Notre pays le Togo semble avoir toutes les richesses en sa possession, mais les populations continuent de gémir sous le fardeau de la pauvreté. Environ 20% de la population possède 80% des richesses et le reste est contraint de se distribuer les miettes. Les mauvaises pratiques comme les bonnes sont toujours innovées sur la Terre de nos aïeux. Apparu il y a environ cinq ans, le wifi zone ou zone wifi s’est très vite répandu dans les villes et villages du Togo et est un élément catalyseur de la socialisation des peuples. Comme dans tous les secteurs où la gouvernance a échoué, ce sont des initiatives privées qui ont du succès. Ailleurs c’est l’Etat qui déploie les zones wifi à moindre coût ou parfois gratuitement pour desservir les populations. Le wifi zone revient nettement moins onéreux et est à la portée de toutes les bourses. Mais alors que l’écrasante majorité des populations tire le diable par la queue en s’achetant la connexion Internet à100 ou 200 FCFA, la minorité constituée souvent des commis de l’Etat profite des bons (tickets) de carburant à n’en point finir ou se retrouve avec des montants fous de crédit téléphonique dans un seul téléphone portable. Malheureusement depuis fin septembre 2023, sous un prétexte de formalisation du secteur du wifi zone, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) se fait le bras armé des lobbyings de la téléphonie et du gouvernement pour clouer au pilori les pauvres populations. Et pourtant selon la Banque Mondiale, l’accès à l’Internet et la connectivité sont des moteurs essentiels de la transformation économique dans les pays en développement.
Dans cette édition, nous allons sortir quelques chiffres sur l’économie du secteur afin que chacun se fasse son idée sur le phénomène.
Internet au Togo et dans la sous-région
En effet, le Togo fait partie des premiers Etats de la sous-région ouest africaine à comprendre que les technologies de l’information et de la communication ont une place importante dans la construction d’un pays moderne. C’est ainsi que par le dynamisme du directeur général de la société CAFE Informatique, le Togo a été connecté pour la première fois à Internet vers les années 1994. Cette belle initiative a été aussi confrontée à des difficultés sur le terrain pour des raisons autre que celles qui devraient guider des gouvernants responsables et soucieux du développement d’une Nation. De l’autre coté, c’est Canal + Horizon du sieur Aquéréburu qui, selon des indiscrétions, avec la complicité de plusieurs barons, a réussi à offrir et confisquer pendant des années les chaînes de télés étrangères dont le coût d’accès est hors de portée de la bourse du Togolais ordinaire. Beaucoup de techniciens ont plusieurs fois tenté de contourner le système, mais à chaque fois CANAL + change de logiciel.
Les pays comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso qui, il y a quelques années, étaient venus découvrir et apprendre des cybers cafés et autres lieux de loisir public dans notre pays, nous dépassent aujourd’hui. D’autres sont allés même jusqu’à défiscaliser les TIC.
Au pays d’Houphouët Boigny avec un SMIG de 75 000 FCFA (EUR 114,34) en 2023, les prix de la connexion Internet pour les box fixes oscillent entre FCFA 15 000 (EUR 22,87) et 45 000 (EUR 68,60). « A notre bureau, nous payons 35 000 FCFA/mois », donc pour usage professionnel (entreprise), confie l’entrepreneur Éric Kossi depuis Abidjan.
Au Bénin de Patrice Talon avec un SMIG de 52 000 FCFA (EUR 79,27), selon le service client de la société Isocel qui fournit les services de la fibre optique, l’abonnement se fait à partir de 25 000 FCFA et pour les tarifs forfaits, le minimum de la connexion à la fibre est de 15 000 FCFA. Là-bas, ils se disent toujours en promotion mais en temps normal, ils peuvent aller à 35 voire 40 000 FCFA le forfait mensuel. La fibre optique se limite essentiellement à Cotonou et ses environs et c’est selon la distance de déploiement que les tarifs se fixent. En plus les coûts ne sont pas à la portée de tous. Les entreprises au Bénin préfèrent le modem WiFi.
Au pays des Hommes intègres, le minimum de la connexion à la fibre est de 15 000 FCFA et 170 000 FCFA (EUR 259,16). Ce qui est moins par rapport au tarif de la borne supérieure du Togo chez qui le Faso s’approvisionne, fixé à 200 000 FCFA. Et au Sénégal, la communication est la moins chère possible, comme en témoignent des compatriotes qui ont l’occasion de visiter ce pays. En ce qui concerne les chaînes câblées, les prix sont aussi nettement abordables.
