La constitution marquant la cinquième République au Togo a été adoptée par une Assemblée nationale dont le mandat est déjà fini, et ce, malgré les multiples contestations largement pertinentes qui ont visé en vain à faire entendre raison au Prince et à ses troupes euphoriques dans leur triste version. Au-delà de la gravité évidente de ce coup de force qui a encore visiblement de la peine à passer, dans un contexte d’épuisement total d’un peuple désabusé et chosifié, un fléau national beaucoup plus chaotique suscite la terreur des observateurs avertis : c’est l’attitude indescriptible, à la limite navrante de nos intellectuels animés d’un zèle corrompu et ravageur. Dans un monde où chaque peuple compte avant tout sur ses intellectuels pour se faire éclairer et se développer, le togolais lambda se demande de plus en plus, qu’est-ce qui ne va pas chez nos intellectuels qui opèrent sur la scène politique.
Effectivement, il n’est désormais plus l’ombre d’aucun doute : le loup est dans la bergerie. Le diable est dans nos rangs. Mieux, je dirai qu’il réside dans nos têtes pensantes, dans les lanternes de nos portes-flambeaux, dans les couronnes de leur négative intelligence. J’ai passé le plus clair de mes nuits calmes et inspirantes à écouter en podcasts les divers débats autour de ce canular national portant nouvelle constitution. Naturellement, je n’ai pratiquement pas grand-chose contre les acteurs politiques, à part cet habituel manque d’humanité que je leur reproche constamment. Quand je pense à nos acteurs politiques, je me souviens de ce proverbe turc qui dit : « Quand un bouffon s’installe dans un palais, il ne devient pas un roi, mais le palais devient un cirque ». Mais quant à nos intellectuels dans leur majeure partie, ils constituent de plus en plus un véritable sujet d’inquiétude pour les esprits éveillés de la République. Dans une cité où l’on a érigé la médiocrité, l’amateurisme, la négativité en culture, puis la démesure, le gangstérisme, le vampirisme en normes, et ce, depuis plus d’un demi-siècle, même le dernier citoyen n’a pas sincèrement foi en nos acteurs politiques. Par contre ils sont encore très nombreux à croire en nos intellectuels, à penser que ces derniers éclairent réellement le peuple. Mais ce que j’ai entendu dans les débats fait sérieusement peur pour l’avenir. Je n’en veux pas à ceux qui sont restés muets. Ils ont défendu l’image d’une République prise en otage qui pour l’instant estime n’avoir à dire de mieux que le silence. Leur silence est le refus de prêcher dans le désert qui leur est imposé sur tous les plans. À présent, ceux de nos éminents intellectuels qui ont défendu becs et ongles les criminels aux cols blancs dans leur funeste projet de consécration d’une des plus absurdes monarchies de nos temps contemporains sont ceux qui cristallisent notre attention. Ils ont profané nos temples dédiés au savoir. Ils ont éclairé de leur lumière luciférienne et blanchi les fils et filles des ténèbres les plus inachevés de notre cité. Désormais ils incarnent la pire version de leur espèce ; ils déclinent fièrement, sur la raide pente involutive menant à l’abîme de notre mémoire collective. Tous les enfants de la République cambriolée doivent unir leurs voix dans le chœur d’un verbe de délivrance en faveur d’une génération de ”Dépravés”. Oui, il est grand temps d’exorciser nos intellectuels fossoyeurs qui font briller sous nos cieux leurs théories sataniques par lesquelles ils détiennent et ensevelissent notre République. Ô, Vierge Terre ! Digère les minerais recyclés.
Hervé Kissaou MAKOUYA, philosophe et écrivain.
« TAMPA EXPRESS » numéro 0057 du 08 mai 2024