CENI, OIF : les chiffres du recensement ne tiennent simplement pas!
Le lundi 27 novembre 2023, Mme Yawa Kouigan, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement annonça à la TVT, que « le Président de la République a instruit le gouvernement de prendre sans tarder toutes les mesures pour permettre d’organiser les prochaines élections au plus tard à la fin du premier trimestre de l’année 2024 ». Les dés sont enfin jetés pour des législatives hors délai constitutionnel. Enfin, pourrait-on dire. Le mandat de cette législature fini à la fin de l’année 2023.
La Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a conduit un recensement électoral sur la période du 29 avril au 14 juin 2023, en 3 étapes sur 3 zones. Et il y a eu plus de couacs que de normalités. Les manquements étaient substantiels, autant sur le plan matériel que sur le plan des ressources humaines dédiées. En revanche, l’affluence de la population dans les centres de recensement et de vote (CRV) était massive, de sorte que les quelques jours de rallonge accordés, dans une confusion totale, ne changeront pas la donne fondamentalement. Les améliorations et ajustements requis n’ont pas suivi, malgré les nombreuses plaintes des citoyens, de partis politiques, de la société civile et autres. Ainsi les portent des CRV furent fermées aux nez foules de citoyens qui n’ont pas pu se faire enrôler. Donc un nombre non négligeable d’électeurs n’est pas inscrit.
Alors, la surprise fut générale ou presque quand le 16 novembre 2023, trois experts de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) annoncent en conférence de presse la remise du rapport de l’audit au président de la CENI du Togo, à la suite d’une mission d’expertise du fichier électoral du 20 au 27 octobre 2023. Les experts de l’OIF auraient partagé avec ce Comité d’audit leurs constats et recommandations, aussi aux représentants des partis politiques (Majorité et Opposition), mais à l’exception de ceux de la société civile.
- Désiré NYARUHIRIRA, conseiller spécial de la Secrétaire Générale de la Francophonie déclarait lors de cette fameuse conférence de presse du 16 novembre que « les experts ont mené leurs activités en toute indépendance, en effectuant une analyse rigoureuse et objective du cadre juridique et opérationnel, du cadre technique et informatique et de la démographie électorale togolaise… » et de conclure que « le fichier électoral togolais est suffisamment fiable pour permettre la tenue des prochaines élections régionales et législatives, dans des conditions de confiance».
Entre-temps, le 20 novembre, la CENI avait communiqué son fichier électoral définitif, selon lequel le recensement brut est de 4 432 936 électeurs. Et après vérification, il y a eu la radiation de 129 225 noms, pour un total final de 4 203 711 électeurs dont 1 941 315 hommes et 2 262 396 ; soit respectivement 46,18 et 53,82 % des inscrits. Que la magie soit! Nous sommes au Togo et rien ne doit plus nous étonner. Selon le 5e Recensement général de la Population et de l’Habitat, la population togolaise (RGPH-5) se chiffre à 8 095 498 habitants, dont 4 150 988 femmes et 3 944 510 hommes; 49,22% d’hommes et 54,50% de femmes.
L’improbable probabilité des chiffres du recensement, sous tous les aspects
Pour mémoire, en 2015 l’OIF assurait que le fichier électoral du Togo « n’est pas fiable, mais qu’il est consensuel ». En 2023, la même organisation sanctifie le fichier électoral en ces termes « le fichier électoral togolais est suffisamment fiable pour permettre la tenue des prochaines élections régionales et législatives dans les conditions de confiance ».
Et pourtant, un simple calcul de soustraction avec les chiffres du fichier communiqués par la CENI donne : 4 432 936 – 129 225 = 4 303 711, alors que la CENI nous dit que son total final est de 4 203 711. Entre les deux, on note que 100 000 recensés ou tenu comme tels se seraient évaporés.
Qu’est-ce qu’en dit l’OIF alors, qui soulignait pompeusement que « sa mission d’audit au Togo a été menée de manière transparente, impartiale et objective et selon des procédés techniques et scientifiques éprouvés, y compris auparavant dans de nombreux autres pays de l’espace francophone engagés dans des processus électoraux »? Elle soulignait aussi avoir « effectué une analyse rigoureuse et objective du cadre juridique et opérationnel, du cadre technique et informatique et de la démographie électorale togolaise… ».
