« Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? La nuit est longue, mais le jour vient », répond la sentinelle. C’est par ces versets tirés de la Bible (Esaïe 21 : 11-12) que Sylvanus Epiphanio Olympio, entamant le discours solennel de l’indépendance du Togo le 27 avril 1960. Cette indépendance a été émaillée de vicissitudes et de péripéties.
En parcourant l’histoire du Togo depuis son institutionnalisation par la volonté du colonisateur allemand en 1884 jusqu’à la proclamation de l’indépendance, il apparaît que le 27 avril 1960 n’est que la consécration d’un parcours de combattants.
En effet, le territoire appelé aujourd’hui Togo, est né à la suite d’une hypothétique signature d’un traité de protectorat entre les autorités de la côte et les Allemands le 05 juillet 1884. Pendant les trente années de gestion du territoire togolais par les autorités allemandes, l’esquisse d’un sentiment nationaliste se faisait sentir dans l’imaginaire collectif de certains autochtones évolués du Sud-Togo. Il s’agissait des riches commerçants de la côte en l’occurrence les Afro-brésiliens avec Octaviano Olympio, leur porte flambeau. Ils dénonçaient l’inégalité de traitement judiciaire entre les Noirs et les Blancs en adressant deux pétitions aux autorités allemandes. Une première pétition au gouverneur allemand du Togo, le comte Julius Von Zech en 1909 et une seconde en 1913 au Dr Solf, ministre allemande des colonies en visite au Togo. Pour la première fois est utilisée la revendication : « Nous, Indigènes de Lomé ». Ces mouvements pétitionnaires avaient contribué à la construction d’une conscience nationale.
Ce nationalisme naissant a été mis en veilleuse par la Première Guerre mondiale (1914- 1918) qui eut pour épilogue l’arrivée de nouvelles autorités à la tête du territoire. Le premier acte politique majeur fut le partage du territoire (Togo britannique[1] pour la Grande Bretagne et le Togo français, actuel Togo). Cette occupation du territoire par la France et la Grande Bretagne fut confirmée le 10 juillet 1919. Les deux Togo furent alors placés sous mandat de type B de la Société des nations (SDN) le 20 juillet 1922 et confiés à la France et à la Grande Bretagne. Cette période fut marquée fondamentalement par la création par le commissaire de la République au Togo, Auguste Bonnecarrère, des conseils des notables à Lomé et dans certaines villes à l’intérieur du pays et fut orientée vers un développement plus économique que politique. La vie politique et la lutte pour l’indépendance débutèrent véritablement qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) quand le Togo passa sous le régime international de tutelle de l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Quel est le chemin parcouru et les différentes actions menées pour l’accession à la souveraineté nationale et internationale du Togo ? Pour répondre à cette question, notre argumentaire se situe à trois niveaux. Nous allons d’abord évoquer les débuts masqués du nationalisme togolais (1945 – 1951). Après, nous parlerons de l’implication des forces internationales dans la lutte démocratique au Togo (1951– 1958). Enfin, nous passerons en revue quelques faits marquants de la période des élections du 27 avril 1958 à la proclamation de l’indépendance en 1960 (1958- 1960).
- Du mouvement pan-éwé au mouvement pan- togolais : les débuts masqués du nationalisme togolais : 1945- 1951
Après la Deuxième Guerre mondiale, face à l’échec de la Société des nations (SDN), l’Organisation des nations unies (ONU) fut créée. Depuis sa création en 1945, cette organisation s’est s’investit dans la décolonisation des territoires sous domination dont le fondement est le respect du principe de l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux -mêmes. La France avait d’ailleurs, malgré elle, anticipé en ouvrant la voie à cette nouvelle forme de démocratisation à la conférence de Brazzaville.
