Ce n’est pas parce que son œuf est couvé dans un nid piraté et son oisillon élevé par des parents d’emprunt que le coucou ou l’indicateur se prive d’identité : le coucou reste le coucou et l’indicateur reste l’indicateur. De même, il a beau imiter, le perroquet ne demeure pas moins un perroquet. Coucou, indicateur ou perroquet …, tous gardent leurs fondamentaux en dépit de facteurs exogènes marquants.
Ainsi donc, ceux qui chantent encore en 2022 que le négro-africain, stéréotype francophone en l’occurrence, est déraciné parce qu’il est éduqué dans une langue qui n’est pas la sienne, parce qu’il pratique une religion qui n’est pas de son inspiration, utilise un signe monétaire qui n’est pas originellement de sa création et parce qu’il ressasse et s’approprie un passé qui n’est pas antécolonial etc., ont l’esprit moyenâgeux et le raisonnement inutilement victimaire et polémique. Là où ce n’est pas possible de couver son œuf dans son propre nid, ni possible d’élever son oisillon soi-même, il y a toujours une solution alternative autre qu’une prose victimaire. Les japonais, les sud-coréens, puis aujourd’hui les chinois de la Chine de Mao ont du bien-être à revendre, non pas parce qu’ils ont appris à faire ou font tout en japonais, coréen ou mandarin, ni parce qu’ils ont été éduqués de manière endogène, mais sans doute parce qu’ils ont sacralisé le travail et le civisme.
En Afrique au sud du Sahara, il y a généralement deslangues parlées et non écrites par monts et par vaux, aussi pauvres que ceux qui les parlent sont indigents. Avec ou sans les entraves supposées de la colonisation et son système éducatif, ce sont de pseudolangues pour la plupart ; elles sont appelées à mourir de leur propre mort avec le temps, sans que personne ne soit déracinée, car en réalité, elles ne servent pas grand-monde et pas à grand’ chose. Rien qu’au Togo, il y aurait dit-on plus d’une cinquantaine de dialectes et autant d’opportunités de divisions tribales au service des tenants du pouvoir.
C’est sans doute les inconvénients de cette prolifération de patois, promoteurs de stériles micro-identités tribales, que le colon allemand a voulu éviter à la République togolaise naissante en sélectionnant l’éwé, la plus riche et la plus véhiculaire des langues tonales locales vers la fin des années 1800, pour l’alphabétisation des populations.
Le Togo est cette bande de terre résiduelle et oblongue d’à peine 55.000 km2 demeurée après le partage opéré par les français et les britanniques victorieux des allemands à l’issue de la première guerre mondiale ; les premiers en ont profité pour délimiter à leur seul avantage les contours ouest du Dahomey de l’époque, devenu bien plus tard le Bénin, et les seconds ont saisi l’occasion pour élargir la Gold Coast (Côte-de-l’Or) et actuel Ghana au détriment du Togo allemand. Encore chanceux que le Togo allemand résiduel d’alors, sous administration et culture francophones après la première guerre mondiale, n’ait pas été purement et simplement dissout par la France dans une seule et même République du Dahomey en construction !
Est-ce l’absence de priorité accordée à un système éducatif axé sur la diversité culturelle, tribale et linguistique et sur les volets antécoloniaux qui handicape la production du bienêtre d’une part et d’autre part la survenance du progrès social dont a besoin une nation en construction ? L’absence d’une telle priorité, réformatrice du système éducatif, est-elle le facteur bloquant du progrès social dans cette bande de terre oblongue de 55.000 km2 dénommée Togo, résidu de ce qui a été arraché aux colons allemands par les français à l’issue de la première guerre mondiale et érigé malgré tout en république ? Pas sûr. Ce genre de rhétorique relève de la pure diversion, ici comme dans d’autres pays négroafricains au sud du Sahara, pour éviter de questionner les vrais handicaps à l’essor économique et social.
La promotion de la diversité des langues nationales dans le système éducatif peut au demeurant être facteur de division sociale et destructrice de la nécessaire culture du vivre ensemble. En effet, plus il y a de langues nationales dans l’espace public, plus le vivre ensemble est contrarié et a fortiori, le développement socio-économique. C’est une option calamiteuse pour la République et une salissure de taille dans la construction de la Nation là où il manque cruellement des hôpitaux et des écoles, au sens matériel et immatériel du terme, ainsi que leurs corolaires que sont l’éducation et la santé d’une part et d’autre part, des Chefs capables et sérieux sans compter la bonne gouvernance respectant au passage le principe de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ; ce sont là les véritables challenges. En fin de compte, les problématiques principales et préjudicielles sont celles de la qualité des dirigeants et conséquemment de la bonne gouvernance. À cet égard, tout dirigeant capable et compétent devrait savoir faire avec les contingences culturelles, linguistiques et historiques au demeurant en pleine mutation. C’est dur à avaler mais force est de constater qu’au sud du Sahara, il y a rarement de bons et convaincants Chefs d’État, c’està-dire des citoyens aux commandes qui forcent l’admiration d’un grand nombre par la qualité de leur leadership. Malheureusement, la plupart parasitent la fonction, comme des punaises, sans réellement la capacité de l’exercer ou sans l’exercer dans l’intérêt général.
Au lieu de sacraliser le travail et le civisme, les dirigeants négro-africains passent le temps à tout travestir à leur profit personnel, notamment les processus démocratiques qui seuls mettent en compétition des ressources distinctives; ils se plaignent de tout, même de leur propre turpitude, versent facilement dans la corruption et la concussion, le clientélisme, le népotisme, la répression bestiale des contempteurs etc. En Afrique subsaharienne, tous les échecs patents sont imputés de manière mensongère à desfacteurs exogènes et jamais à l’incapacité des gouvernants.
Là où le facteur travail et le civisme sont absents, notamment des fonctions régaliennes ou de pilotage, il n’y a ni bien-être ni progrès à espérer. Seul le travail ennoblit et éloigne de la pauvreté qui, elle, déracine bien plus que la faible prise en charge de langues nationales et cultures locales dans le système éducatif.
Vilévo DÉVO