Au Togo où la pauvreté et les inégalités sociales sont érigées en mode de gouvernance, le SMIG officiel fixé à 52 500 FCFA (EUR 80,04) depuis janvier 2023 mais le réel en application chez la masse se situe autour de 30 000 FCFA (EUR 45,73), le prix minimum mensuel de la connexion à Internet selon la puissance est de 15 000, 25 000 et 30 000 FCFA pour le ménage et il explose lorsqu’il s’agit d’utilisation professionnelle. Pour les professionnels i) Pro Small (jusqu’à 80 Mbps, nouveau), il est de 55 000F/mois et pour les Pro (jusqu’à 100 Mbps), il est de 75 000F/mois. En plus des deux précédentes catégories, il y a pour les entreprises le Pro Plus (jusqu’à 200 Mbps, nouveau) offert à 125 000F/mois, le Pro Cyber (jusqu’à 300 Mbps, nouveau) à 200 000 F/mois. Il faut payer en plus les frais d’accès toute offre confondue de 25 000 F CFA.
Et pour les tarifs mobiles, n’en parlons pas. En dehors des prix prohibitif d’entrée de gamme que dénoncent l’ARCEP et les consommateurs, il y a une escroquerie qui ne dit pas son nom. La toute puissante TOGOCOM a une offre intermédiaire dans la haute de gamme de 20 Go qu’elle vend à 10 000 FCFA (EUR 15,24) et une autre de 60 Go à 15 000 FCFA. Par contre le concurrent MOOV est plus moins cher et propose mieux dont 30 Go à 9000 FCFA (EUR 13,72) et 75 Go à 15000 FCFA (EUR 22,87). Cependant, il est à noter que toutes ces offres sont tellement diluées en ce sens que les mégas vendus s’évaporent plus vite qu’avant.
C’est quoi usage professionnel et entreprise ?
La limite entre professionnel et entreprise donne une ambiguïté que l’ARCEP doit commencer par clarifier. Si l’on considère que le fait de revendre la connexion est un usage professionnel, alors l’opérateur doit opter pour 80 Mbps – 55 000F/mois ou 100 Mbps – 75 000F/mois. Pour se lancer dans cette aventure en allant créer une entreprise, il faut cerner le chiffre d’affaires prévisionnel. Et la plupart des détenteurs de wifi zone que nous avons rencontrés évoquent, selon la zone et les périodes, des gains journaliers situés entre 500 et 2 000 voire 3000 FCFA. Les coupures disponibles de tickets de connexion sont de 100, 200, 500, 1000 et 2000 FCFA. En faisant la moyenne arithmétique du gain journalier au prorata par rapport au mois, le chiffre d’affaires moyen se situe à 36 000 FCFA le mois. Sauf dans la zone portuaire et à Dékon à Lomé, les promoteurs de wifi zone sont souvent les Café Diallo, les buvettes, les petites boutiques d’alimentation générale et les cybers cafés. Les coupures les plus vendues sont entre 100 et 200 FCFA. Et c’est pour un chiffre d’affaires de moins de 50 000 FCFA que l’on s’acharne avec autant d’énergie.
Quand on parle d’entreprise au Togo, pour nombreuses personnes, il suffit d’aller au Centre de Formalités des Entreprises (CFE) pour s’enregistrer en payant entre 25 400 FCFA et 35 000 FCFA selon le type d’entreprise. Mais la réalité va au-delà de la simple déclaration d’entreprise. Il faut continuer aux impôts et jusqu’à la CNSS pour parachever la création. La décision de création doit s’appuyer sur un projet pérenne avec des objets et objectifs clairement définis tout en évaluant les implications fiscales. Il faut donc éviter de créer son entreprise parce que l’on connaît quelqu’un qui vous permet de livrer, une fois en passant, quelques fournitures de bureau ou des céréales à la prison…Sinon le risque de vous faire exploser par le fisc est fort probable. Interrogeons quelques chiffres dans la mise en place de zone wifi pour voir si cela valait la peine de harceler les pauvres populations pour des miettes.