1.1. Les consultations pour le choix des Togolais dans les institutions en France.
Pour discuter des mesures prises à la conférence de Brazzaville, le gouverneur Noutary convoqua une conférence les 11 et 12 mai 1945. Cette conférence fut le cadre de l’officialisation de la vie politique au Togo. Certains délégués avaient refusé les propositions allant dans le sens de l’acquisition de la citoyenneté française. Par exemple, le chef Dorkenoo d’Ahépé avait déclaré : « Nous sommes nés au Togo, nous sommes Togolais, nous ne demandons pas autre chose ». Sulvanus Olympio renchérit en ses termes : « Nous voulons rester Togolais et nous ne voulons pas avoir le statut d’Européens, (…) nous voulons évoluer dans notre cadre ici ».
Les délégués s’opposèrent aussi à l’élection des représentants togolais à l’Assemblée Nationale française où il sera question des discutions des affaires qui ne concerneront pas le Togo. Par contre ils soutenaient l’idée d’avoir un représentant dans les institutions françaises. Ce refus n’empêcha pas l’administration à organiser la première consultation pour le choix d’un représentant commun du Togo et du Dahomey, le 21 octobre 1945. Sourou Mighan Apithy fut élu et devint le représentant du Togo et du Dahomey à cette première constituante. Il fut réélu le 02 juin 1946 à la seconde constituante après la dissolution de la première.
Le véritable enjeu au Togo fut l’élection du 10 novembre 1946 pour le choix d’un député à l’Assemblée Nationale française. Le Dr Martin Aku du CUT fut élu à ce parlement à 72,3 % au détriment de Nicolas Grunitzky du PTP. Dès lors, le combat politique prend une nouvelle orientation. La constitution française a prévu la création d’une assemblée représentative locale. Cette assemblée comptait 30 membres dont 6 pour les citoyens français et 24 Togolais[2]. Le CUT remporta 14 sièges sur les 24. Sylvanus Olympio fut élu président de cette assemblée pour un mandat de 5 ans. Cette Assemblée se réunit deux fois par an en session ordinaire. Elle s’opposa aux pratiques de l’administration. C’était surtout la gestion de la question Ewé par le CUT, qui servit de prétexte à l’administration pour le disqualifier par des pratiques controversées.
- La gestion de la question éwé
- Mouvement pan – éwé
La revendication d’une unification du peuple Ewé, est aussi vielle que les frontières qui ont divisé ce peuple. Mais ce fut au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que cette revendication s’exprima de façon méthodique.
En effet, le 9 juin 1946, à l’initiative d’un professeur de géographie de la Gold Coast, Daniel Nyaho Chapman, fut créée à Accra la « All Ewe Conference » (AEC) pour l’unification des Ewé. Au Togo, le CUT en devient la composante la plus solide et Sylvanus Olympio, son porte-parole incontesté. Le 2 avril 1947, le secrétaire Général des Nations Unie, le Norvégien Trygve Lie, fut saisi d’un télégramme de l’AEC demandant l’unification des Ewé. Cette politique d’unification de l’Eweland avait divisé la classe politique togolaise. Ainsi, le PTP était farouchement opposé à toute idée d’unification des Ewé. Il disait que « la création d’un Etat Ewé, entrainerait la désintégration du Togo en qu’en outre, elle priverait les tribus du Nord de tout accès à la mer ». Ce mouvement dit mouvement pan- Ewé sera rejetée par le Conseil de Tutelle de l’ONU, le 17 novembre 1947, par l’intermédiaire d’une commission consultative permanente pour les affaires togolaises constituée par les représentants des gouvernements français et britannique, pour deux raisons essentielles :
- le territoire Ewé est trop petit pour donner naissance à un Etat permettant de se développer raisonnablement ;
- les Ewé des deux Togo ne constituent qu’une minorité, il n’est pas possible de modifier le statut politique du Togo pour satisfaire une minorité de ses habitants.
