Quand l’économie va mal, la source des maux est généralement recherchée dans le secteur réel et sa gestion, prioritairement au secteur monétaire. Le secteur réel est du ressort des politiques tandis que le secteur monétaire relève de la banque centrale, banque des banques, sauf quand les politiques interfèrent dans ses missions.
Une émission monétaire abondante est souvent souhaitée par les politiques ; il arrive qu’elle participe à la promotion de l’économie mais elle peut aussi concourir à son délabrement en érodant en fin de compte gravement le pouvoir d’achat.
C’est quand les politiques se mêlent de gestion de la monnaie, du crédit et des changes, entravant l’indépendance de la banque centrale dans l’exercice de ses missions, que les drames surviennent.
Les vécus du franc CFA et des monnaies africaines d’envergure nationale sont commentés ci-dessous à travers les réalités ci-après : propension des politiques à abuser de la planche à billets (i), monnaies nationales en manque de réussite dans divers domaines (ii), monnaies nationales ostentatoires versus monnaies nationales inapparentes mais omniprésentes du modèle du franc CFA (iii), monnaies nationales en quête de discipline, de solidarité et d’indépendance par rapport au pouvoir politique (iv).
De la propension des politiques à abuser de la planche à billets
Pour les politiques, la tentation est sans limite d’ouvrir à fond le robinet du financement monétaire, direct ou indirect, des trésors nationaux ; ils font de la monnaie une source intarissable de financement du déficit budgétaire et finissent par verser dans la gabegie administrative et financière. Quand les politiques, notamment de l’Afrique sub-saharienne, s’immiscent dans la gestion monétaire et embrigadent la banque centrale, les graines de la mal-gouvernance et du déclin économique sont semées et la récolte de progrès social est attendue aux calendes grecques en raison d’un inéluctable effondrement du pouvoir d’achat.
Un grand nombre de pays africains, dont les monnaies ont un cours légal et libératoire limité à la sphère nationale, sont rudement confrontés à ce diptyque crédit au gouvernement versus crédit au secteur privé. Ce fut le cas du très riche Ghana des décennies 1970/1980 qui connut un délabrement extrême de son économie et de sa monnaie pour avoir outrageusement privilégié les crédits au gouvernement en couverture de gabegie administrative et financière et s’être installé dans la corruption. Le retour au progrès social se fit au prix d’une sévère épuration de la classe politique corrompue, doublée d’un assainissement monétaire et financier non moins sévère dans le cadre d’un programme d’ajustement du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Au titre de l’assainissement de la classe politique ghanéenne, à l’initiative d’un capitaine-courage de l’armée de l’air ghanéenne du nom de John Jerry Rawlings, une douzaine de citoyens vertement corrompus furent considérés comme des fossoyeurs de l’économie nationale et condamnés à l’échafaud, y compris d’anciens présidents de la république. Actuellement c’est le Zimbabwe qui fait cas d’école, effondré macro-économiquement depuis des années comme suite aux ravages de la corruption notamment et à une politique monétaire dévoyée par les politiques ; ce pays est en butte à une banalisation de la pauvreté, la majorité de la population étant privée de pouvoir d’achat à cause de l’érosion totale de la monnaie nationale en dépit de plusieurs opérations de démonétisation.
Les pays africains à monnaie nationale, dont le cours légal et libératoire est limité à la sphère nationale, ont ce don de la nature d’être riches, parfois extrêmement riches, en pétrole, gaz, or, diamants et minéraux rares ou alors en bois, terres arables et fertiles, ressources hydrauliques etc. et etc. au point que la déchéance économique provoquée par la mal gouvernance se produit à un rythme si lent qu’elle est à peine perceptible. C’est le cas notamment de la Guinée-Conakry en Afrique de l’ouest mais aussi du Congo-Zaïre en Afrique centrale ou encore de l’Angola et du Mozambique en Afrique australe etc. Seuls les gaspillages, corruptions, détournements de biens et services atteignent des proportions si scandaleuses qu’ils ne peuvent continuer de demeurer discrets. Comme une fatalité, nombre de ces pays africains au sud du Sahara, hyper nantis en ressources naturelles, finissent par passer par la case “guerre civile” ou “instabilité politique chronique” avec mort gratuite de citoyens innocents ou “pauvreté absolue” de la population.
