Au-delà des discours réformistes à répétition, que faire pour arrêter l’hémorragie ?
La présentation des bilans macabres d’accidents de circulation sur les routes du Togo est devenue un exercice périodique pour le Gal de Brigade Damehame Yark, Ministre de la Sécurité et de la Protection civile. Un travail de routine pour faire des décomptes du nombre d’accidents enregistrés semestriellement, toujours en constante hausse, avec son cortège de blessés et de morts. Toujours, c’est la même rhétorique qui, au final, amène les populations à banaliser le phénomène et même à le déshumaniser. Et les témoins des différents drames ont fini par imiter l’autorité en brandissant les scènes de crimes et des accidents sur les plateformes des réseaux sociaux. La presse quant à elle essaie de relayer l’information en communiquant de façon passionnée, juste le temps que l’évènement rentre dans les oubliettes en attendant le prochain. Le plus récent s’est produit sur la voie exigüe du petit contournement à la hauteur de la foire « Togo 2000 », le 30 juillet dernier. En effet, en début d’après-midi de cette date, un camion semi-remorque de marque Renault, après avoir percuté une moto GOZEM, a renversé un conteneur de la compagnie MSC 40’ sur un véhicule de type 4X4 de marque Mitsubishi TG8430 AY. Heureusement, cette fois-ci, on n’a dénombré que des blessés.
De mars 2020 à juillet 2022, les routes togolaises ont enregistré plus de 25 chutes de conteneurs, tombés des semi-remorques. Alors, il serait grandement temps de sortir des émotions pour faire face à cette pandémie d’accidents de la route typiquement togolaises. Les solutions existent, à travers de simples moyens, sans trop faire saigner les acteurs.
Au Togo, les initiatives n’en manquent pas pour autant
Pour combattre ce fléau d’accidents, plusieurs réformes ont été entreprises par le gouvernement. A cet effet, un corps de sécurité routière (Division de la Sécurité routière DSR), a été constituée. Ce corps a introduit dans la circulation, de nouveaux procédés tels les tests d’alcoolémies et l’utilisation des radars qui est en stade expérimentale. La dernière qui a retenu l’attention à la fin du mois de juillet dernier est l’adoption en Conseil des ministres d’un projet de décret destiné à renforcer les dispositions du Code de la route. Selon le gouvernement, il s’agira de faire face aux accidents récurrents et le bilan meurtrier enregistré. Encore des actions pour améliorer la sécurité routière dans le pays par des textes pour renforcer le dispositif juridique déjà existant. La question ici est de savoir, si les anciennes dispositions sont déjà bien exécutées.
Outre ces initiatives gouvernementales, des appuis financiers de la Banque Mondiale d’une valeur de 18 millions USD soit 11,50 milliards de FCFA ont été accordés au Togo et spécifiquement pour le Projet d’Appui à la Compétitivité des Services Logistiques pour le Commerce (PACSLC), et dont la mise en œuvre avait débuté en mai 2017 pour finir en juin 2022 avec une forte perspective de prolongement. En visitant le détail sur la mise en œuvre de ce projet, vous constaterez que l’argent que la Banque Mondiale a prêté au Togo et qui doit être remboursé par le pauvre contribuable n’a servi comme d’habitude qu’à équiper les services du ministère de la planification en matériel roulant, informatique et mobilier et aménager quelques bâtiment de fortune. Une bonne partie des fonds est engloutie pour payer les perdiems des missions et ateliers de renforcement des capacités. On cite entre autres également des activités de formation professionnelle, de la construction d’un Centre de formation et de perfectionnement aux métiers de transporteurs et de la logistique. Il y a eu aussi l’acquisition des équipements dudit centre de formation, la mise en place d’un numéro vert pour sensibiliser et lutter contre les rackets et tracasseries routières sur les corridors. Quel bilan fait-on des multiples numéros verts au Togo ? C’est d’ailleurs le schéma classique dans la mise en place des projets du FMI et de la BM dans le pays. Et ces projets n’ont jamais permis aux pays africains de décoller. La société civile et les médias également jouent néanmoins leur part dans cette lutte.
Conscient du phénomène, TAMPA EXPRESS dans son numéro 0004 du 24 septembre 2021 avait traité le sujet sur l’angle « L’INSÉCURITÉ GRANDISSANTE SUR LES ROUTES TOGOLAISES : QUELLE ALTERNATIVE ?». Ce dossier a donné des pistes de solutions pour améliorer la tenue de route dans le transport en général. Ce numéro que nous recommandons à nos lecteurs est disponible sur www.tampaexpress.net. Il comporte également une étude scientifique du laboratoire d’anatomie pathologique du CHU-SO intitulé « ACCIDENT MORTEL DE LA ROUTE À LOMÉ, AU TOGO, EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE ». Cette étude scientifique dresse le diagnostic du phénomène et propose des pistes de solutions.