En réalité le problème éwé, tel que posé par les nationalistes, porte lui-même les germes de son impuissance à aboutir et, de sa destruction. On notera, pour sa réalisation, des difficultés de plusieurs ordres, mais essentiellement politiques :
- l’habitat éwé est dispersé sur trois territoires (les deux Togo et la Gold Coast) dont l’un, la Gold Coast, échappe à l’ONU ; d’où une première concession de taille : le problème ne pourra, à l’ONU, être discuté que pour les deux Togo.
- les deux Togo comportent une majorité de populations non éwé dont il serait difficile de gérer avec l’unification ;
- les puissances coloniales n’étaient pas prêtes à accéder aux revendications des Ewé qui risqueraient de bouleverser l’équilibre précaire établi à travers toute l’Afrique coloniale.
- les dissensions et méfiances entre les divers groupes éwé.
A partir des années 1950, le mouvement pan-éwé ayant connu un échec, les nationalistes Ewé changèrent de politique et furent favorables à l’unification des deux Togo.
- La lutte démocratique et l’implication des forces internationales : 1951– 1958
A partir de 1951 au Togo, la lutte pour l’indépendance eut une autre connotation. Taxés de tribalistes, les leaders du CUT ont orienté le mouvement pan – Ewé vers un mouvement qui prône l’unification des deux Togo. Ce mouvement est dénommé « Mouvement pan-togolais ». Pendant la période 1951 à 1958, les élections, boycottées par les nationalistes ont tourné à l’avantage des progressistes qui étaient devenus des maîtres du jeu politique au Togo.
- Le mouvement pan- togolais
Après l’échec de l’unification des populations éwé, les pétitionnaires du CUT optèrent pour l’unification des deux Togo. Ils furent ainsi auditionnés par le Conseil de tutelle. Ainsi, au cours de sa 7e session, tenue à Lake-Success (New-York) du 5 au 14 juillet 1950, le Conseil de tutelle écouta certains pétitionnaires : Olympio (All Ewe Conference), F. Asare (Togoland Union), S. G. Antor. Voici un extrait de la pétition de S. Olympio :
Nous ne demandons pas l’unification pour l’amour de l’unification elle-même ; nous la demandons parce que nous sommes convaincus qu’elle sera l’occasion d’un progrès politique, économique et social pour notre peuple et ce progrès nous est impossible maintenant à cause de notre division (…). Nous faisons des objections à la limitation évidente établie sur la portée des recommandations de la Commission par des mots – dans le cadre de l’administration britannique et française –. Il est évident que, si le cadre de l’administration britannique et française doit être maintenu, l’unification de quiconque, dans quelque direction que ce soit, est exclue d’avance…[3]
En réalité le mouvement « pan-Togolais » fut lancé lors du congrès de Kpalimé du 07 janvier 1951 sous la présidence de Fia Apétor II. Au cours de ce congrès, Théophile Mally, un des leaders du CUT disait : « Si les Ewé et leurs co-religionnaires togolais en lutte pour l’unification de leurs territoires devaient tomber, massacrés par les balles de l’adversaire, je suis sûr que le dernier mot de la dernière victime, sera « unification ». Bien que ce projet, reçu l’accompagnement onusien et des puissances tutélaires, va échouer suite à l’opposition de Kwame N’Krumah. Devenu premier ministre de la Gold Coast en 1951. Ce dernier exprima son intention d’intégrer le Togo britannique à son pays. Sa lutte reçut l’assentiment de certains dissidents du mouvement pan-Ewé en l’occurrence Daniel Chapman, cette figure emblématique de ce mouvement qui fut nommé secrétaire du cabinet de Premier Ministre N’Krumah. (N. Gayibor, 2005, p. 627-629).