Chère OIF, le tableau ci-dessous sur la démographie togolaise dans son ensemble et en particulier celle électorale nous démontre une autre réalité, pire ou plus invraisemblable que l’évaporation des 100 000 recensés. À moins que la réalité de la CENI et de l’OIL soit une « réalité alternative ».
Lorsqu’on se rend compte que les derniers coups d’États en Afrique sont presque exclusivement dans la zone francophone, on comprend aisément la nature de ce travail scientifique de l’OIF dans l’espace francophone. Les faits parlent d’eux-mêmes.
Pour rappel, le code électoral stipule à son « Art. 51 – le corps électoral se compose de tous les Togolais des deux sexes, âgés de dix-huit (18) ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, inscrits sur les listes électorales et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. »
Selon diverses sources (Banque mondiale, Perspective monde, World Population Dashboard, UNICEF, etc.) la proportion des 0 à 14 ans avoisine 40 à 41% de la population togolaise. Et le Togo Country Office Annual Report 2022 de l’UNICEF indique que les moins de 18 ans en constituent 48,5%. Il resterait alors un bassin potentiel de 51,5% de 18 ans et plus, donc en âge de voter; y compris les non-nationaux et autres catégories de cas d’incapacité prévu par la loi. Le recensement RGPH-5 de 2022 donnant un résultat de 8 095 498 personnes sur le territoire togolais, les 4 203 711 constituent donc 51,93% de la population totale.
Comment est-ce possible que le recensement électoral de 2022, qui a laissé une bonne partie de citoyens sur la touche, peut donner comme résultat, plus de personnes recensées (51,93% de la population togolaise) que le potentiel disponible en âge de voter (51,5% de la population totale)? Encore là le potentiel disponible inclut les non-nationaux non votants, car le recensement RGPH-5 inclut tous les résidents du territoire national, y compris les non-nationaux. Comme l’a chanté Tiken Jah Fakoly, « rien ne m’étonne » au Togo des « gouverneras », où il arrive de constater sur des procès-verbaux 100% ou plus de suffrages exprimés.
Bref, la simple logique voudrait que, si on enlevait les non-nationaux des 8 095 498 recensés, en plus des moins de 18 ans (plus ou moins 48,5%); pourrait-on logiquement atteindre 51,43% de la population (4 203 711 inscrits) en âge de voter? Mathématiquement ou statistiquement, il semblerait y avoir une dilatation ou anomalie quelque part. Les chiffres de la CENI et son OIF ne tiennent simplement pas.
À moins qu’il y ait une marge improbable d’erreur dans le RGPH-5 ou dans l’estimation de la tranche des moins de 18 ans (UNICEF entre autres) ou autres. Même là encore, la logique de ces chiffres reste toujours hypothétique. Tout comme John Swigert, l’un des astronautes de Apollo 13, on se doit de s’écrier « Houston, we’ve had a problem here ».
À titre de comparaison, dans le cadre des législatives 2023, le Bénin a enregistré 6,7 millions d’inscrits sur une population de près de 14 millions (47,86%), la Côte d’Ivoire en 2021 a eu 7 359 399 inscrits pour plus de 29 millions d’habitants (25,52%), le Burkina Faso en 2020 environ 5,8 millions d’inscrits pour plus de 20 millions d’habitants (29%), le Ghana en 2020 un peu plus de 16 millions d’inscrits pour plus de 33 millions d’habitants (48,48%).
Les mêmes délais d’opérations de recensement 2023 dans les 3 zones érigées, est-ce équitable?
Le DÉCRET 2023-037/PR 05/04/2023 du 5 avril 2013 annonçait le recensement électoral du 29 avril au 3 juin 2023 et 3 zones d’opérations de recensement, notamment les opérations dans la zone 1 du 29 avril au 6 mai 2023, dans la zone 2 du 13 au 20 mai 2023 et dans la zone 3 du 27 mai au 3 juin 2023. Globalement, l’afflux de la population a déjoué les ruses machiavéliques du pouvoir RPT/UNIR. Ainsi contrainte, la CENI a dû accorder des rallonges pour finalement clôturer les opérations le 14 juin 2023, cependant dans un fouillis peut être souhaité ou entretenu. On pourrait parler d’un désordre organisé pour des fins inavouées, si on analyse le résultat final.
Toutefois, l’opposition, au lieu d’attaquer le désordre organisé par les bons arguments et étendre les réclamations à toutes les 3 zones, elle s’est malheureusement focussée sur la zone 1 avec le seul argument du poids démocratique. Encore une fois, cela a donné des arguments au pouvoir pour mieux paraitre que la réalité des faits. C’est comme si l’opposition donnait le bâton avec lequel le pouvoir l’assomme, et c’est le peuple qui continue de subir.
