Pendant la période coloniale, et dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi Cadre de Gaston Defferre de juin 1956, le Togo a été choisi comme nation pilote pour expérimenter l’autonomie interne. Ainsi par le décret du 24 août 1956, la République Autonome du Togo (RAT) est créée et fut proclamée le 30 août 1956. Les auteurs, enseignants-chercheurs du laboratoire Histoire et développement en Afrique (HisDAf) de l’Université de Kara, ont voulu, à travers cette tribune, faire le rappel du contexte historique et de l’évènement de la République Autonome du Togo dans la marche du Togo vers son indépendance.
Le contexte historique de la création de la République Autonome du Togo (RAT)
Avant d’apporter les éléments de réponses, il est important de définir les concepts loi-cadre et autonomie. La loi-cadre était une loi qui habilitait le Gouvernement français à statuer par décret dans un domaine réservé en principe à la loi. Elle a créé dans les territoires d’outre-mer des Conseils de gouvernement élus au suffrage universel, ce qui permettait au pouvoir exécutif local d’être plus autonome vis-à-vis de la métropole. Dite « loi Defferre », du nom du ministre français des colonies Gaston Defferre, elle autorisait le Gouvernement français à mettre en œuvre de nouvelles réformes et à prendre les mesures propres à assurer l’évolution des territoires d’outre-mer. Son titre II, relatif aux territoires sous tutelle, l’autorise à définir un statut pour le Togo. L’autonomie est la situation d’une collectivité, d’un organisme public doté de pouvoirs et d’institutions lui permettant de gérer les affaires qui lui sont propres sans interférence du pouvoir central.
La vie politique débuta véritablement à la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand le Togo est passé sous le régime international de tutelle de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Deux courants se dessinèrent : le Comité de l’Unité Togolaise (CUT) et son allié la Juvento qui réclamaient une indépendance immédiate, d’où le qualificatif de courant nationaliste ; le Parti Togolais du Progrès (PTP) et son allié l’Union des Chefs et Populations du Nord (UCPN) qui voulaient une indépendance par paliers, donc progressive. Ce qui donnait à ce dernier courant le qualificatif de progressiste. Le courant nationaliste a occupé la scène politique et les institutions de l’Union française de 1946 à 1951.
Mais, à partir de 1951, le PTP et l’UCPN puissamment appuyés par le pouvoir colonial remportèrent toutes les élections organisées et boycottées par le courant nationaliste. Ainsi, le 17 juin 1951, Nicolas Grunitzky remplace Martin Aku à l’Assemblée nationale française. Il est réélu le 2 janvier 1956. En août-septembre 1951, sur les 152 conseillers de circonscription élus, 130 se réclament du PTP et de l’UCPN. Les 9 et 10 décembre, le PTP et l’UCPN remportent 23 sièges sur 24 à l’ART. Mais elle est dissoute conformément aux nouvelles dispositions de la loi du 6 février 1952 qui a remplacé l’Assemblée représentative par l’Assemblée territoriale, dont les 30 membres sont à élire par un collège unique étendu. Des élections organisées pour 50 870 inscrits, le 30 mars 1952, sont de nouveau remportées par la majorité sortante. Dans sa première séance du 2 mai 1952, l’Assemblée territoriale, présidée par son doyen d’âge, Sylvanus Olympio, se dote d’un bureau de 9 membres dirigé par Derman Ayéva. Le 18 mai 1952, Robert Ajavon est élu conseiller de la République (sénateur), à Paris. Enfin, le 10 octobre 1953, Mama Fousseni devient conseiller de l’Union française.
On reprochait à ces consultations plusieurs irrégularités qui ont conduit à des visites d’enquêtes de l’ONU sur le territoire. Au sujet des élections à l’Assemblée territoriale, la 2è visite de l’ONU a enregistré plusieurs plaintes. Ces irrégularités furent doublées d’une politique de répressions systématiques de la part de l’administration et des chefs de villages acquis à sa cause. C’est le cas par exemple à Vogan où l’intervention de l’administration dans une affaire de chefferie avait occasionné 7 morts et plusieurs blessés.