Malgré le refus des nationalistes Ewé, la partie occidentale du Togo-allemand fut annexée à la Gold Coast, à l’issue d’un référendum organisé le 09 mai 1956. Avec la complicité de la Grande-Bretagne, N’Krumah a réussi à intégrer le Togo britannique à la Gold-Coast, à la demande d’une majorité (93095 voix contre 67492) bien que dans le Sud de ce territoire les districts de Kpando et de Ho aient massivement repoussé cette annexion. Suite à cet échec de réunification des deux Togo, les leaders du CUT vont orienter leur politique vers l’indépendance du Togo oriental dominé par la France. Cette période est marquée par une suprématie des progressistes.
- La suprématie des partis progressistes dans la vie politique.
Les deux partis progressistes, le PTP et l’UCPN furent fortement soutenus par l’administration pour contrecarrer le CUT dans son projet d’unification. Ce fut d’ailleurs cet appui qui leur permettait de remporter toutes les échéances organisées à partir de 1951.
En effet, aux élections législatives du 17 juin 1951 pour renouveler les membres de l’Assemblée française, Martin Aku fut battu par Nicolas Grunitzky. Il fut réélu le 02 janvier 1956. Lors d’une deuxième élection du 09 et 10 décembre 1951, les nationalistes perdirent également le monopole de l’Assemblée représentative au profit des progressistes. Devenue assemblée territoriale, de nouvelles élections anticipées furent organisées le 30 mars 1952 et donnèrent la victoire au tandem PTP-UCPN. Le 18 mai 1952 et le 10 octobre 1953, le Dr Robert Ajavon et Mama Fousséni furent élus respectivement sénateur et conseiller de l’Union française. Le 12 juin 1955, de nouvelles élections législatives furent organisées et boycottées par les nationalistes. Elles donnèrent une victoire totale aux partis pro-français faisant de l’Assemblée territoriale togolaise, une assemblée monocolore. Nicolas Grunitzky fut également réélu le 02 janvier 1956.
A final, depuis 1951, les progressistes, soutenus par les Français, gagnèrent toutes les consultations populaires. Ils ont profité de cet avantage pour réprimer les nationalistes qui n’avaient eu qu’au recours aux pétitions envoyées à l’O.N.U.
- La répression des partisans des mouvements nationalistes
Plusieurs répressions ont émaillé la période de vache maigre pour les partisans des mouvements nationalistes. La plupart de ces répressions était liée aux élections qui n’étaient pas organisées dans les normes. En plus de la manipulation de la liste électorale par le pouvoir coloniale, les progressistes, intimidaient, menaçaient, pourchassaient, et parfois même molestaient et emprisonnaient les membres du parti d’opposition (CUT et Juvento) surtout quand ils sont fonctionnaires. Les exemples furent légion. Les chefs favorables aux thèses nationalistes étaient remplacés manu militari par leurs collaborateurs favorables au maintien de la France au Togo. Des bourses étaient supprimées aux étudiants militants dans les partis nationalistes. Toutes ces exactions avaient contraints les nationalistes a boycotté toutes les élections pendant cette période. C’est ce qui expliqua les débordements si contestables des « Ablodé Sodja », une fois la victoire acquise des nationalistes le 27 avril 1958.
[1] Le Togo Britannique fut rattaché à la Gold Coast (actuel Ghana) à la suite du référendum de 1956.
[2] Ce système d’élection est qualifié de double collège
[3] Archives nationales du Togo (ANT), Lomé, sous série 2APA, Cercle de Lomé, Dossier N° 62, journal Le Guide du Togo, N° 62 du 31 juillet 1950, cité par kpayé , p.320.
- De la République autonome du Togo (RAT) à l’élection du 27 avril 1958.
La montée du nationalisme dans les territoires coloniaux poussa la France à accorder l’autonomie à ces colonies à travers la loi-cadre. Malgré son statut de territoire sous tutelle, la France choisit le Togo comme territoire d’expérimentation de la loi-cadre. Dès lors, le 30 août 1956, la République autonome du Togo est proclamée.