Par rapport aux monnaies inconvertibles au sud du Sahara, la zone émettrice de francs CFA, bien moins nantie en ressources naturelles, affiche une bien meilleure crédibilité de sa monnaie, au demeurant convertible, une position nette du gouvernement sur le secteur bancaire moins assassine du crédit au secteur privé et une stabilité enviable de zone monétaire en dépit de quelques soubresauts. Soixante ans après les indépendances, elle seule présente des monnaies nationales d’Afrique centrale et de l’ouest en rang resserré autour de principes et règles harmonisées ou uniformisées pour un vivre ensemble monétaire et solidaire promoteur d’intégration socioéconomique. Jamais elle n’a connu et ne peut connaitre de moments de délabrement monétaire et de faillite de banque centrale à la zimbabwéenne, voire à la ghanéenne des décennies 1970/80, en raison de solides dispositions de son traité fondateur et ses textes subséquents d’une part et d’autre part, de son modèle de gouvernance.
Des monnaies nationales généralement en manque de réussite
La majorité des pays africains au sud du Sahara affichent de modestes performances évaluées via l’indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), en étant minés par la corruption des dirigeants au plus haut sommet de l’État, l’incurie de Chefs d’État incompétents et incidemment, le dévoiement de la politique monétaire et des changes.
Tous ces pays, aux IDH souvent en berne, optent pourtant pour une monnaie nationale inconvertible, quand ils ne sont pas émetteurs de francs CFA, pour maximiser les réserves de change mais rien n’y fait ; ils sont en permanence confrontés à une insuffisance desdites réserves, préjudiciable à la couverture d’importations structurantes ou essentielles en matière de santé et d’éducation. Ces insuffisances chroniques imposent en permanence une rationalisation des allocations de devises aux importateurs et autres agents économiques demandeurs de transferts financiers sur l’étranger, mais ouvrent la voie à la corruption de la réglementation des changes et au trafic de devises, promeuvent des surfacturations mensongères d’importations etc.
Dans ces contextes, les monnaies à envergure limitée à la sphère nationale, en d’autres termes inconvertibles, se présentent en fragiles intermédiaires des échanges et sans consistance aucune comme réserves de valeur. La plupart de ces signes monétaires dévissent régulièrement sur les marchés et perdent de manière dommageable leur valeur au change et plusieurs fois en totalité depuis leur création. En raison d’une réglementation des changes mise en œuvre avec indélicatesse, ces monnaies nationales participent au gaspillage et à la dilapidation des énormes potentiels des pays émetteurs, généralement nantis en abondantes ressources du sol, du sous-sol et hydrauliques. Leur survie en tant que signe monétaire ne doit qu’à un marketing permanemment mensonger sur les vertus supposées de l’indépendance et de la souveraineté monétaires. Le prix de ces pratiques insensées et irresponsables, payé par les populations confrontées à de dramatiques pertes de pouvoir d’achat, est généralement effroyable comme par le passé au Ghana ou en Guinée-Conakry etc. et actuellement au Zimbabwe.
Ce sont finalement des monnaies nationales plus politiques que techniques, profondément dollarisées ou supplétives de la livre sterling pour quelques-unes, et en butte à des pratiques antipatriotiques voire maffieuses comme les trafics de devises etc. En dehors du rand sud-africain, des monnaies du Maghreb et des signes monétaires de pays en réussite comme le Botswana, Maurice, le Rwanda et Seychelles, rares sont les signes monétaires africains qui pourraient être considérés comme achevés et profitables aux économies nationales concernées.
