Alternance au Togo: « on a tout essayé » … sauf ça
« On a tout essayé! ». Combien de fois n’avons-nous pas entendu ce cri de désillusion, de désespoir des Togolais en quête d’un changement de régime dans leur pays?
Et lorsque les Togolais disent « tout », c’est qu’ils parlent de tout l’arsenal dont disposent les partis politiques dans leur quête de pouvoir, ainsi que les méthodes dont disposent les citoyens dans leur quête de changement politique. Beaucoup de méthodes ont en effet été essayées pour faire tomber le régime militaro-civil:
- Des grèves, y compris une grève générale illimitée ayant duré 10 mois;
- Des manifestations de rues au Togo et à l’étranger, y compris celles ayant rassemblé plus d’un million de personnes dans les rues de Lomé, et celles tenues simultanément sur 4 continents;
- Des participations aux élections organisées par le régime, y compris celles dans lesquelles les hommes en treillis sont intervenus pour proclamer des résultats à la place de la commission électorale;
- Des coups de force, y compris ceux perpétrés par un groupe de réfugiés togolais;
- Des dialogues dont le nombre a atteint un record de 27, y compris ceux tenus sous les auspices de Blaise Compaoré, un autocrate aux mains souillées de sang ;
- Des accords de « cogestion », de « power-sharing » ou partage de pouvoir devant déboucher sur une « alternance pacifique » que ce cher Gilchrist Olympio nous a vendus, tout en se vendant lui-même ;
- Des appels plus ou moins réussis aux sanctions contre le régime, y compris celles de l’union européenne, qui ont duré 14 longues années ;
- Autres choses que je n’ai pas mentionnées mais qui visent le même objectif.
Toujours pas d’alternance en vue. Alors que faire? Inspirons-nous de l’actualité.
Dans l’application des mesures liées à la pandémie de Covid-19, vous aurez constaté que par rapport à ses voisins, le Togo qui compte très peu de victimes s’est curieusement illustré dans des mesures particulièrement restrictives des libertés individuelles et collectives, des mesures qui étouffent l’économie et amplifient la précarité et la pauvreté des ménages. Il en est de même pour la campagne de vaccination au nom de laquelle les instincts répressifs du régime ont été réactualisés. Officiellement c’est pour réduire le niveau de mortalité des personnes atteintes de Covid-19, ceci dans un pays où les autorités ignorent royalement les centaines de personnes qui meurent quotidiennement dans des centres de santé, sciemment transformés en mouroirs au nom de la conservation du pouvoir.
La réalité est que pour le régime togolais, une seule chose compte: être vu comme un « bon élève » dans un domaine donné est plus important que tout ; mieux, ce titre est le souffle de vie et de survie du régime. Quel que soit le secteur, être vu comme un « bon élève » est le seul indicateur qui compte pour le régime togolais, et ce depuis le temps du père Gnassingbé.
Selon les confidences d’un ancien diplomate américain, au plus fort de la répression du mouvement démocratique en 1991, sentant que Eyadema ferait le pire pour neutraliser la contestation contre son régime, un diplomate se pointa à la présidence et lui dit ceci : « Monsieur le président, ce qui se passe chez vous se passe partout en Afrique. Mais vous, vous êtes différent et vous devez faire les choses différemment. Vous avez fait beaucoup pour la paix en Afrique. Si vous laissez cette répression continuer, vous n’aurez pas le prix Nobel de la paix que vous méritez. Le monde vous regarde et tout le monde veut voir si vous méritez ce prix Nobel. »
La suite ? on se croirait dans une fable de La Fontaine : Eyadema ordonna aux militaires déployés dans les rues de Lomé de ne plus tenir des armes à feu, rien que des bâtons. Ça n’a pas arrêté la répression (les éléments incontrôlés faisaient la sale besogne), mais ça a réduit le nombre de victimes. Des vies ont été sauvées parce que Eyadema rêvait d’un titre, celui du Prix Nobel. L’affaire est devenue un sujet de plaisanterie au sein de la communauté des diplomates accrédités au Togo qui savaient que le général n’aurait rien qui ressemble à un prix Nobel.
Pour amener le régime à leur céder des pans entiers de l’économie, les investisseurs étrangers répètent une formule magique: « Monsieur le président, comme vous le savez, votre pays est un bon élève dans X, Y ou Z. Nous voulons vous aider à aller plus loin et à être le meilleur dans le domaine…. » Et paf, la mayonnaise prend, quel que soit le prix à payer par les Togolais.
Eh bien c’est cette carte du « bon élève » qui reste aux Togolais dans la quête de l’alternance: il leur faut prendre leur courage à deux mains, ravaler leur orgueil et aller dire à Faure Gnassingbé que s’il organise des élections auxquelles il ne se présente pas et qu’il ne fraude pas en faveur d’un éventuel dauphin, il fera figure de « bon élève de la démocratie ». Mieux, dans le livre Guinness des records, on va créer une catégorie « Meilleur élève de la Démocratie », et le nom Faure Gnassingbé va figurer en première place (premier sans deuxième, s’il vous plait !). Croyez-moi, la mayonnaise va prendre, tant le bonhomme cherche désespérément de nouveaux domaines dans lesquels il fera figure de modèle, depuis la débâcle du fameux Doing Business.
Imaginez qu’on lui promette un prix sur la démocratie au nom de laquelle on le critique tant ! Il va étonner le monde, et surtout les Togolais. S’il n’y a pas de Togolais pour aller lui faire cette proposition, on peut recruter trois ou quatre SDF (sans domicile fixe) dans les rues de Paris, les habiller en veste et cravate, leur payer un billet d’avion Paris-Lomé-Paris, payer leurs frais d’hôtel et leur obtenir une audience à la présidence. Ça va marcher, pour peu que nos envoyés aient la peau … blanche.