 novembre 2020 l’Assemblée nationale française avalise la réforme, le 28 février 2021 le Sénat français ratifie la loi, et le 5 mai 2021 la France annonce la restitution de 5 milliards d’Euro de réserves à la BCEAO.
Le « bal des sangsues » est clos le 20 mai 2021 avec l’adoption par le conseil des ministres du gouvernement français du projet de loi entérinant la fin présumée du franc CFA. Bref c’est la mise au gout du jour de l’accord de coopération entre la France et les États membres de l’UMEOA, qui définit les grands principes officiels du franc CFA. Les concernés sont mis devant le fait accompli.
Le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dira « le rôle de la France évolue pour devenir celui d’un strict garant financier de la zone, mais ne participera plus à la gestion. Même si on maintiendra la parité fixe entre l’Euro et l’ECO. » Quant à la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, “cette fin symbolique devait s’inscrire dans un renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique et écrire une nouvelle page de notre histoire”.
Le trésor français, qui est le propriétaire de fait du franc CFA, déclare que la réforme acte un cadre modernisé et renouvelé des relations de coopération monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA selon quatre axes; qui sont le changement de nom de la devise qui a vocation à changer, la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change, le retrait de la France des instances de gouvernance de la Zone et mise en place concomitante de nouveaux mécanismes de dialogue et de surveillance des risques. Le trésor français plantera le clou en déclarant qu’il s’agit d’un changement symbolique majeur, qui est par ailleurs du seul ressort des Etats de l’UEMOA.
Alors si le changement est du seul ressort des États de l’UEMOA, pourquoi les parlements et les peuples concernés ne sont pas saisis?
Ainsi les premiers concernés, les populations de l’UEMOA n’ont pas encore été consultées ou informées par voie officielle. Pour mémoire, l’Euro a été introduit par référendum, en fin de compte. En dehors du parlement ivoirien, qui a été saisi en 2019, après la mise en scène de décembre 2019 du couple Macron-Ouattara, les autres parlements de l’UEMOA n’ont pas encore été saisis. En sus Macron eut le privilège d’une fête d’anniversaire en grand pompe au frais des Ivoiriens.
Alors de deux choses, l’une :
- Soit les concernés sont « inaptes ou incompétents », d’où une sorte de mandat d’inaptitude ou « d’obligation d’assistance » de la France!
- Ou que les intérêts réels inhérents au mécanisme du franc CFA sont tels, qu’il y a péril en demeure pour la France sans le maintien du statu quo.
Ce qui fait dire à jean Paul Lecoq que « la réforme n’a pas été faite pour changer quoi que ce soit, sur le fonds, et sa méthode confirme la condescendance de la France vis-à-vis des pays en question ». Et à Demba Moussa Dembélé de renchérir « la France fera tout pour se raccrocher à nos pays pour les empêcher non seulement d’avoir leur souveraineté monétaire, mais aussi de choisir leur propre voie vers le développement ».
Il est établi, qu’il n’y a pas d’amitié entre les pays, plutôt que des intérêts. Qu’il soit conséquemment tenu pour vérité immuable qu’on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre ou exaucer le Maitre et l’esclave dans la même aspiration. Subséquemment c’est une vue d’esprit, que de penser que les institutions françaises se donnent tant de peines pour maintenir le mécanisme du FCFA dans leur giron; par pure charité chrétienne.
Surtout que les mêmes Politiques français combattent avec acharnement ceux qui se sont ou continuent de s’opposer au FCFA. Ainsi des chefs d’État ou toutes autres velléités réfractaires au mécanisme CFA cours le danger d’être remplacés par ceux qui favorables au CFA. Certainement, les Chefs d’États ou autres personnes qui y sont favorables connaissent de très longs règnes ou carrières. Le mécanisme CFA alimente alors un système structuré de répression politique, pour se maintenir. Il est donc constaté que le maintien du CFA favorise l’instabilité politique, l’autoritarisme et l’absence d’audace ou de vision politique.
L’exemple le plus édifiant est la chape de plomb que la France a déployé contre la Guinée de Sékou Touré, qui osa dire NON à De Gaulle et qui avait abandonné le FCFA en mars 1960. Entre autres, l’opération « Persil » concoctée par la France consista à introduire en Guinée une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer son économie. Aussi sur le plan politique des opérations de déstabilisation ont été menés avec certains guinéens pour rendre Sékou Touré vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition.
La genèse du mécanisme CFA est pourtant sans équivoque sur les intentions de la France
La naissance de la zone Franc remonte en 1939. Par contre, le franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) fut initié par la France le 26 décembre 1945, lors de la ratification par la France des accords de Bretton Woods. La France s’était alors fait un cadeau de noël à la sortie de la 2e guerre mondiale, où elle avait désespérément besoin de liquidité, de sources et de ressources pour sa reconstruction.