En effet, l’écrasante majorité des monnaies nationales en Afrique au sud du Sahara sont en manque de réussite, dépourvues de mécanismes de discipline, de préservation du pouvoir d’achat et de solidarité ou de garantie d’une part et d’autre part, assujetties au bon vouloir d’un pouvoir politique faiblement vertueux et peu performant en général. Paradoxalement, il s’agit pour la plupart de pays émetteurs dotés d’abondantes ressources naturelles finalement promues au gaspillage et au hold-up par une classe politique aux mœurs délétères.
La quasi-totalité des expériences de monnaies nationales en Afrique au sud du Sahara sont des échecs que les politiques n’osent pas reconnaitre, comparé au modèle du vivre ensemble monétaire et solidaire incarné par le franc CFA ; celui-ci est régulièrement décrié mais demeure souvent pertinent dans la préservation du pouvoir d’achat, la lutte contre les trafics de devises, les transferts financiers illicites et la dollarisation rampante des économies concernées et plus généralement, pertinent pour éviter les défauts de paiements de la dette souveraine grâce au mécanisme de mise en commun des réserves de change des États-parties.
Des monnaies nationales ostentatoires versus des monnaies nationales inapparentes mais omniprésentes dans le modèle du franc CFA
Les deux faits qui suivent sont souvent ignorés de l’opinion publique car ils desservent les certitudes des détracteurs du franc CFA, à savoir : chaque État, partie au franc CFA, conserve sa monnaie nationale (i) et le système promeut une utilisation optimale des monnaies nationales dans les échanges inter États-parties (ii). Ainsi, le signe monétaire partie au franc CFA est à la fois national et communautaire. Il a cours légal et libératoire dans le pays d’émission et en dehors dans les États-parties au vivre ensemble.
Le franc CFA est en effet en 2022 une communauté de 14 monnaies nationales, parfaitement intégrées au sein de deux groupes de huit et six signes monétaires, au point d’apparaitre comme une seule et unique monnaie. Seul le dollar américain, émis par différents États de la fédération des États-Unis d’Amérique, fait mieux à l’image du pays émetteur, dont le modèle de fédération associant cinquante États, un district et des territoires, est si achevé qu’il donne l’impression d’être un modèle d’État unitaire.
Dans le modèle du franc CFA, chaque pays conserve avec une discrétion réversible sa monnaie dont l’émission est confiée à la banque centrale des États-parties au vivre ensemble monétaire et solidaire. En substance, les pays n’abandonnent que ce qui relève du visuel et du sonore sur leur monnaie et matérialise son identité dans le public, c.à.d. ce qui est ostentatoire sur un signe monétaire, sans être déterminant, et abusivement assimilé à des preuves et pratiques d’indépendance et de souveraineté monétaires. L’abandon des éléments distinctifs visuels a été immédiat en Afrique de l’ouest et est intervenu plus tard en Afrique centrale où les billets ont continué d’être frappés à l’effigie des Chefs d’État. Le sonore, c.à.d. la dénomination nationale, est abandonnée au départ du vivre ensemble monétaire en Afrique centrale comme de l’ouest.
Par contre, chaque pays conserve ce qui est essentiel et inaliénable, contrairement aux éléments distinctifs de nature visuelle ou sonore et non nécessaires, à savoir : le stock de monnaie compatible avec le produit intérieur brut (PIB). Par respect des contraintes inhérentes au vivre ensemble monétaire et solidaire, chaque pays se plie à observer des règles, uniformisées ou harmonisées suivant le cas, conformes aux dispositions du traité qui le lie aux autres. Ceci exige davantage de discipline que de reniement de souveraineté ou d’indépendance.
La plupart des monnaies nationales africaines, à cours légal et libératoire limité à la sphère nationale, sont juste des signes monétaires ostentatoires ou d’apparat, présentés et exploités abusivement dans l’opinion publique comme des marqueurs d’indépendance et de souveraineté monétaires ; à l’opposé, les monnaies nationales constitutives du franc CFA sont inapparentes mais omniprésentes et actives dans le modèle du vivre ensemble, en tant que signes monétaires à la fois nationaux et communautaires.
