La société kabyè, dans la préfecture de la Kozah, au nord Togo est organisée en classes d’âge masculine et féminine. Pour le garçon, avant son entrée dans la classe des adultes, il faut obligatoirement qu’on lui fasse subir un certain nombre de rites traditionnels. Ces initiations se font en deux temps. « Efalu », qui est une contraction de « eyu kefalu », c’est-à-dire « homme nouveau » qui a lieu vers 18 ans et « kondo » vers- 20 ans. La première initiation « Efalu (Evala) » qui se déroule pendant trois ans, dont le soubassement est la lutte traditionnelle, met un terme à l’enfance. La seconde est l’affirmation de l’homme adulte, en pleine force de l’âge. Du côté de la femme, une seule initiation est programmée (akpendou) vers 17 ans. À quand remontent ces cérémonies, surtout celle des évala et en quoi la descente du « Tchodjo » conditionnent celles-ci ?
La lutte traditionnelle Evala est une cérémonie rituelle et l’une des plus grandes manifestations initiatiques dans la préfecture de la Kozah. Elle se déroule généralement, la deuxième quinzaine du mois de juillet de chaque année et est l’occasion pour le jeune kabyè de dix-huit à vingt-un ans, de se distinguer par sa force, son endurance ou par l’élégance de sa culture à travers ses chants et danses. La lutte Evala consacre, en plus du passage du jeune de l’adolescence, à la classe des adultes, l’affirmation de son identité culturelle kabyè. Pendant les trois années de leur classe (durée de lutte dans la catégorie des initiés est de trois ans à partir de l’année de l’initiation sauf les abréviations prévues par la tradition), les Evala vont lutter entre eux. L’objectif est, entre autres, de maintenir la cohésion entre les fils du canton. Son but est de préparer physiquement et psychologiquement le jeune kabiyè à affronter les obstacles de la vie et à assurer la défense de la cité.
Il faut surtout préciser que dans le déroulement des luttes traditionnelles, le prêtre traditionnel (Tchodjo) joue un rôle déterminant. C’est lui qui donne le ton à ces rites en effectuant des rituels en lien avec ceux-ci. Véritable chef spirituel, le Tchodjo annonce en effet, le début des cérémonies de la lutte Fvala et toutes autres fêtes traditionnelles par un rituel appelé « descente du tchodjo » de Tchinlinlao (Bénin) à Lao, en passant par Farindè (Binah) et Kouméa. D’ailleurs, les dates auxquelles se tiennent les cérémonies sont fixées par les consultations des oracles suivies de l’autorisation accordée par les grands prêtres appelé « Tchodjo ». Après les luttes, il fait une tournée dans les lieux sacrés pour remercier les ancêtres d’avoir permis la bonne tenue de cette fête traditionnelle.
Genèse des luttes Evala en pays kabiyè
Evala (AHOZA des plus jeunes), les luttes préliminaires
De par sa genèse, les luttes Evala sont une pratique culturelle multiséculaire, dont l’origine remonterait au milieu du XVIIIe siècle. Les premières manifestations des Evala, en tant que défi, ont eu lieu avec le sacre de deux personnages atypiques : un certain Tchablime du village de Kpédaw et son adversaire, Fawokézié de Kolidè. Il était singulier de remarquer chez ces deux précurseurs des luttes Evala ce qui suit : le premier avait une taille de plus de 2m, avec une corpulence herculéenne, tandis que le second ne mesurait que 1,40m. Ainsi, les premières luttes traditionnelles enregistrées en pays Kabyè datent de 1785 avec l’affrontement entre Tchablime et Fawokézié. À l’issue de ce duel historique, ce fut le myrmidon qui terrassa le colosse. Partout dans le village, le géant sera hué et moqué. Dès ce moment, dans l’intention de laver un tel affront, le virus de la compétition s’est alors propagé dans toute la Kozah.
Pour connaître les forces en présence, les Evala organisent leurs championnats d’abord par quartiers, puis par villages ensuite, enfin entre villages. Il convient de préciser que la lutte traditionnelle n’étant pas une compétition, mais plutôt, une manifestation festive. Elles se déroulent en plusieurs phases et, au fur et à mesure, coalitions se forment jusqu’à la finale. Chaque lutteur a droit à deux combats de lutte au moins avec des adversaires différents du camp opposé. La victoire honorifique dans chaque catégorie revient au camp, dont le lutteur a terrassé en premier et la victoire numérique revient au camp ayant enregistré le plus grand nombre de victoire.
Les tournois sont très populaires et suivis par une assistance nombreuse et joyeuse. R. Verdier (1982, p. 77-78) décrit une partie de lutte en ces termes :
« Le corps enduit d’huile de karité, ils se rendent en dansant au lieu de la lutte où la foule des parents et amis les entoure et les exhorte par des chants d’encouragement. Divisés en deux moitiés rivales, les lutteurs se mettent en lignes et s’affrontent par quatre ; chacun choisit à distance son partenaire de l’autre camp et, au signal de l’arbitre situé au centre, ils s’approchent les uns des autres et engagent le corps à corps ; par des prises de bras et de jambes, chacun tente de déséquilibrer l’adversaire et de le faire tomber. Le vainqueur est celui qui réussit par la ruse ou par force à terrasser son partenaire et à lui plaquer le dos contre terre. Le combat oppose d’abord les ahosa (les non-initiés) puis, les efala de la première année, puis ceux de la deuxième année, et enfin ceux de la troisième année. Les vainqueurs s’opposent ensuite entre eux ; le champion est porté en triomphe ».
Il faut nuancer cette description. Les combats spectaculaires peuvent se dérouler par équipe de trois, quatre ou même jusqu’à cinq lutteurs. Comme l’illustrent les photos ci-dessous, ces derniers s’affrontent et s’empoignent torses nus sous les regards crispés des parents et amis, mais aussi, des touristes et curieux venus les encourager avec des chants populaires au son de gongs, castagnettes, harmonicas, sifflets et autres instruments traditionnels de musique.
Pendant huit jours, les Evala se livrent à des empoignades. Après les tours préliminaires et éliminatoires dans les sanctuaires, les quarts de finale, les demi-finales et les finales. Les lutteurs, se distinguent, selon leur équipe, par des shorts de couleur blanche, rouge ou verte frappés des noms de sponsors ( le port des shorts relève de la modernité). L’ambiance dans les arènes est toujours festive et frénétique. Les combats sont ponctués de cris d’encouragement de la part des supporters ainsi que des clameurs de la foule nombreuse et surexcitée.
En somme, les empoignades auxquelles tout visiteur du pays kabiyè assiste au mois de juillet de chaque année, marque l’apothéose de tout un rituel bien organisé. Au-delà de leur aspect spectaculaire, ces rites constituent, à n’en point douter, le tréfonds de la socialisation du jeune kabiyè. Cérémonie rituelle à dimension multiple, Evala consacre, non seulement, le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais également l’affirmation de l’identité culturelle Kabyè. La finalité première du rite Evala est d’habituer le jeune Kabyè à l’endurance, au courage, à l’abnégation et au stoïcisme, dont l’aspect culturel est rehaussé par les sacrifices que l’initié doit consentir : le jeûne, l’abstinence sexuelle et les scarifications qui sont les signes extérieurs de défenseur de la cité. Ainsi, le rite initiatique est constitué d’attrapades, d’internements et d’autres cérémonies bien plus éprouvantes.
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0060 du 12 juillet 2024