À sa création, 1 FCFA valait 1,70 FF, puis le double (1 FCFA = 2 FF) FF à partir du 17 octobre 1948. Et il eut le 4 septembre 1973 la signature de l’accord de coopération monétaire entre la France et l’UEMOA, qui institua les comptes d’opérations. La France pouvait alors, non seulement disposer de réserves suffisantes, mais surtout coopter sans concurrences les matières premières et des richesses des territoires du mécanisme CFA. Le droit du premier refus revenait à la France.
Le CFA, instrument de Contrôle de la Faculté d’Autodétermination
Une fois la reconstruction de la France après-guerre en branle et les pressions autonomistes et indépendantistes des colonies de plus en plus fortes, la dynamique fut renversée. Le subtil maître en décida autrement. Ainsi le rapport entre FCFA et le FF fut simplement inversé, au moment où les pays africains naissants avaient besoin de financer les grands projets d’infrastructures, bref leur développement.
C’est ainsi qu’un nouveau franc français fut instauré le 1er janvier 1960, et la parité du FCFA est passée le 1er janvier 1960, du double du FF au 2 centième du FF (1 FCFA = 0,02 FF). Il faut désormais 50 FCFA pour avoir 1 FF, alors que la veille avec 50 FCFA on avait 100 FF. Le CFA perdit ainsi, du jour au lendemain, 49 fois sa valeur. Il n’y avait aucune autre raison que les indépendances des anciennes colonies.
L’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF) sont dissoutes en 1959. Et leurs caisses d’émissions ont été substituée en des Banques Centrales (BCEAO, BCEAEC). Est-ce anodin, pas du tout. Et allez-y comprendre quelque chose. Entre temps le CFA est devenu en 1958 le « franc de la Communauté Financière Africaine ».
La servitude monétaire
Il y a deux principales zones du mécanisme CFA en Afrique, notamment l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine) et la CEMAC (Commission économique et monétaire d’Afrique centrale). Et chaque zone CFA a sa propre monnaie. L’UMOA a le CFA de l’Afrique de l’Ouest, et la CEMAC a le franc CFA de l’Afrique centrale.
Toutefois, le CFA de ces zones ne sont pas interchangeables. Autrement le FCFA d’une zone n’est pas accepté dans l’autre zone pour les échanges courants. Allez-y trouver l’escobarderie. Globalement, la zone CEMAC est plus centrée sur la production de pétrole, dont les recettes représentent 82% des exportations et presque la moitié des budgets nationaux. Par contre dans la zone UEMOA les produits de rente (café, cacao et…) occupent une part plus importante, au tour de 30% du PIB de la zone.
Vers les années 2000, l’Afrique subsaharienne avait une moyenne du ratio de crédits bancaires à l’économie (PIB) est de 60%, mais ce ratio est seulement d’environ 25% dans UEMOA et encore moins, notamment 13% dans la zone CEMAC. Le niveau de crédits bancaires est anémique dans ces zones CFA. En conclusion les possibilités de financement des projets est hasardeuse. Alors que la création de valeurs nécessite un minimum de financements ou d’audace.
Il est alors évident que le mécanisme CFA n’est pas tant un facteur stimulant des échanges entre les 2 zones, qui dans la réalité commercent très peu entre elles. À l’intérieur de la même zone CFA, les échanges entre pays ne sont pas non plus significatifs. Par exemple, il y a eu entre 1990 et 2016 seulement 10% d’échanges à l’intérieur de la zone UEMOA, et encore moins, un maigre 4% à l’intérieur de la CEMAC.
Les pays des zones CFA (UEMOA et CEMAC) représentent environ 19% des flux financiers illicites qui sortent du Continent. Cependant ces pays FCFA ne contribuent que pour 11% au PIB du continent africain. La libre circulation des capitaux au sein de cet espace n’est pas étrangère à cette triste réalité.
Car, le mécanisme CFA implique la parité fixe à l’Euro, une convertibilité illimitée garantie par le trésor Française, la libre transférabilité et la centralisation des réserves de changes. La facilité de transfert de fonds hors des zones CFA est un des piliers de ce mécanisme, notamment les bénéfices des multinationales et les fonds détournés par les Politiques et leurs entourages.
C’est un constat effarant qu’on retrouve particulièrement dans la zone CFA. Il y a des politiciens et importateurs milliardaires et presque pas ou très peu d’industriels milliardaires. Et ce sont là certaines des preuves tangibles de la nature difonctionnelle du franc CFA, mais pas seulement bien sûr.
Bref le mécanisme CFA est un vecteur de drainage des fonds vers l’extérieur, avec la mobilité des facteurs de productions presque au point zéro, les importations subventionnées, alors que les exportations sont couvertes d’une chape de surcharges qui les rendent non compétitives, entre autres.
Que vaut une monnaie sans la souveraineté monétaire pour dompter le présent et forger l’avenir?
La MONNAIE dans ses rôles classiques
En générale la monnaie est l’ensemble des moyens de paiement acceptés dans une entité pour régler les dettes issues d’échanges. Toutefois, il est question de devise quand la monnaie se retrouve en dehors de son entité d’origine. C’est alors que le FCFA est une monnaie au Togo et une devise au Ghana ou en France et inversement pour le CEDI et le FF ou l’Euro.