Le 10 septembre 1956, Nicolas Grunitzky fut nommé Premier Ministre et forma un gouvernement dominé par les progressistes. Ce gouvernement était composé de 09 membres. La République autonome du Togo avait tous les attributs (un drapeau[1], un hymne national[2], une devise[3]). Loin de faire l’unanimité des courants politiques, cette république était rejetée par les nationalistes appuyés par les étudiants. Entre la fin de l’année 1956 et début 1957, de violentes manifestations parfois sanglantes de protestations ont lieu au Togo, en particulier à Lomé, à Mango et à Kara (Pya-Hodo), pour dénoncer cette autonomie qui empêchait la proclamation de l’indépendance. Par exemple, à propos des événements de Kara en 1957, la mission de visite des Nations Unies dirigée par le Libérien Charles King, rapporte selon les représentants des nationalistes que :
Ils se sont plaints de ce qu’avant l’arrivée de la Commission, le commandant de cercle ait menacé de représailles les nationalistes qui refusaient de prendre part aux manifestations organisées par les autorités locales. Ils avaient refusé de se laisser intimider et qu’ils avaient continué à faire valoir leur point de vue : indépendance intégrale. Après le départ de la Commission, les pétitionnaires se plaignirent du fait que dans l’après-midi, du 22 juin 1957, les autorités locales avaient réussi à massacrer la population paisible sur la place du marché de Pya Hodo. Ils déclarèrent qu’ils avaient été dans l’impossibilité de se rendre sur place pour vérifier le nombre de victimes, mais selon les sources dignes de foi, ils aspirent qu’il y en avait plus de soixante, parmi lesquelles des femmes et des enfants[4]
Par rapport au même événement, la mission reçut un télégramme de Monsieur Augustino de Souza, président général du CUT qui déclara qu’: « à Lama Kara, la police avait ouvert le feu sur ses partisans sous prétexte de légitime défense contre une foule de manifestants et plusieurs membres des partis nationalistes furent arrêtés et emprisonnés »[5]. Ce fut dans ce remue- ménage que l é élections législative de 1958 sera organisée
- Des élections du 27 avril 1958 à la proclamation de l’indépendance en 1960 : 1958- 1960
- Cause de l’élection législative du 27 avril 1958.
Cette ardeur nationaliste sera activée davantage par les manœuvres françaises visant la fin de la tutelle onusienne au Togo et son maintien dans l’autonomie française. Par conséquent, la France organisa un référendum le 28 octobre 1956 pour obtenir la levée de cette tutelle. Malgré une majorité de « Oui » obtenue au référendum, l’Assemblée générale des Nations Unies rejeta en janvier 1957, la levée de la tutelle et envoya au Togo une mission d’information présidée par le libérien Charles King.
Cette mission avait recueilli les points de vue des uns et des autres du Sud au Nord. Elle constata l’existence de deux courants opposés. Le premier (PTP, UCPN et Alliés) défendait la présence française. Le second (CUT, Juvento et alliés) réclamait l’indépendance immédiate. La mission avait jugé nécessaire de créer des conditions d’élection juste et équitable afin que le courant majoritaire remporte les élections. L’élection du 27 avril 1958, fut alors une élection législative anticipée.
Avant la tenue de cette élection, des réformes institutionnelles ont été opérées au Togo en tenant compte des recommandations de l’ONU. En effet, en vue de convoquer le corps électoral, l’Assemblée territoriale a été dissoute le 20 février 1958, c’est ce qui explique le caractère anticipée de cette élection. Deux jours après, un nouveau décret réorganisait les futures institutions du Togo. Il prévoyait en substance :
- la substitution de la République autonome du Togo par une république du Togo ;
- le changement de la dénomination de l’Assemblée législative par le terme Chambre des députés dont le nombre est revu en hausse et passe de 30 à 46 ;
- le retrait du haut-commissaire de la République au poste du président de conseil des ministres au profit du premier ministre ;
- la responsabilité de la politique extérieure, monétaire et de la défense est confiée au haut- commissaire de la République.