Décidément, on a l’impression que les compétences dans les partis de l’opposition ne sont pas mises à contribution. Elles doivent être plus valorisées pour permettre aux chefs respectifs de mieux cerner les dynamiques et les processus, pour éviter de tendre la perche au pouvoir qui ne cherche que ça.
Pourquoi l’argument exclusif du poids démographique n’était pas très à point?
Une analyse de premier degré des 3 zones de recensement démontre qu’elles sont certes déséquilibrées mais pas notoirement si les moyens y sont mis. Alors en faire l’argument principal de contestation du processus de recensement est un peu contre-productif. Cela a nui un tant soit peu à la contestation, dans la mesure où ces arguments sont facilement battables par le système RPT/UNIR.
Les opérations de recensement supposent aussi la couverture du territoire. Plus le territoire est grand, plus il y a un potentiel plus grand de besoins logistiques et d’efforts du côté des citoyens aussi, principalement ceux qui sont dans des zones rurales ou moins dotées en structures. Il faut aussi en tenir compte.
L’opposition devrait plutôt capitaliser sur les manques de structures et connexes que de donner l’impression qu’on privilégierait les centres urbains ou ses zones favorables éventuellement. Du moins, c’est l’argument du pouvoir RPT/UNIR, qui pourrait trouver échos. La question fondamentale aurait été de savoir le rapport relatif du nombre de CRV, de ressources affectées, etc. en considération du potentiel à recenser. Toute chose étant égale par ailleurs, si les ressources sont suffisantes, le même nombre de jours de recensement pour les 3 zones ne serait pas tant source d’iniquité.
Toujours est-il qu’il faut prendre en compte que la Zone 1 avec presque 44% de la population, ne couvre que 10% du territoire, avec relativement plus d’infrastructures disponibles; la Zone 2 couvre 47,1% du territoire national pour un peu plus de 26% de la population; et la Zone 3 de recensement avec près de 30% de la population occupe presque 42% du territoire.
Il ne faut surtout pas pendre de vue que plus on s’éloigne des zones urbaines, plus les citoyens ont potentiellement plus d’effort à consentir (distance, temps, moyen, …). Ainsi et dans une certaine mesure, le schéma des zones pourrait se défendre (voir le tableau ci-dessous), si le processus était sincère avec les ressources et structures réellement dédiées. Alors ce n’est pas étonnant que c’est sur cet aspect que le pouvoir RPT/UNIR a le plus surfer pour piéger l’opposition, encore une fois.
Encore une fois le pouvoir RPT/UNIR est dans une logique tous azimuts de conservation du pouvoir. Et tous les moyens sont bons. C’est pourquoi il faut le combattre avec les bons arguments, et non faire son jeu.
Le découpage électoral aussi n’est pas du reste, car il est indubitablement inique, par endroit ethnique. La réalité est que le pouvoir est plus machiavélique qu’il semble paraitre. À certains endroits, certaines minorités sont outillées pour se comporter comme des majorités, voir se transformer simplement en majorité. Et ce n’est pas circonscrit géographiquement. Le découpage de cantons, de communes, certaines structurations et leurs commandements (Commissariats, préfectures et autres districts) obéissent à une volonté d’hégémonie et non de refondation, de cohésion nationale.
C’est pourquoi il urge de le combattre, cependant avec les bons arguments, outils, et non avoir le poids démocratique comme seul argument. Un pays n’est pas que le nombre de ses habitants, même si la démographie est prépondérante à plus d’une considération. Il faut comprendre le découpage électorat, voir ce qui se fait réellement ailleurs et surtout faire des propositions et décliner une vision. Le Togo le mérite.
La culture du biais électoral et la stratégie de la terreur pour s’imposer
L’opposition togolaise se doit d’être plus analytique et constituer une alternative, car tous les clignotants sont au rouge écarlate. La vie politique au Togo est cadenassée depuis 1967 pour le parti RPT devenu UNIR en 2010. S’il y a eu la période du parti unique officiellement de 1969 à 1990, depuis les mémorables révoltes du 5 octobre 1990, le Togo a connu pas moins de 14 élections sans alternance ou changement de majorité, notamment 7 élections présidentielles (1993, 1998, 2003, 2005, 2010, 2015, 2020), 6 élections législatives (1994, 1999, 2002, 2007, 2013, 2018) et une élection municipale en 2019. Le système RPT/UNIR malmène donc l’opposition en manque d’opportunisme créatif, dans un cycle malfaisant de négociations-accords-élections-répressions-négociations. C’est ainsi qu’on est rendu à près de 29 dialogues/accords pour une moyenne d’un dialogue/accord aux 13 ou 14 mois.