La monnaie peut être sous une forme fiduciaire ou corporelle (pièces, billets,) sans valeur intrinsèque ou sous une forme écrite (scripturale) comme les différents dépôts par exemple ou encore sous une forme électronique.
La monnaie a foncièrement 3 fonctions principales de base :
- elle sert d’intermédiaire d’échange ou d’instrument de paiement,
- elle est une unité de compte, pour le calcul de la valeur d’un échange, …
- elle est une réserve de valeur.
Concernant ces fonctions classiques, le FCFA est une monnaie comme tout autre monnaie. Toutefois il est important de retenir que dans le débat sur le franc CFA, il n’y est pas question des fonctions classiques d’une monnaie, mais plutôt de son « caractère exogène, de sa nature inflexible et prévisible », du fait que les pays utilisateurs n’en sont pas propriétaires et sont non entièrement responsables. Ces pays ne peuvent pas utiliser à leur guise et au besoin les leviers monétaires du FCFA.
L’absence de booster monétaire dans le mécanisme CFA
Le franc CFA, une monnaie trop forte et rigide pour les économies des pays CFA
Lorsque l’on sait que la monnaie et le budget sont des éléments intrinsèques de la souveraineté d’une entité, il est très saint d’être fiévreux de cette dépendance annihilant. Par conséquent quand on n’est pas libre de disposer de ses instruments monétaires, on n’est plus que obtus dans le déploiement de sa vision, de son projet de société. Ainsi, selon Diallo (2002) « on ne peut abandonner complètement la gestion de sa monnaie sans renoncer, du même coup, à une part substantielle de ce pouvoir originel qu’il tient de son statut d’État souverain ».
Aussi l’ouvrage Sortir l’Afrique de la servitude monétaire, à qui profite le franc CFA ? codirigé par Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, et Demba Moussa Dembélé souligne « … qu’en l’état actuel le franc CFA ne peut servir le développement économique. ». Toute chose étant égale par ailleurs, les indicateurs économiques démontrent que durant les dernières décennies, les pays CFA ont eu des performances économiques faibles et bien moins que la moyenne africaine.
En situation de crises les banques centrales autonomes, donc de pays souverains monétairement, adoptent des politiques monétaires dynamiques et ciblées. Ce fut le cas de la crise de 2008 et de la pandémie COVID-19 qui nous vivons actuellement. Ces banques centrales ont promptement enclenché une phase de baisse des taux d’intérêt directeur. Ainsi le coût du crédit diminue pour stimuler les investissements et la consommation, entre autres.
S’il s’avère que ces mesures ne sont pas suffisantes, elles peuvent passer à une autre étape, notamment en injectant massivement des liquidités et en intervenant directement sur le marché interbancaire. Certains de ces institutions monétaires adopterons même pour la monnaie hélicoptère de Friedman. Ce qui consiste pour une banque centrale à créer de la monnaie pour la rendre disponible aux citoyens, pour ainsi booster la consommation intérieure. C’est dans un souci de relance économique.
D’autres accordent des prêts pardonnables pour permettre aux entreprises impactées de disposer de la liquidité et de couvrir des dépenses fixes comme le loyer, les salaires, les assurances et autres. Il peut y avoir un moratoire sur le capital et une proportion du capital est pardonné, non remboursé, si les critères sont respectés. Ce qui s’apparente à une forme de subvention directe.
C’est ainsi que certaines économies ont été très peu impactées par les mesures de gestion de la pandémie COVID-19, car des instruments de souveraineté monétaire ont été utilisés.
Cependant, les pays du mécanisme CFA ont eu recourt à des « aides » ou des prêts à intérêts exorbitants pour financer leurs mesures de gestion de la COVID-19. Encore là les citoyens de certains des pays CFA doivent se compter chanceux, si ces prêts ne sont pas détournés. Des prêts qui hypothèquent des pays déjà en mal de développement. Le cercle vicieux est ainsi entretenu.
En lieu et place de mesures de relance économique, ce sont plutôt des décisions épidermiques qui ont été prises dans la majorité des pays du mécanisme CFA, où pourtant le secteur informel fait la part du lien des activités économiques. Une majorité de citoyens qui vit le jour au jour de ses activités, a vu simplement les activités mises aux arrêts pour cause de COVID-19. Au lieu d’adapter les mesures et les décisions. Donc l’avenir s’assombri d’avantage. Une misère entretenue, qui profite au maître pyromane.
La souveraineté monétaire est indispensable pour les pays qui doivent se construire. Aucune aide, aucune garantie ou autres ne peuvent la remplacer, ni de prêt, ni de loin. Quand on ne peut pas s’assumer, on ne peut se définir.
Osons réinventer le rêve des pères fondateurs de nos pays. Il y va de la survie de nos peuples!
Kokou Atounouvi