Malgré toutes ces initiatives louables, les choses vont toujours de mal en pire. « Nous allons mobiliser les exemples types pour faire la lumière sur les accidents des camions de transport des conteneurs en lien avec l’activité économique et proposer des remèdes ».
Types de camions appropriés pour le transport des conteneurs
Le transport et la logistique sont les matières qui abordent le chargement jusqu’au déchargement des marchandises. Elle peut être par voie aérienne, maritime, routière ou ferroviaire. C’est toute une économie qui a des règles et des exigences. Le matériel roulant, dont il s’agit ici est de type « poids lourd » qui désignent tous les camions dont le poids total en charge (PTAC) est supérieur à 3,5 tonnes. Il importe de préciser que la désignation « TITANT » est l’équivalant de IVECO, de DAF… qui désigne une marque de tracteur « poids lourds » ou un « ensemble routier ».
Il en existe (poids-lourd) essentiellement sept, dont le camion plateau qui est utilisé pour le transport des marchandises de grande taille. La tête d’un camion-remorque désigne le tracteur et la queue de la remorque. C’est sur les plateaux que les marchandises sont chargées en vrac ou containerisées.
Les plateaux qui sont adaptés au transport du vrac (barre de fer, tuyaux, sacherie) avec ou sans les ridelles sur lesquelles, il est possible de fixer correctement les marchandises. Ici, les marchandises sont souvent bâchées pour les protéger contre soleil, pluie et vol.
Outre les plateaux avec ou sans ridelle pour la sacherie, l’on note des camions plateaux qui sont adaptés au transport des conteneurs. Ces plateaux sont dotés de cales conteneurs (ou container wedge ou encore lunch en langue anglaise) aux quatre extrémités de la remorque pour le transport des dry 20’ communément appelés camion 6 roues et 10 roues. Sachant que les conteneurs 20 pieds mesurent 5,90 mètres de long, 2,35 mètres de large et 2,39 mètres de haut.
Par contre, pour le transport des conteneurs 40 pieds HC, l’on utilise les semi-remorques. Selon les normes, leur longueur n’excède pas la barre des 12 mètres. Ordinairement, les dimensions du conteneur 40 pieds sont de 12m de long, 2,44m de large et 2,59m de hauteur. On peut charger un ou deux TCS 20’ sur une remorque. Plusieurs opérateurs adaptent souvent des plateaux de transport de vrac en les dotant de cales conteneurs et/ou soit en attachant les conteneurs avec des chaînes ou d’autres plus frileux en utilisant les attaches en tissus.
Pour la logistique liée spécifiquement aux containers, il existe des carrosseries porte-conteneurs maritimes 20 et 40’ pieds (faux-châssis) de fabrication spéciale. Elles sont souvent très visibles sur les plateformes portuaires et quelques fois sur le réseau routier pour le transport. Ce type de remorque est l’avenir du transport des conteneurs. Les chinois ayant développé les remorques avec des essieux 3, 4 ,6 voir plus pour maintenir les camions en équilibre en cas de perte de pneus.
Focus sur les camions qui ont fait tomber des conteneurs
Beaucoup de conteneurs sont tombés avec ou sans les camions depuis un moment sur le réseau routier au Togo. Pour cet exercice, nous allons nous appuyer sur les images qui ont été mises en ligne pour illustrer ces drames.
- Les 18 septembres 2020, un conteneur est tombé d’un titan à Lomé dans le quartier Avédji. Pour le confrère « Togo Daily News », il ressort que le chauffeur du « titan » manœuvrait lorsque le pneu avant droit du véhicule fut coincé dans un caniveau à ciel ouvert. Celui-ci dans sa manœuvre tentait de sortir l’engin lourd du caniveau. Le Titan a fini par se déséquilibrer dans la manœuvre et le conteneur qu’il portait est tombé en pleine circulation.
Sur cette photo, l’on observe un TCS 40’ à terre et un ensemble routier dont l’état de la remorque apparait totalement dégradé. Le plateau de ce camion répond à la dimension des 12 mètres mais visiblement n’est pas doté de cale conteneurs pour le calage. Il s’agit d’un plateau destiné à la sacherie (vrac). Plus grave, le TCS n’a pas été attaché par des chaînes. C’est pourquoi l’on constate que le camion est entièrement debout mais séparé du conteneur totalement à terre. Bref, non seulement ce camion n’est pas en bon état mais aussi n’est pas adapté au transport de conteneurs. En plus, le conducteur aurait pu éviter cet accident, s’il avait patienté pour faire appel à un grutier pour l’aider à sortir de la rigole. Son professionnalisme est remis en cause.
