Le peuplement de l’Europe par des Togolais a commencé peu après les premiers contacts des occidentaux avec notre terre. C’est ce qu’explique, dans une interview M. Napo Labodja Oubo-Gbati, à la rédaction de « Tampa Express ». Togolais d’origine et résidant en Allemagne, M. Napo Labodja Oubo-Gbati est instituteur et artiste dans ce pays de l’hexagone. Il est aussi, le responsable de l’association culturelle Case-Internationale e.V, et initiateur du projet postcolonial intitulé « sur les traces nos ancêtres en Allemagne ».
Tampa Express : Bonjour monsieur Napo Labodja Oubo-Gbati. Parlez-nous un peu de vous et de vos activités en Allemagne.
Napo Labodja Oubo-Gbati : Bonjour « Tampa Express ». Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’offrez. Je suis Napo Labodja, instituteur et artiste résidant en Allemagne. Je suis responsable de l’association Culturelle Case-Internationale e.V.. A travers cette association, nous nous engageons sur les questions de la discrimination, du racisme, d’intégration et nous nous intéressons également au passé colonial, notamment du Togo sous la domination allemande.
TE : Vous avez initié un projet intitulé « Sur les traces de nos ancêtres en Allemagne », parlez-nous un peu de ce projet et l’objectif que vous voulez atteindre ?
N.L.O-G : Permettez-moi de contourner un peu votre question. Car, pour comprendre pleinement cette problématique, il est nécessaire de remonter le cours du temps et de noter qu’il existe trois à quatre époques de l’histoire contemporaine du Togo. Il s’agit de la période précoloniale, la période coloniale et la période post-colonialisme. Nous nous intéressons surtout à la période coloniale. Au cours de cette période, les européens ont installé leurs comptoirs et les commerces pour traiter et négocier les produits exotiques et tropicaux qui étaient à cette époque en plein essor. Cette période s’est étendue de l’abolition de l’esclavage, jusqu’à la période de la colonisation et post coloniale. Durant ce temps, de milliers d’objets d’art et même des ancêtres ont été transportés en Europe, plus précisément en Allemagne.
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TE : Comment avez-vous découvert cet état de choses ?
N.L:O-G : Il convient de souligner que nous avons durant des années recueillis des informations et consultés diverses archives sur ces périodes. Grâce aux rapports militaires, aux notes des explorateurs et aux lettres de recommandations qui accompagnaient ces objets et les descriptions de nos ancêtres en un langage ethnographique, nous avons découvert quel était leurs origines et comment ils ont été transportés en Europe. A travers ces objets, les ancêtres parlent. Il y a même des objets qui appartiennent à notre patrimoine, dont nous ignorons aujourd´hui leurs usages. Selon des sources concordantes, ces objets ont été arrachés de force lors de razzias. Il y a aussi des ancêtres qui ont été faits captifs. Ceux qui résistaient étaient simplement décapités sur les lieux de résistance et leurs têtes et certaines parties de leur corps étaient emportés pour servir d’études raciales, crâniennes, racistes et ethnographiques en Allemagne. Dans notre projet, « Sur les traces de nos ancêtres », nous voulons amener nos compatriotes à réapprendre notre passé, sous un autre angle, mais aussi d’apprendre à connaître les faits dans leur contexte temporel. Notre nation, le Togo, est née au cours de cette époque incertaine, sous la violence étrangère, où nos ancêtres ont été dominés et exploités.
TE : Avez-vous déjà vu ces objets pillés ?
N.L.O-G : Ah oui mon cher journaliste. Ces objets sont exposés et exhibés dans des zoos humains ici en Allemagne. Ils sont également utilisés dans des laboratoires. Aujourd’hui, certaines institutions se réclament propriétaires légitimes de ces objets acquis illicitement et frauduleusement.
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TE : Avez-vous entamé des démarches pour leur restitution ?
N.L.O-G : Je relève que les démarches de restitution sont complexes et bureaucratiques. Ici, les “propriétaires illégaux” sont des musées, des instituts, des universités et des organisations privées. Ces dernières années, la question de la restitution est devenue un enjeu politique, ce qui a entraîné un changement de discours. Le gouvernement fédéral allemand a mis en place des structures chargées d’examiner cette question, mais les institutions et les musées ont toujours le dernier mot. Les informations ne sont communiquées qu’aux chercheurs et aux universitaires travaillant dans ce domaine. J’ai moi-même visité des Musées et j’ai obtenu des listes d’objets sous forme numérique, parmi lesquels se trouvent des objets très intéressants et qui doivent retrouver leur origine.
TE : Pourquoi c´est si important pour vous de rapatrier les ancêtres et les objets pillés ?
N.L.O-G. : Nous en sommes actuellement qu’à la phase préliminaire d’échange d’informations et d’élaboration de stratégies, ainsi qu’à la mise en place des équipes de travail et aux premières démarches en Allemagne. Au Togo, notre priorité est de sensibiliser en premier lieu les populations de base, car ce sont légalement leurs ancêtres ou les objets de leurs villages qui ont été pillés. Par conséquent, nous planifions en amont un travail de sensibilisation auprès de la jeune génération concernant l’héritage colonial, tant sur le plan matériel qu’immatériel. Parallèlement, nous cherchons à décoloniser la mentalité collective et à nous affranchir de l’illusion selon laquelle les Allemands étaient de “bons colons” avec leur “Muster Kolonie”, où le Togoland était autonome, sans dépendre du Reich.
Cette mascarade coloniale a imposé un lourd tribut à nos ancêtres, qui ont payé de leur sang ces délires par des corvées et des travaux forcés. Ce ne sont pas les Allemands qui ont construit les routes, les voies ferrées ou les ponts, mais bien nos ancêtres, pour la plupart déportés du nord, afin de réaliser ces ouvrages. Nous souhaitons sensibiliser la population sur la question de la restitution, car sans aucune demande sérieuse émanant des localités, il ne peut y avoir de restitution.
TE : S´il y avait une restitution ou un retour, où iront ces objets ?
N.L.O-G : Il est vrai que nous n’avions pas une tradition de conservation à long terme des objets et que la culture des musées est en phase d’adaptation. Cependant, cela ne nous empêche pas de poursuivre nos démarches et nos négociations. La sensibilisation de base revêt une importance primordiale dans cette question de restitution et de rapatriement. Il est essentiel de localiser en premier lieu la provenance des objets, puis de sensibiliser la population avec le soutien des chefs coutumiers, des comités de développement de quartier ou de village, et enfin d’informer une autorité locale pour les formalités administratives, au cas échéant. Il est nécessaire que les ancêtres et leurs objets sacrés sortent des murs des musées européens et retrouvent le chemin de leurs villages respectifs pour un repos éternel.
La rédaction
« TAMPA EXPRESS » numéro 0051 du 07 février 2024