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En définitif, en comparant les charges et les investissements à financer (formalité de création d’entreprise y compris les frais connexes de 50 000 FCFA, installations techniques à plus de 296 000 FCFA, charge du personnel au SMIG 52 5000 FCFA, location de bureau, électricité…) au chiffre d’affaires de moins de 50 000 FCFA pour l’écrasante majorité des opérateurs de wifi zone, on se demande si l’ARCEP et l’OTR ne sont pas en train de tirer sur un corbillard. Même la base sur laquelle les fournisseurs d’accès à Internet se fondent pour couper leurs abonnés sans préavis (consommation ou utilisation abusive) est totalement erronée. Elle n’est pas scientifique. L’abus qui est la raison invoquée n’a aucune corrélation avec les trois types de produits (Pro : Small, Plus et Cyber) car tous les abonnés n’ont pas le même besoin en consommation, ni le même niveau de clientèle. Par exemple, un domicile où réside une seule personne mais utilisant des objets connectés en permanence (vidéo surveillance, serveurs…) peut consommer plus qu’un Café Diallo qui vend le wifi. Il est nécessaire que les bureaucrates de l’ARCEP reformatent leur disque.
La prolifération de zone wifi n’est pas seulement une affaire de recherche de gain pour les promoteurs. Elle est également due à l’inefficacité des offres de service proposées aux populations. Il faut tacler la CEET qui, incapable de couvrir des zones même en pleine capitale, pousse en détresse les populations à opter pour le phénomène araignée dont les conséquences sont la surcharge des réseaux avec le risque d’incendie et aussi la quote-part élevée des frais de consommation. L’adhésion massive des populations aux eaux de forage dont souvent la qualité est source de maladies de reins est une réaction à l’incapacité de la TdE à fournir de l’eau potable dégazéifiée et sans métaux.
Si tant est que le Docteur Philippe Kokou Tchodie et l’Office Togolais des Recettes (OTR) veulent renflouer les caisses de l’Etat, il leur suffit de recanaliser les recettes. Les milliards de TEL et autres qui passent en dehors du circuit sont de toute évidence largement supérieurs à l’argent de zone wifi. Il est inimaginable de constater sur le territoire national des fonctionnaires qui ont clôturé des hectares de terre pour des initiatives sans véritable modèle économique. Ces surfaces et les terrains, maisons abandonnées en pleine capitales doivent subir des taxations exceptionnelles pour renflouer les caisses de l’Etat. Pour faire face à la crise économique, l’Etat doit rompre momentanément avec le paradis fiscal accordé aux riches en taxant les voitures neuves et les véhicules hybrides en guise de solidarité nationale. Le gouvernement doit réduire son train de vie en commençant par les ministres et directeurs qui doivent diminuer les voyages à l’étranger, leur carburant et le nombre de véhicules dans leur parc automobile au profit du garage central. La contribution au budget national doit concerner tous les Togolais.
Alors revient la question sur les causes réelles du fossé entre le Togo et les autres pays. Et la réponse semble évidement être : i) La volonté manifeste des autorités togolaises de priver les citoyens de l’information et de les maintenir dans l’ignorance absolue, ii) le manque de solidarité entre les citoyens togolais depuis le début des mouvances démocratiques, iii) l’échec probant des hommes et femmes qui se sont donné comme mission la recherche technologique. Sinon, les pays du sahel dont le Burkina Faso qui a loué le câble sous-marin chez les pays côtiers comme le Togo revendent leur connexion moins chère à leurs populations. C’est idem pour le carburant et surtout le gaz butane qui coûte parfois le tiers du prix dans les pays sans littoral.
Le manque de solidarité et l’égoïsme se font très flagrants au Togo. Sur le toit d’une maison où vit une famille, on peut remarquer plus d’antennes (paraboliques, CFI et autres) que de nombre d’habitants. Il y a plusieurs domiciles dotés de connexion Internet et souvent habités par des nantis dans les différents quartiers. Elles seraient même parfois deux ou trois personnes à y habiter à avoir tout pour elles seules sans se soucier de l’entourage immédiat. Une simple générosité envers le voisinage en lui laissant bénéficier de la connexion Internet (wifi zone non payant) ne serait pas déloyale. Au même moment, les hôpitaux et les universités sont obligés de faire des grèves pour exiger des dirigeants de les doter de l’Internet devenu un outil incontournable dans le quotidien des populations.
En alternative à cette mauvaise foi des gouvernants, les Togolais se doivent de cultiver une forte solidarité. Elle devra se manifester par l’acceptation des uns et des autres de contribuer à payer de façon collective la connexion pour tous… Les frères et sœurs qui ont choisi le métier de technologies devront mettre leur génie au service des populations en inventant des moyens légaux de partage de la connectivité. Il est fort à parier que la nouvelle décision que l’ARCEP et ses complices viennent de prendre est tombée dans les oreilles de sourds…
Francisco NAPO-KOURA