Les préfectures de Bassar et de Dankpen, situées à environ 480 km au Nord-Ouest de la ville de Lomé sont reconnues comme étant des greniers des ignames au Togo. Parmi les essences les plus cultivées figurent en bonne place entre autres Tchangbalou, Gnamitsi, Koroso et Gloundjou (Karatchi) et bien évidemment la variété Larboko. Cette dernière variété est très prisée par rapport à sa texture et sa saveur et aussi beaucoup appréciée par les populations togolaises et d’ailleurs. Ainsi pour célébrer cette richesse agricole et remercier les mânes des ancêtres d’avoir permis aux cultivateurs de bonnes récoltes, les natifs de ces deux préfectures se retrouvent, pour commémorer la fête des ignames. Cette fête traditionnelle célébrée chaque premier samedi du mois de septembre est connue sous le nom de D’pontr / N’Nidak. C’est un grand rendez-vous de retrouvailles, de partage et de découverte entre les filles et fils du Grand-Bassar (Préfectures de Bassar et Dankpen). Une fête mise en berne par le nouveau Coronavirus depuis deux éditions mais toujours est-il que les cérémonies rituelles auront lieu. Aujourd’hui, face aux changements climatiques, la culture des ignames qui fait la fierté de cette région du Togo connait beaucoup de difficultés. Ces difficultés sont liées au manque de pluies, de la main d’œuvre, à la réduction des surfaces cultivables comptent tenue de l’accroissement rapide des populations, à l’usage excessive des pesticides, etc.
Larboko des préfectures de Bassar et de Dankpen est une plante à tubercules appartenant à la famille des Dioscoreaceae (nom scientifique), du genre Dioscorea Cayenensis-D. rotundata. Elle est produite dans plusieurs pays de la sous-région. Mais sa particularité réside dans les sols de ces préfectures qui sont très riches en minerais de fer. C´est justement sur ces sols ferrugineux que sont cultivés Larboko. Il s’agit d’un gros tubercule doux, farineux et très succulent. Mieux commercialisé pour ses qualités organoleptiques supérieures à celles des Larboko d´ailleurs. Larboko de Bassar, comme son nom l´indique en langue n’cam, « igname précoce et savoureuse », est très sollicité pour son goût très sucré et caractérisé par une peau lisse. Selon Kossi un natif Bassar qui a voulu se confier à nous « … lorsque j’ai exporté les boutures de Larboko de Bassar pour planter dans mon champ dans la Région des Plateaux, les tubercules obtenues gardent les mêmes spécificités que Larboko mais elles tirent beaucoup plus sur la variété Kratchi. Moi, je l’ai simplement surnommé igname-métissée… » Les mêmes constats ont été faites par Kodjo et Kossivi qui ont mis à terre les boutures de Larboko de Bassar respectivement dans les localités de Azahoun et Yoto.
Selon une légende ancestrale, Larboko est la « mère » des ignames et par ricochet considéré comme le symbole emblématique du peuple Bassar-Dankpen. C’est elle, la vedette lors des célébrations de la fête des ignames D´pontr/N´nidak.
La culture de Larboko, une tradition qui se perpétue

Depuis la nuit des temps, les pratiques culturales sont demeurées les mêmes. Les producteurs, pour espérer avoir une bonne récolte, fabriquent de grosses buttes à l’exception de quelques rares zones où les sols sont profonds et où l’igname peut être cultivée à plat. On plante les boutures sur des buttes fabriquées à la main d’une hauteur estimée à peu près à 2 m avec un rayon de 2 à 3 m. La fabrication de ces buttes est très laborieuse.
Dans certaines localités, les techniques culturales d’igname sont demeurées pratiquement identiques à celles du passé. Le calendrier comporte quatre types de traitement qui sont : la préparation des sols et la fabrication des buttes, la plantation et le paillage, le tuteurage, l’entretien de la plante et la récolte. La préparation des sols et la fabrication des buttes démarrent déjà en novembre de l’année. Les derniers planteurs à mettre les boutures à terre le font au mois de février. Tout ceci se déroule avec les rares pluies de fin d’année. Contrairement aux paysans de la zone Sud du Togo qui attendent les pluies du mois de mars pour lancer le processus, dans le Nord tout cela se fait en saison sèche avec des techniques appropriées qui font germer les boutures attentant les premières pluies du 1er Trimestre de l’année. C’est ainsi que l’on découvre les tiges rampantes pousser comme des champignons au lendemain de ces pluies et aussitôt la phase des tuteurs. Pour un ignameculteur du Nord, c’est la chaleur qui fait mieux germer les boutures.
Il faut un tuteur par butte. Les tuteurs permettent de soulever les tiges d’ignames pendant la période de désherbage, c’est-à-dire le sarclage de la parcelle à la Daba. Cette opération permet d’enlever les mauvaises herbes afin qu’elle ne dérange pas l’évolution de la plante.
La récolte des tubercules d’igname est un processus extrêmement pénible qui demande beaucoup de temps. Car, il faut creuser profondément pour déterrer les tubercules sans causer des dommages pour ne pas raccourcir leur durée de conservation. Parce qu’une igname blessée, pourri quelques jours après la récolte. Par conséquent, les producteurs doivent être très prudents dans le processus de l’opération de récolte. La récolte intervient à partir du 7e ou 8e mois selon les zones et les variétés à l’instar du Larboko. Les localités de bas-fond comme Bangeli, Dimori et certaines zones Konkomba sont souvent les premières à avoir la nouvelle igname déjà à partir de fin juillet.
