Bon nombre d’observateurs ont alerté sur cette fébrilité qui se fait de plus en plus visible dans l’appareil de gouvernance au sommet du Togo. Des cadres toujours dans de hautes fonctions jusqu’à 20 ans après la retraite, d’autres qui cumulent des postes sensibles et sur une longue période, des institutions en éternité d’intérim après leur mandat légal, une chaîne de commandement assez kilométrique qui occasionne des cas criards de redondance et d’écarts d’application des actes administratifs. Que se passe-t-il dans le système de gouvernance de Faure Gnassingbé ?
Récemment il était question du retard de la nomination d’un nouveau Premier Ministre et composition de gouvernement tant attendu de tous, partisans comme détracteurs. Plus tôt, c’était le scandale d’une assemblée nationale votant pour une nouvelle République hors de son mandat normal. Régulièrement le peuple a été confronté à une attente pendant une durée anormale. Une longue attente qui a certainement causé pas mal de dégâts collatéraux dans le pays. Dans un pays sérieux, on s’inquiète quand quelqu’un gère trop longtemps les affaires courantes d’un poste en réalité vacant. Quelle gouvernance pour quelle efficacité ? Autre forme de dégâts, pendant que le Chef tarde à décréter une nomination, ses partisans se combattent en coulisses parce qu’ils sont nombreux à aspirer à tel ou tel même poste. Non seulement des gens luttent au prix de leur vie, mais aussi pendant tout ce temps d’attente tous les aspirants à la fameuse promotion ne se concentrent plus sur le travail quotidien qu’ils ont à faire au niveau de leurs postes respectifs. On néglige ce qu’on a à faire et on court après ce qu’on n’a pas. Et les citoyens demandeurs des services concernés souffrent.
Faure Essozimna Gnassingbé, président togolais
C’est au final un grand manque à gagner dans le compte du trésor public. Le seul favori dans tout ça, c’est le Grand Prince qui a ainsi la possibilité de faire courir ses partisans dans tous les sens. Et justement une technique de manipulation consiste à se montrer indifférent, dans le but de semer la confusion dans l’esprit de ses équipes. Confus et paniqué, on est beaucoup plus soumis que d’ordinaire. Cela favorise le culte de personnalité, dans un climat de populisme sans pareil. Sans compter cette énorme pollution des rumeurs qui viennent de partout. Dans le lot des rumeurs, il y en a qui sont des ballons d’essai : on laisse filtrer exprès une information sous forme de rumeur, le temps de noter et analyser la réaction du public. C’est à croire que personne ne pense au peuple et à son devenir. Ce peuple manipulé et sacrifié sur l’autel des intérêts partisans.
La lourdeur de gouvernance n’a jamais rien arrangé en réalité. Elle frise le désordre. Or dans le flou s’installe le loup. Il y a des gens tapis dans l’ombre du système et qui profitent de la lenteur administrative pour maltraiter les pauvres gens qui sont à leur portée. Voilà que bien souvent on ne sait pas à qui se plaindre en pareil cas. L’impunité est un indice sérieux qui rend compte d’un climat d’imperfection généralisé : qui va juger qui, alors que personne n’est blanc ? Le plus dangereux, c’est le type de pédagogie qu’on promeut ainsi au sein du peuple. On apprend quoi à nos jeunes administratifs et dans quelle exemplarité ? À cette allure, ça craint pour la relève. Voilà l’un des pires revers de la longévité au pouvoir. À force de se faire aduler, on perd la crainte positive que l’on devrait éprouver à l’égard du peuple ; on perd la notion de reddition de comptes, on perd la notion de l’urgence et de ponctualité dans l’exécution des politiques publiques. En général l’inconstance dans les mesures de gouvernance ainsi que le manque d’une solide discipline interne au sein des structures et instances constituent des obstacles majeurs au développement de l’Afrique. La situation est particulièrement déplorable dans un contexte de longévité d’un régime politique qui ne connait ni contraintes de temps ni instances de contre-pouvoir, encore moins de pressions populaires comme gage d’émulation. Dieu ne descendra pas pour réveiller ce peuple et ses gouvernants. Il appartient à chacun de se prendre un peu plus au sérieux pour éviter à la République un coma profond.
Hervé Kissaou Makouya
« TAMPA EXPRESS » numéro 0063 du 16 août 2024