Cette élection fut organisée sous le contrôle d’une mission onusienne dirigée par un Haïtien, le commissaire Max Dorsinville.
- L’organisation et le déroulement du scrutin.
Le corps électoral est convoqué le 27 avril 1958 pour l’élection de 46 députés (23 pour le Sud et 23 pour le Nord contre 30 précédemment. L’organisation matérielle du scrutin est gérée par le gouvernement togolais. Deux changements s’étaient introduits dans la manière de voter : le suffrage universel direct et le scrutin uninominal à un seul tour. Au terme de la loi, sont électeurs, tous les citoyens des deux sexes âgés de 21 ans révolus et domiciliés dans la circonscription électorale depuis au moins 06 mois et régulièrement inscrits sur la liste électorale. Il y avait un total de 483 000 inscrits dont 201 000 femmes.
Pour ce scrutin, 109 personnes font acte de candidature. Elles représentent les deux courants opposés. La campagne électorale était très animée et s’était déroulée dans le calme et la convivialité. Il y avait quelques incidents à Vogan et à Sikpé-Afidégnon dans le Sud. Les nationalistes sont aidés par les étudiants et surtout es femmes qui furent les bras financiers.
- Le déroulement du vote et les résultats
Au total, 544 bureaux de vote ont été ouverts sur toute l’étendue du territoire. Le scrutin a démarré à 7 h et à pris fin à 17h sous la supervision de la mission onusienne. Dans l’ensemble, le vote s’est bien déroulé mais avec quelques irrégularités éparses (tentative de surcharge de cartes d’électeurs, action des chefs traditionnels pour orienter le vote, etc.)
Au soir du 27 avril 1958, la coalition CUT-Juvento fut le vainqueur du scrutin. Cette victoire a surpris aussi bien les vainqueurs que les vaincus. Voici la réaction des 02 leaders du PTP, parti des vaincus. Nicolas Grunitzky : « Je ne vous cache pas que les résultats des élections m’ont profondément déconcerté ». Dr Robert Ajavon : « Nous avons été balayés, ce sont à la grande surprise de nos vainqueurs, un véritable ras- de marée ».
Sylvanus Olympio du CUT, vainqueur du scrutin, confessa modestement : « Avec tous les renseignement que je possédais, concernant les fraudes électorales, je pensais que nous aurions remporté 21 sièges au plus ».
Au final, la coalition CUT- Juvento obtint 29 sièges, suivi de l’UCPN (10 sièges), PTP (03 sièges) , Indépendants (04 sièges).
Une fois la victoire acquise, Olympio fut amnistié par le gouverneur Georges Spénale et devint le Premier Ministre le 06 mai 1958. Le 16 mai 1958, il forma alors un gouvernement de 09 membres pour la gestion du pays jusqu’à la proclamation de l’indépendance.
- La gestion de la période transitoire
La gestion de la transition pour la proclamation de l’indépendance a connu des incidents malheureux sur tout le territoire. Les partisans des nationalistes s’en prenaient aux biens des progressistes. Beaucoup ont été poursuivis et molestés malgré les appels au pardon et la tournée de réconciliation du nouveau Premier Ministre. Sur le plan international, le 08 octobre 1958, le Ghana ferme ses frontières avec le Togo. La Côte d’Ivoire expulse 5000 Togolais le 24 octobre 1958.
A l’issue des entretiens qui s’étaient déroulés à Paris à la fin du mois de septembre entre M. Sylvanus Olympio, premier ministre du Togo, et le gouvernement français, ce dernier avait admis l’option du Togo en faveur de l’indépendance et annoncé que la procédure engagée dès 1956 devant l’Assemblée des Nations unies serait poursuivie au cours de la session actuellement en cours ” en vue de l’abrogation de l’accord de tutelle en 1960 “. Ainsi par la voix de son délégué au Conseil de tutelle, M. Koseziusko-Morizet, la France a officiellement informé l’Organisation des nations unies de son intention d’accorder l’indépendance au Togo en 1960. Il appartient désormais aux Nations unies de mettre fin la même année à l’accord de tutelle.