Ce qui défie le bon sens. Dans un système fonctionnel et à des exceptions près. Même l’usure du temps amène le peuple à essayer autre chose. S’il se trompe, il se corrige. Faute d’une opposition efficace, l’alternance alternative s’éloigne avec le temps. On observe plutôt une certaine complaisance ou tout simplement « LA BOETIE ».
Alors que, la situation socioéconomique du Togo ne saurait même pas attendre l’usure du temps avant de connaître changement, tellement le tableau est aride. Ce n’est un secret pour personne, en tout cas pas pour le citoyen lambda, que le Togo va mal. Il n’est plus à rappeler la cherté de la vie, avec la hausse vertigineuse et continue des prix de produits de consommation courante, alors que les possibilités se rarifient. Sur le plan des infrastructures, c’est le désert le plus aride qu’il puisse y avoir.
Mais au même moment, le Togo est dans une course effrénée de l’endettement. Mais à quoi sont destinés ces emprunts? Les données disponibles de 2018 indiquent que la dette publique du pays par rapport au PIB était de 75,9 % en 2018 avec un taux record de 81,6 % en 2016. Entre 2017 et 2021, la dette extérieure du Togo a doublé et est alors passée de 550 milliards en 2017 à 600 milliards en 2018, à 751 milliards en 2019, à 981 milliards en 2020; pour finalement atteindre 1031 milliards en 2021.
À la fin de décembre 2019 la dette publique a atteint 2 266,6 Mds CFA, soit 53.6% du PIB même après rebasage, et composé de 66,4% de dette interne, 33,4% de dette externe (750 Mds CFA). Ainsi, le service de la dette interne (intérêts et amortissement du principal) est particulièrement lourd, avec 558,3 Mds CFA prévus pour l’exercice 2020. Et ça s’accélère malheureusement, car le Togo est devenu hyper actif sur le marché des titres de l’UEMOA, entre autres, avec de multiples levées de fonds par mois.
Sur le plan des libertés, la presse au Togo est au pas. Le clou dans le cercueil fut l’exil le 5 mars 2023 du journaliste d’investigation, Ferdinand Agité; après un passage au Service Central des Recherches et Investigations Criminelles (SCRIC). Isidore Kouwonou, le rédacteur en chef du bihebdomadaire L’Alternative le suivra et ce journal est depuis lors en veille. Dès lors tout porte à croire que le journaliste togolais tourne sa langue mille fois avant de prononcer sur un sujet et vit dans une certaine précarité. Les rares qui tiennent encore la flamme comme TAMPA Express et d’autres subissent un harcèlement permanent. Les journalistes Loïc Lawson et Anani Sossou viennent juste de retrouver ce 1er décembre 2023 la liberté provisoire après 18 jours passés dans les geôles de la prison civile de Lomé, pour avoir évoqué une affaire rocambolesque de vol dans la maison d’un ministre. Une affaire qui pourtant fait l’objet d’enquête impliquant entre autres des OPJ. Mais bien avant c’étaient Félix Nahm de Radio Nostalgie et Carlos Kétoou de l’Indépendance Express qui ont pris la fuite. Actuellement, pas moins de 10 journaux sont en procès devant les tribunaux du pays.
La nécessité de contester avec les bons arguments
Au Togo, les divers biais et manquements créés et entretenus par le pouvoir RPT/UNIR pour la conversation du pouvoir ne souffrent pas de contestation. Le découpage électoral est inique, le processus électoral miné, la corruption est endémique et autres parasites de la communauté internationales.
Toutefois, même après plus de 30 ans de lutte politique, il est regrettable qu’on ne sente pas l’amélioration dans la courbe d’apprentissage de l’opposition togolaise. Alors que le camp d’en face, avec les moyens de l’État a un avantage certain, ne rate aucune occasion pour se faire du crédit. Vivement qu’il y ait plus d’opportunisme politique du côté de l’opposition, en termes « d’instinct du tueur ».
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » parution 0049 du 10 janvier 2024