Mais les nationalistes n’abandonnèrent guère et organisèrent une vaste campagne de dénonciation. Sous l’effet de l’action conjuguée de la pression populaire et de l’ONU, la France décide de faire des réformes politiques. D’abord par la loi du 16 avril 1955, elle institue un Conseil de gouvernement de 9 membres, dont 5 à élire par l’Assemblée territoriale et 4 autres à nommer par le Commissaire de la République. Ensuite, la France fait adopter la loi n° 56-619 du 23 juin 1956, dite loi-cadre de Gaston Defferre, autorisant le Gouvernement français à prendre les mesures propres à assurer l’évolution des territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer vers une autonomie. C’est ainsi que le Togo a été choisi comme une terre d’expérimentation pour cette loi en raison certainement du fait qu’il est frontalier à la Gold Cost qui venait de proclamer son indépendance le 6 mars 1956. Ce qui allait donner des idées aux nationalistes qui depuis 1951 réclamaient l’indépendance immédiate.
Les attributs de la République autonome ainsi créée
L’article premier de la loi n° 56-619 du 23 juin 1956, dite loi-cadre Gaston de Defferre, dispose que le Togo devient une République autonome, dont les affaires propres sont réglées par une Assemblée législative et un conseil des ministres, dirigé par un premier ministre responsable devant l’Assemblée. Le nouveau statut devait être soumis au référendum, sous contrôle de l’ONU. Cependant le Conseil de tutelle de l’ONU, réuni le 13 août, critique la proposition française et refuse de contrôler le référendum.
Néanmoins, après avis de l’Assemblée territoriale du Togo, le décret est publié le 24 août 1956 (JORF du 26 août 1956, p. 8173 à 8176), et promulgué au Togo par arrêté du 29 août (JOT du 30 août, n° 888, p. 1). C’est ainsi que, le 30 août 1956, la République autonome du Togo est instituée. Elle est proclamée le 4 septembre 1956 par le haut-commissaire de la République française, avant d’être installée solennellement, le 21 septembre 1956, par le ministre de la France d’Outre-Mer, Gaston Defferre, du gouvernement Guy Mollet.
Par les dénonciations et la lutte nationaliste qui poussent la France à opérer des réformes, le Togo devint ainsi un territoire pilote de la politique de l’autonomie interne.
L’emblème officiel de la République autonome du Togo est un drapeau à fond vert comportant deux étoiles d’or placées sur une diagonale partant de l’angle supérieur droit, un drapeau français placé à l’angle supérieur gauche. La devise officielle de la République autonome du Togo est « Union-Ordre-Travail ». Elle dispose également d’un hymne (La Togolaise) et d’une fête nationale (le 30 août). L’Assemblée territoriale devient l’Assemblée législative. La France est représentée au Togo par un Haut-commissaire de la République.
Drapeau de la République autonome du Togo (1956-1958)
La République autonome est dirigée par le Premier ministre (Nicolas Grunitzky) et par une équipe ministérielle. Celle-ci remplace le Conseil de gouvernement et se compose comme suit :
– Fousséni Mama, ministre d’Etat, chargé de l’intérieur ;
– Georges Apédo-Amah, ministre des Finances ;
– Emmanuel Fiawoo, ministre de l’information ;
– Léonard Ywassa, ministre du travail et de l’instruction publique ;
– Lubin Christophe, ministre des travaux publics, de l’économie et du plan ;
– Antoine Méatchi, ministre de l’agriculture, de l’élevage, des eaux et forêts ;
– Jean Richard Johnson, ministre de la santé publique ;
– Pierre Schneider, ministre du commerce et de l’industrie.
Cette équipe conduira les affaires publiques togolaises jusqu’aux élections législatives d’avril 1958.
L’accueil réservé à la RAT par les acteurs politiques togolais et la France
Les deux courants politiques, idéologiquement opposés, qui animaient la vie politique depuis 1946, reçurent diversement l’institution de la RAT.
- Le mouvement nationaliste et la RAT
La coalition CUT et Juvento, avec à sa tête Sylvanus Olympio, qui avait perdu la majorité à l’Assemblé représentative togolaise depuis 1951 à cause des subterfuges de l’administration coloniale et qui subissait aussi les différentes formes de répressions de cette dernière n’a jamais accepté la République autonome du Togo. Elle s’y oppose et réclame la fin de la tutelle française et l’indépendance jusqu’à ce qu’elle n’obtienne les élections législatives anticipées du 27 avril 1958 qui mirent fin à la RAT.
- Les autorités togolaises et la France
Depuis 1951, ce fut les progressistes qui étaient à la commande. Ce fut à juste titre qu’ils avaient accueilli à bras ouverts la RAT. Ainsi le leader du PTP, Nicolas Grunitzky fut nommé Premier ministre.