- Le 03 septembre 2020, un camion remorque tombe en pleine circulation, non loin du Festival des Glaces sur le boulevard. C’est le tour du confrère « GAPOLA » de s’indigner en ces termes : « Encore un conteneur tombé en pleine circulation ». Il décrit la scène, « En pleine circulation jeudi, un autre conteneur est tombé d’un camion remorque. Si heureusement au moment du drame personne n’était au mauvais endroit, l’on n’aurait pu, et pour une fois encore, déplorer dans l’intervalle de quelques jours, un ou plusieurs morts ».
C’est le même scénario que le précédent. Un conteneur 40’ qui chute d’un camion lors d’une manœuvre subite au rond-point…. ? pendant que l’ensemble routier est resté débout. Ceci dit, la remorque n’est pas adapté au transport de conteneur, le TCS 40’ n’a pas été non plus chainé. En plus, le conducteur a commis une faute professionnelle, car étant en excès de vitesse dans une agglomération et dans un rond-point. Certainement qu’il voulait éviter le feu multicolore.
- Le 18 août 2020, « ICILOMÉ » Une jeune fille perd la vie dans un accident de la route à Lomé. Un accident de la route a eu lieu ce mardi soir dans les parages du Port Autonome de Lomé. C’est un drame épouvantable qui s’est produit sur le boulevard du Mono en face de l’hôtel Sarakawa. Un conteneur a violemment chuté d’un titan sur lequel il est remonté. Une jeune fille, la vingtaine selon des témoins, a été tuée par le titan. Elle était à moto. Habituellement sur les routes togolaises, les gros porteurs tuent avec leurs conteneurs. Des conteneurs souvent non attachés ni accrochés.
Constatations à partir des témoignages et images
A l’analyse des images et reportages de la presse, nous pouvons dégager trois types d’accidents de camions transportant des conteneurs : i) ce qui est souvent fréquent et qui se déroule souvent en pleine ville de Lomé comme celui au niveau de l’Hôtel Sarakawa, Festival des Glaces…quartier Avedji, l’on constate que les conteneurs sont tombes totalement à terre mais les camions sont restés debout et intact. Ce qui veut dire que les conteneurs ont été simplement posés sur une remorque qui n’est pas doté de cales. C’est-à-dire que ces remorques ne sont pas appropriées pour le transport des conteneurs. En plus de ce manquement, nous constatons également qu’aucun conteneur parmi les cas d’accidents n’a été attaché avec une chaîne.
En dehors de ces accidents qui se déroulent en pleine ville à Lomé, l’on se rappelle de celui qui s’était déroulé le 18 septembre 2018 sur la Nationale n°1. Ce tragique accident de circulation survenu à Datcha coûtant la vie à deux personnes dont l’entraineur nationale adjointe de l’équipe féminine du Togo, Kluppy Koudossou. Le bilan faisait aussi état de trois (3) blessés graves et un véhicule totalement endommagé. Le conducteur du long véhicule roulait à vive allure alors que le conteneur qu’il transportait n’était ni accroché, ni attaché selon certaines sources, le conteneur projeté en l’air a atterri sur le taxi qui était stationné. Pour d’autres témoins les chaînes s’étaient coupées. Alors le conteneur s’était détaché de la remorque pour aller tomber sur un véhicule en attente de passagers. Ce qui veut dire que nous sommes en présence d’une plate-forme qui n’a pas de système de calage et le transporteur a opté pour chaîner TCS. Cela se passe souvent quand le camion en pleine allure heurte un trou ou saute sur un dos-d’âne. Il est aussi vital de préciser qu’en matière de transport de fret, non seulement la vitesse accélère la consommation du carburant donc une perte mais aussi un facteur aggravant. Il est toujours conseiller de rouler lentement mais surement.
C’est dire que lorsque le camion dispose d’un système de calage ou si les chaînes ne cèdent pas, le camion se renverse totalement avec le conteneur qui reste fixé sur la remorque. Ainsi, le camion qui se reverse en entier sur le côté avec le conteneur montre que la remorque est bien attachée. Ce qui veut dire dans ce cas d’espèce que la remorque utilisée est bien destiné au transport de conteneurs.
En résumé nous notons que les conteneurs calés et/ou chaînés sont souvent des transports hors ville c’est-à-dire qui font de longs voyages, pendant que des camions qui n’utilisent ni les cales, ni les chaînes se constatent dans la ville de Lomé et ses environs.
