Ils tuent froidement ou se font complices d’assassins, se fabriquent une légitimité sur mesure, puis se la coulent douce au pouvoir et sous les jupons juvéniles ou gouvernementaux. Ils jouissent du pouvoir d’État davantage qu’ils ne l’exercent, s’ennoblissent en guide-éclairé ou président-fondateur-sauveur de la nation en péril, puis se goinfrent de deniers publics au point de compter parmi les plus riches du pays. Dorénavant mal à l’aise en treillis, symbole de militaire d’active, ils se camouflent en costume civil plus compatible avec l’exercice du pouvoir exécutif. Leur train de vie ostentatoire ne trompe guère car presque tous roulent carrosse ou finissent par rouler carrosse. Sauf un, du moins chez les francophones africains : Thomas Sankara.
Ils ? Ce sont les militaires putschistes négro-africains, en pleine floraison après les premières années des indépendances africaines. Certains sont de véritables assassins. D’autres, tous aussi coupables, des complices d’assassins. Au regard des pertinentes dispositions du code pénal, ces putschistes sont en effet tous des assassins ou complices d’assassins, pas seulement de Chefs d’État mais aussi de simples citoyens parfois préposés à la sécurité des suppliciés. Une fois le forfait accompli, plus rien ne les empêche malheureusement de jouir impunément du pouvoir d’état.
Généralement inaptes à l’exercice soudain de si hautes responsabilités, les putschistes négro-africains déconstruisent de bonne foi la République et la Nation, font dans du fake new d’État pour passer en pertes et profits, entre autres citoyens, celui qui aura été chassé du pouvoir et surtout arraché brutalement à la vie et à l’affection des siens. Presque tous échouent ensuite dans la conduite des affaires publiques pour causes de mal-gouvernance ou simplement d’incapacité à la tâche et versent dans du révisionnisme pour charger négativement leur prédécesseur.
Mais voilà ! Il arrive que les faits soient têtus comme dans l’affaire Thomas Sankara, du nom de ce putschiste, fringant capitaine à la gâchette facile dans une Haute-Volta devenue Burkina Faso, République des hommes intègres, par la vision éclairée du bien nommé. Côté pile et en quelques exemples, Thomas Sankara n’hésita pas à engager une guerre, aussi éclair que regrettable, contre son voisin le Mali ; il s’opposa aussi à l’entrée du Mali dans la zone Bceao ou Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest avant de lever son véto, l’unanimité étant requise pour admettre un nouveau membre. Il fut peu diplomate dans l’expression de ses convictions politiques, notamment envers un certain François Mitterrand, alors Chef de l’État français en visite officielle chez lui à Ouagadougou.
Côté face, Thomas Sankara avait souvent la verve haute et offensive, ce qui, en Afrique noire, ne pouvait plaire à ses aînés, notamment Félix Houphouët-Boigny, Président de la riche Basse-Volta, terre d’émigration de ses compatriotes bien connue aujourd’hui sous son autre appellation de Côte d’Ivoire. Il avait surtout des idées fraîches, parfois trop pour être consensuelles dans son microcosme comme en dehors. Il ne souffrait pas la contradiction sur ce qui lui paraissait évident au service de l’intérêt général. La suite s’écrivit malheureusement en conspiration, puis en brutal assassinat et enfin en mensonges politiques pour ne jamais confondre ses assassins et ceux de ses compagnons ou de simples fonctionnaires se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment.
Dans le contexte politique négro-africain, le Procès Thomas Sankara révèle l’échec de la conspiration du silence sur les assassinats de Chef d’État ou d’opposants politiques. En effet, tout aura été mis en œuvre pendant 35 ans dans le cas Sankara pour éviter l’heure de vérité aux relents nationaux, sous-régionaux et internationaux : management à la Al Capone, ce gangster de renom mais peu respectable de la mafia de Chicago des années de prohibition aux États-Unis, fait de coups tordus sur place ou chez et en accord avec les voisins pour taire les voix qui en savent trop, coup et contre coup d’État, intimidations et triches en tous genres pour tenir la république en otage, fragilisation du processus d’alternance politique pour que jamais la vérité n’émerge, infox et surtout activisme de détresse, autorisé depuis la Côte d’Ivoire, de l’ex Président Blaise Compaoré soupçonné d’être ni plus ni moins un criminel, etc.
Blaise Compaoré, Chef du Faso, qui aura pourtant popularisé pendant 27 ans le slogan “La patrie ou la mort … “, a préféré “L’exil et la vie” aux ors d’une république burkinabè en stand-by définitif derrière sa nouvelle nationalité ivoirienne. Eh oui, un brin hypocrite et fayot ce Blaise Compaoré ! “La patrie ou la mort, nous vaincrons”, ce sera pour les autres car il a fui cette patrie, dont c’est le mot d’ordre, pour s’éloigner du troupeau pris en charge cahin-caha par un nouveau berger. Ô, le lâche ! Encore un putschiste qui aura volé presque trente ans à la république pour finalement laisser – pour tout bilan – une nation déchirée.
Pour Blaise Compaoré et depuis son exil ivoirien, “Le seul fait d’exister est un véritable bonheur” comme dirait un autre Blaise, l’écrivain-reporter-voyageur Blaise Cendrars disparu en 1961. Heureusement qu’il se raconte dans son pays d’adoption, la Côte d’Ivoire, que “Le mouton a beau courir, il revient toujours prendre la corde”. Blaise Compaoré, un criminel présumé que tout accable, a décliné la tribune à lui offerte de témoigner pour s’absoudre, là où un certain Laurent Gbagbo, qu’il œuvra à déstabiliser en son temps, a fait montre d’un gabarit suffisamment messianique pour prouver par la seule magie du verbe son innocence dans les faits macabres qui lui étaient reprochés. Normal, les CV ne sont pas comparables, toutes choses ne pouvant être égales par ailleurs, y compris surtout sur le plan politique ! Le premier est un putschiste rêveur d’impunité et le second, un homme d’État absout par la justice.
Vilévo DEVO