La France et le Togo exprimaient leur satisfaction et estimaient qu’avec le statut de l’autonomie, les buts de la tutelle de l’ONU, à savoir amener les territoires concernés à se gouverner eux-mêmes, étaient atteints. Aussi s’accordaient-ils à demander aux Nations Unies la levée de la tutelle. Un bras de fer s’établit alors entre les deux courants politiques sur fond de répression contre les nationalistes. Ces derniers s’organisèrent pour envoyer des pétitions au conseil de tutelle de l’ONU.
Pourquoi la République autonome n’a pas survécu ?
Le 26 octobre 1956 est organisé le référendum sur le statut du Togo et sur la fin de la tutelle. Le CUT, la Juvento et le MPT ne prennent pas part à cette élection. Les résultats sont favorables aux partis progressistes. Mais ils ne rassurent pas l’ONU, qui décide d’envoyer au Togo une 4e mission, la mission King. Cette mission séjourne au Togo, du 28 mai au 27 juin 1957.
D’autre part, la période de la RAT est marquée par des répressions contre les nationalistes. Entre la fin de l’année 1956 et 1957, de violentes manifestations de protestations parfois sanglantes ont lieu au Togo, en particulier à Lomé, à Mango et à Pya-Hodo, pour dénoncer cette autonomie qui retardait la proclamation de l’indépendance.
À propos des événements de Pya-Hodo en juin 1957, la mission de visite des Nations Unies rapporte selon les représentants des nationalistes que :
Ils se sont plaints de ce qu’avant l’arrivée de la Commission, le commandant de cercle ait menacé de représailles contre les nationalistes qui refusaient de prendre part aux manifestations organisées par les autorités locales. Ils avaient refusé de se laisser intimider et qu’ils avaient continué à faire valoir leur point de vue : indépendance intégrale. Après le départ de la Commission, les pétitionnaires se plaignirent du fait que dans l’après-midi, du 22 juin 1957, les autorités locales avaient réussi à massacrer la population paisible sur la place du marché de Pya-Hodo. Ils déclarèrent qu’ils avaient été dans l’impossibilité de se rendre sur place pour vérifier le nombre de victimes, mais selon les sources dignes de foi, ils aspirent qu’il y en avait plus de soixante, parmi lesquelles des femmes et des enfants .
La mission reçut aussi un télégramme de Augustino de Souza, président général du CUT qui déclarait qu’: « à Lama Kara, la police avait ouvert le feu sur ses partisans sous prétexte de légitime défense contre une foule de manifestants et plusieurs membres des partis nationalistes furent arrêtés et emprisonnés ».
Après examen du rapport de la mission King, l’ONU fait deux recommandations : dissolution de l’Assemblée législative et son renouvellement sous le contrôle des Nations unies. D’où l’organisation des élections législatives du 27 avril 1958.
Ainsi, avant la tenue des élections d’avril 1958, des réformes institutionnelles ont été opérées suivant les recommandations de l’ONU. En effet, en vue de convoquer le corps électoral, l’Assemblée territoriale a été dissoute le 20 février 1958, c’est ce qui explique les élections législatives anticipées du 27 avril 1958. Ces élections furent organisées sous le contrôle d’une mission onusienne dirigée par un Haïtien, le commissaire Max Dorsinville. La victoire des nationalistes à ces élections sonna le glas de la République autonome du Togo.
Deux jours après, un nouveau décret réorganisait les institutions du Togo. Il prévoyait en substance :
- la substitution de la République autonome du Togo par une République du Togo ;
- le changement de la dénomination de l’Assemblée législative par le terme Chambre des députés dont le nombre est revu à la hausse passant de 30 à 46 ;
- le retrait du haut-commissaire de la République au poste du président de conseil des ministres au profit du premier ministre ;
- la responsabilité de la politique extérieure, monétaire et de la défense est confiée au haut-commissaire de la République.
Il apparaît que la République Autonome du Togo (RAT), bien accueillie par les progressistes et contestées par les nationalistes, a été une des étapes importantes dans la marche de notre pays vers l’indépendance.
Références bibliographiques
BATCHANA Essohanam, 2015, Une lecture du contexte historique de l’institution des constitutions togolaises, inédit.
GAYIBOR Nicoué Lodjou (ss dir), 2005, Histoire des Togolais, Volume II, Tome II. De 1884 à 1960, Lomé, Presses de l’UL.
Journal officiel de la République autonome du Togo, N° 888, 30 août 1956.
Dr Essohouna TANANG
&
Dr Missiagbéto ADIKOU
Laboratoire Histoire et développement en Afrique (HisDAf)
Université de Kara