Quelques solutions techniques pas chères pour renforcer les remorques
Alors la question que nous nous posons est pourquoi le transport de conteneur vers l’intérieurs du pays et l’export sont sécurisés pendant que les transferts en ville ne disposent ni de cales conteneurs, de chaînes pour les attacher ? Ceci, semble être un choix délibéré des transporteurs qui font le trafic en ville. Ils ne le font pas parce qu’il y a un laxisme dans l’application des règles liées à la logistique et aux transports. Selon M. Atsu Kossi Olivier , Mécanicien de camions poids-lourd « Les transporteurs de ville ont simplement peur d’endommager leur camion lors des accidents. Sinon, les deux chaînes ne coûtent que 40.000 FCFA (EUR 61,01) sur le marché et la fixation des quatre cales ont un coût d’environ 20.000 FCFA (EUR 30,53) l’unité en achat plus main d’œuvre du soudeur soit 80.000 FCFA (EUR 122,14) ».
C’est simplement à cause de ça que les gens choisissent de mettre la vie de leurs concitoyens en danger.
Renforcer la sensibilisation à l’endroit des conducteurs et à proprios de camions
Le phénomène étant diagnostiqué alors il faut solutionner le mal. La bonne pédagogie démarre par la sensibilisation des acteurs et puis la prise de mesures contraignantes. C’est ce que propose le laboratoire du CHU-SO, dans son étude en 2020. « Afin de sensibiliser la société et d’éduquer les décideurs sur le poids des accidents de la route et leur contrôle, de nombreuses parties prenantes doivent être impliquées. Les parties prenantes potentiellement importantes comprennent : les individus et les groupes de citoyens, les organisations non gouvernementales, l’industrie et les gouvernements. Cependant, tout groupe qui fait campagne pour le contrôle des accidents de la route et qui peut influencer positivement l’opinion sociale ou politique devrait être inclus dans les efforts de sensibilisation ». Connaissant l’importance de la presse, les chercheurs togolais poursuivent : « Le plaidoyer peut inclure l’utilisation des médias locaux ou de masse (par exemple, les dépliants, les éditoriaux de journaux, les émissions de radio), les médias sociaux, le lobbying politique direct et / ou la mobilisation communautaire par le biais d’une coalition de groupes d’intérêt. » Toujours pour eux, il existe de nombreux exemples de groupes de pression dirigés par des médecins qui ont permis une amélioration significative, au niveau national ou international, du contrôle des accidents sur la voie publique (par exemple, Doctors for Human Rights). Car les campagnes de lutte contre les accidents involontaires menées par des médecins sont moins médiatisées. Il est impératif de nouer des partenariats avec ces associations pour mieux coordonner et impacter la prévention de ce fléau dans notre pays.
Mesures coercitives pour limiter la casse
Pratiquement tous les conteneurs sont chargés et déchargés au port de Lomé et beaucoup de choses peuvent être faites à ce niveau. Le camion qui a renversé son conteneur sur le véhicule à proximité de la « Foire Togo 2000 » le samedi 30 juillet 2022, transporte un conteneur estampie Mediterranean Shipping Company (MSC), dont chargé depuis Lomé Container Terminal (LCT). Tous les usagers du port de Lomé savent bien que ne rentre pas à LCT qui veut, mais qui est en règle. Alors autant les exigences du respect des documents en règle du transporteur (visite technique, assurance, permis de conduire), autant faire des cales, une exigence avant de rentrer dans les ports pour charger. Notre proposition ne vise pas à faire de la misère aux transporteurs mais, dans un premier temps, à faire de la sensibilisation, en impliquant les acteurs et en donnant un moratoire. Que les esprits maléfiques ne profitent pas de cette tribune pour faire clouer la flotte terrestre locale au profit des groupes mafieux.
Le gouvernement, à travers l’autorité portuaire doit veiller au respect des normes de camions conforme à chaque type de marchandise. Tout camion 06-10 roues ou semi-remorque destiné au transport des conteneurs doit être doté de cales conteneurs et disposer de chaînes. Les deux sociétés, Togo Terminal et Lomé Conteneur Terminal doivent être mis à contribution pour le respect scrupuleux des directives liées au respect des normes.
Enfin, il appartient à chaque usager de la route, du piéton au conducteur de voiture d’être prudent sur la route. Un porte-conteneur bien calé ou bien enchaîné peut se renverser ou se disloquer à tout moment à la rencontre d’un obstacle ou survenance d’une panne de balancier ou tout autre accessoire.
Toujours rouler derrière un camion en respectant l’écart et surtout éviter de rouler concomitamment à côté d’un poids lourd. Faire beaucoup attention dans les dépassements en observant bien la route, afin de ne pas aller heurter un autre obstacle qui va être encore une autre source d’accident. C’est une question de sécurité publique de l’heure qui concerne tout le monde.
Francisco NAPO-KOURA