Une demande de plus en plus croissante
La variété Larboko est très prisée par les consommateurs raison pour laquelle, sa demande flambe de jour en jour. Cette demande très élevée est souvent destinée à l´exportation, aussi bien, à l´intérieur qu´à l´extérieur du pays. Pendant les récoltes, les commerçants viennent de tous les horizons du Togo et de la sous-région. Ils affluent vers les principaux marchés de la zone, notamment : Bandjéli et Bitchabé pour s’approvisionner. Ces ignames sont aussi exportées au-delà des frontières africaines et commercialisées en Europe tout comme aux USA via les Afro-Shops qui sont spécialisés dans les produits tropicaux. Les pays africains comme le Gabon, le Burkina Faso et le Niger sont les plus grandes destinations des tubercules d’igname cultivées dans Bassar et Dankpen.
La production d’ignames soumise aux caprices de la nature
La production d’igname est aujourd’hui soumise aux effets climatiques. Selon les témoignages des paysans, les saisons ont changé à tel enseigne que, personne ne maitrise leur rythme. Selon eux, cette culture est normalement censée débuter avec les dernières pluies de la saison. Mais, depuis quelques années, la saison des pluies s’achève plus tôt et ceci fait pourrir les boutures d’ignames. Les boutures pourrissent dans les tas ou dans les butes par manque d’humidité. Selon eux, les producteurs qui ne cultivaient que dans les bas-fonds, ont plus perdu par rapport à ceux qui ont leurs champs sur des espaces naturels comme dans le sable fin ou dans le gravier. Puis qu’après la grande sècheresse, les bas-fonds se durcissent comme des roches, alors qu’il faut une forte humidité pour pouvoir mouiller ces types de sols.
Des mauvaises pratiques culturales qui tirent la production vers le bas
L’usage des herbicides est devenu actuellement monnaie courante chez presque tous les paysans. Cet usage a des conséquences négatives sur les champs d’ignames. Jadis, les paysans pratiquaient le défrisage et l’herbe couché conservait d’humidité jusqu’au moment de la fabrication des buttes. Mais aujourd’hui, les paysans utilisent les herbicides pour faner les herbes qui appauvrissent les sols et rendent les cultures plus pénibles.
Pour l’ingénieur agronome Labodja B., ces produits sont achetés par voies illégales échappant à tout contrôle étatique. Leur dosage et leur utilisation aussi ne sont pas respectés par les agriculteurs. Pour lui, ces herbicides sont la source du pourrissement des tubercules et des boutures. Le constat actuel est que, à cause de ces herbicides, les nouvelles ignames ne résistent même plus deux semaines après leur récolte.
Maman Ayindoh revendeuse des tubercules Larboko se plaint de ces dégâts en doigtant elle aussi, l´usage abusif, sans mesure ni contrôle des herbicides. « Ma dernière commande de Larboko était à hauteur de 6 calebasses c’est-à-dire 600 tubercules, mais à la destination, j´ai perdu 2 calebasses, soit 50 à 60.000 Fcfa par calebasse. En plus, nous n´arrivons plus à écouler nos ignames comme auparavant. Les preneurs en gros et les restaurants de fufu ne font plus confiance à notre Larboko » a-t-elle confié.
Aussi, certains cultivateurs dans l’idée de « labourer peu pour moissonner beaucoup » surchargent-ils leurs champs d’igname avec d’autres cultures comme : maïs, soja, sésame, gombo, etc. ceux-ci piétinant ainsi l’évolution rapide des ignames.
La baisse de la technique de la jachère dans la région est due à l´augmentation de la population et surtout à la demande très croissante des produits vivriers, poussant ainsi les cultivateurs à varier chaque année sur la même parcelle leurs cultures y compris les ignames. Les buttes sont ainsi faites sur les mêmes sols qui ont connu des traitements chimiques, herbicides, engrais et autres substances fortifiants des sols cultivables qui ne connaissent plus aucun répit.
Manque de la main d’œuvre, un problème très sérieux
Les jeunes ne s’intéressent plus aux activités de la terre, quand bien même, ils sont nés et résident dans la localité. Ils quittent le pays pour partir en aventure vers d’autres cieux. Le Nigéria et le Niger sont les plus grandes destinations du jeune aventurier bassar-konkomba. Selon des personnes interrogées dans la localité, plusieurs sont ces jeunes qui vont au Nigéria pour aller faire le métayage alors qu’ils pouvaient rester sur place pour être des entrepreneurs agricoles et travailler pour leur propre compte. Ces jeunes partent souvent en début d’année et reviennent vers la fête des ignames à moto. Toujours d’après les témoignages, c’est des engins qu’ils achètent avec le fruit du métayage et en plus de petits appareils électroménagers qu‘ils revendent ici au pays. Tchamba est leur point d’entrée sur le territoire togolais.
Par conséquent, les cultivateurs de grands espaces d’igname, ne retrouvant pas des métayers pour la fabrication des buttes, ils se limitent à des superficies réduites selon chacun sa capacité. Cela a diminué voire freiner l’allure des champs d’ignames. Les producteurs déplorent cette situation dont aucune solution pérenne n´est en vue.
Le manque de la mécanisation agricole, et surtout le manque de connaissances des agriculteurs sur l’usage excessif des herbicides ont des conséquences néfastes sur cette culture.
La culture principale du peuple Bassar, depuis la nuit des temps demeure la production d’ignames. La variété Larboko reste alors, un héritage ancestral qui doit être protégée et préservé par les fils Bassar- Konkomba. Des actions intenses de sensibilisations doivent être intensifiées pour conscientiser les producteurs des Monts Barba-Bassar, en vue de l’application des bonnes méthodes favorables à la culture des ignames pour de meilleurs rendements.
Labodja Napo
Mayigma Dayimbou
Moïse Wadja
Jules N’gbilnimon Bonfo
Zakaria Mintou