Des monnaies nationales en quête de discipline, de solidarité et d’indépendance par rapport au pouvoir politique
Le franc CFA a raison de faire de la discipline monétaire un vade-mecum. Ce vade-mecum constitue en substance un solide rempart contre les trafics de devise, la totalité des réserves de change des États-parties étant mutualisée et confiée à une banque centrale, unique et unitaire, seule mandataire et gestionnaire des transferts financiers y compris souverains en direction de l’étranger. Par ailleurs, les financements monétaires directs ou indirects des trésors publics sont réglementés à l’échelle communautaire ; seules les politiques fiscales relèvent encore du ressort national.
La rigoureuse mise en œuvre du principe de mutualisation des réserves de change, non pas partielle comme en zone euro mais en totalité, dont la gestion est confiée à une seule banque centrale et non à plusieurs inclusivement une banque centrale nationale comme en zone euro, heurte les susceptibilités des Chefs d’État affairistes et corrompus toujours en train d’ordonner des transferts “délictueux” ; ceux-ci “dénoncent le franc CFA” pour un oui ou un non car ils sont contrariés par la gestion transparente des réserves de change, totalement déléguée de jure comme de fait à une banque centrale unique et unitaire et à la personne de son seul gouverneur.
Bien entendu, les Chefs d’État et les opérateurs économiques majeurs des pays dépourvus de cette rigueur, quasi-institutionnelle du franc CFA en matière de change, sont plutôt à l’aise avec des procédures et processus d’allocation et d’utilisation de devises et une banque centrale ou un office des changes à leurs ordres. Les Chefs d’État critiques du franc CFA ne veulent simplement pas souffrir d’insatisfactions dans l’exécution de leurs opérations de transfert licite ou illicite ainsi laissées à la seule appréciation d’un gouverneur qu’ils ont eux-mêmes placé à la tête de la banque centrale dans l’espérance sans doute de pouvoir le manipuler à tout-va.
Ce qui précède, ajouté au désamour des politiques français, accusés à force de fake news de garantir le franc CFA à des fins inavouées, alimente les discours promouvant une alternative au franc CFA. Cette alternative serait une monnaie commune et unique de la controversée Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), toujours annoncée et jamais émise depuis plus de 40 ans. Les auteurs d’une telle incurie sont intimement convaincus au demeurant en privé que cette monnaie de la Cedeao ne verra jamais le jour durant leur mandature pour les priver de trafics de devises et de mœurs dictatoriales en matière de gestion monétaire et des changes.
Le franc CFA a par ailleurs raison de mettre l’accent dans ses procédures et processus sur un vivre ensemble monétaire solidaire car, à l’expérience, même immensément doté de ressources naturelles comme le Congo-Zaïre, aucun pays africain au sud du Sahara n’est à l’abri d’un assèchement brutal ou durable de réserves des changes : les causes, pour l’heure faiblement maîtrisées, de la survenance d’une telle situation sont connues ainsi que les conséquences désastreuses pour les couches les plus démunies de la population.
Le vivre ensemble monétaire et solidaire, dont la première exigence est la discipline communautaire, est d’un apport essentiel dans la lutte contre l’inflation qu’elle soit d’origine monétaire ou alimentée par le facteur taux de change ou des dérèglements dans le secteur réel. Au demeurant, le modèle du franc CFA a fait ses preuves à tout le moins dans la préservation des pouvoirs d’achat et a raison d’être intraitable sur le financement monétaire des trésors nationaux, sous meilleur contrôle que dans les autres pays africains au sud du Sahara.
Enfin, le franc CFA a raison d’autoriser en son vivre ensemble le regard des pairs sur ce que fait chaque État partie. Cheminer ensemble dans les domaines de la monnaie, du crédit et des changes, plutôt que seul, a des avantages certains. À tout le moins, nul n’ignore son côté pratique et protecteur du pouvoir d’achat, ses bienfaits en matière de mobilité des biens, services et personnes tant pour l’élite que pour les plus démunis etc.
Vilévo DEVO