Sylvanus Olympio ne voulait pas une indépendance avec une rupture brutale avec la France. C’est qui sera l’une des causes de sa brouille avec la Juvento qui voulait une proclamation immédiate de l’indépendance au lendemain de la victoire. Le leader de la Juvento, Me Anani Santos démission du gouvernement le 11 mai 1959. La Juvento devint un parti d’opposition. Ce fut dans cette atmosphère délétère que fut proclamée l’indépendance du Togo le 27 avril 1960.
[1] Un tissu en rectangle de couleur verte, planqué dans l »angle gauche supérieur du drapeau français et deux étoiles blanches diagonalement opposées.
[2] Deux couplets, les paroles et la musiques sont de Moorhouse Apédoh-Amah
[3] Union, ordre et travail
[4] Rapport de la mission King, cite par Kpayé, p. 325
[5] Idem.
- La proclamation de l’indépendance
Ce fut dans un climat de division entre les vainqueurs d’avril 1958, que Sylvanus Olympio entreprit les démarches pour la proclamation de l’indépendance. A cet effet, on assista à la promulgation d’une série de lois portant modification de l’appareil administratif et institutionnel du Togo. Toujours dans ces préparatifs d’accession à la souveraineté internationale, le Togo se dota d’un drapeau, d’un hymne et d’une devise, éléments fondamentaux d’un état souverain. En termes d’infrastructures, le gouvernement Olympio procéda au bitumage et à l’électrification des voies publiques, à l’érection des édifices comme l’hôtel le Bénin, la Chambre des députés, etc. Tout était fin prêt pour la proclamation de l’indépendance du Togo concrétisée dans la nuit du 26 au 27 avril 1960. Le Togo est devenu désormais un Etat indépendant et souverain.
Conclusion
Somme toute, le Togo est un pays particulier avec une histoire particulière. Du statut du protectorat au territoire sous-tutelle en passant par le régime de mandat, il a bénéficié de divers atouts qui lui a permis de tenir tête à la puissance coloniale pour exiger et obtenir son indépendance. Malgré la divergence des méthodes de réclamation de cette indépendance par les acteurs togolais, la libération du territoire se fit dans un climat de paix le 27 avril 1960. Néanmoins, quelques violences politiques ont été enregistrées par endroit. La proclamation de cette indépendance pouvait être faite le 27 avril 1958 et aurait pu être la toute première de l’Afrique noire francophone avant celle de la Guinée de Sékou Touré.
Bibliographie
https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/10/15/l-independance-togolaise_2314982_1819218.html
GAYIBOR Lodjou Nicoué (dir), 1997, le Togo sous domination colonaile ( 1884- 1980). PUL
GAYIBOR Lodjou Nicoué (dir), 2005, Histoire des Togolais : de 1884 à 1960, Volume II, tome II, PUL, 754p.
KPAYE Koffi Bakayota, 2013, « Les pétitionnaires togolais et le conseil de tutelle de l’ONU : la tribune des nations unies comme lieu de contestation du colonialisme (1946- 1958) » in ASSIMA-KPATCHA Essoham & TSIGBE Kofi Nutéfé , 2013, le refus de l’ordre colonial en Afrique et au Togo (1884- 196), collection patrimoines n°16, Lomé, PUL, pp 313- 328.
Manuel d’histoire du Togo, des origines à 2005, PUL, 2015
Par Missiagbéto ADIKOU
Maître –Assistant en Histoire contemporaine
Département d’Histoire de l’Université de Kara
Membre du laboratoire Histoire et Développement de l’Afrique (HisDAF)
Université de Kara
adikoujean@gmail.com
« TAMPA EXPRESS » numéro 0057 du 08 mai 2024