Dire que rien ne va dans le Togo actuel est une vérité De Palice. Tous les clignotants ont dépassé le rouge régulier et sont écarlates actuellement. De plus en plus de citoyens tombent dans une précarité extrême, les domaines de compétence de l’État sont soit bradés ou assujettis à la volonté de la minorité, avec une absence totale de vision pour les court et moyen termes. Ne parlons même pas du long terme, car quand le chat est tombé dans le feu, inutile de l’esthétique de ses poils.
Au Togo, le prix à la pompe du super sans-plomb est fixé à 700 FCFA et le gasoil ou diesel à 850 FCFA depuis le 19 juillet 2022, au moment où le prix du baril (brent) était au-delà de 111$. Alors que le prix du baril a régressé depuis lors et situe sous la barre des 80 ou 81$ dans cette 2e moitié d’août 2024. Cependant l’opacité sur la structure du prix à la pompe et la gestion des marges positives résultantes prennent encore des teintes de noirceur. À qui profite cette manne? On n’a pas connaissance de l’existence d’une caisse de stabilisation ou d’un système de péréquation qui régirait la marge positive. Et est-ce qu’il y aurait encore des subventions injustifiées déboursées, pour quoi et pour qui?
Pour se faire une idée de l’ampleur du scandale, selon African Energy Commissioin (au-afrec.org/fr/togo) la consommation en carburant (fuel – oil) au Togo était de 1 722 Ktoe (Kilotonne d’équivalent pétrole – Kilotonne of oil equivalent) en 2010; 3 081 Ktoe en 2015; 4 012 Ktoe en 2020 et 4 132 Ktoe en 2021. Pour être plus précis, 1 tonne de pétrole est égale à 1,05 Toe (oil equivalent) qui est aussi égal à 7,33 boe (barrels of oil equivalent). La consommation journalière du pétrole en baril du Togo était estimée en 2010 à 9,8 milliers de barils par jour (kbbl/j), 10 kbbl/j en 2011 et 11,2 kbbl/j en 2012 (source : l’Energy Academy de l’université Heriot-Watt). Et cela a évolué durant les 12 dernières années. Dans la situation actuelle d’un prix à la pompe plus élevé que le prix coûtant, incluant les marges des intermédiaires, imaginez alors le surplus dégagé quotidiennement et qui semble s’évaporer outre mesure.
Et cette situation de « all free for the minority » se retrouve un peu partout, autrement un cancer en métastase. Nul ne semble être responsable, imputable. Comment comprendre alors que même les simples fournitures scolaires sont sous l’emprise exclusive de monopoles étrangers, qui ont pour garanties des entrées dans le système. Et cela vient avec toutes les contraintes possibles, sans oublier surtout les échappatoires pour les redevances à la caisse publique, entre autres. Et la carence des infrastructures de toutes sortes n’en parlons pas. Une minorité a la jouissance exclusive des richesses et des atouts du pays, pourtant la propriété appartient au peuple réduit à la misère.
Un état des lieux non reluisante de la gestion du pays
Le Togo, avec seulement 56 000 km2, est relativement mieux doté par la nature, comparé à certains de ses voisins, cependant ces voisins montrent un meilleur taux d’efficacité et d’efficience en termes de gestion publique et de relative satisfaction des citoyens. C’est là la différence. La simple question qu’on se pose et se repose est, où vont les recettes ou produits des ressources du pays, tels que le phosphate, le clinker, les marbres, le port autonome de Lomé (PAL) qui est le seul en eau profonde de la côte ouest-africaine, le fer, etc. Le PAL se situerait dans les 100 premiers ports à conteneurs du monde (93e avec 1,91 millions EVP- équivalent Vingt Pieds en 2023) selon la Lloyd’s List. C’est bien, mais qui en profite véritablement et jusqu’à quand aurions-nous cet avantage comparatif?
Ce sont les scandales qui s’agglutinent sans qu’aucun des indélicats n’ait à répondre de ses actes ou forfaitures. Cela ressemble drôlement à un encouragement tacite. On retrouve pêle-mêle et grâce à la presse togolaise, les 26 milliards (entre 2010-2016) destinés à la réhabilitation de la route de Lomé évaporés, les 12 milliards FCFA volatilisés dans la gestion de l’ex-Fonds d’Entretien Routier (FER), quelques 200 milliards de FCFA enregistrés comme pertes entre 2005 et 2010 dans la gestion de la Société Nouvelle des Phosphates du Togo (SNPT), plus de 400 millions FCFA dans le dossier de la Société Cotonnière du Togo (NSCT) créée à la suite de la dissolution en 2009 de la SOTOCO, les quelques 628 millions de FCFA de la participation des Éperviers du Togo à la CAN 2013 simplement disparus puis les 600 millions sur le financement de la CAN 2017, les 17 milliards déclarés disparus des caisses de l’Office Togolais des Recettes (OTR) en 2015. Les anomalies et manquements graves à la CEET révélés dans le rapport d’audit de 2016, dont un état de 65 milliards d’emprunts, 20 milliards de perte, 54 milliards de dettes, entre autres. Le 22 août 2024, APAnews rapportait que selon la NERC (Commission négériane de régulation de l’électricité) le Togo (Odukani-CEET) a 5,36 millions $ de factures à honorer. C’est devenu une chanson récurrente dans le cas de la CEET. Pourtant les consommateurs paient leurs factures sous peine de débranchement.
Particulièrement en juin 2020, le journal Alternative mettra au jour le scandale connu sous le nom du pétrole-gate portant sur les combines et autres malversations financières liées à l’importation du pétrole du Togo, qui avait valu une poursuite contre le directeur du journal, Ferdinand Ayité. Cependant, selon Reporters Sans Frontières (RSF) le ministère du Commerce du Togo qui semblait préoccupé avait saisi dans le temps la présidente de l’assemblée nationale pour faire la lumière sur le scandale. Mais hélas, c’est le silence radio par la suite et la tumeur cancéreuse continue sa métastase. Il y a eu aussi le rapport d’audit de l’INAM, le rapport de la Cour des comptes des fonds Covid-19 sur lequel l’ancienne législature avait ravalé sa salive pour finalement demander une enquête dont le rapport n’est pas encore rendu public. Toutefois, ils ont pu forcer hors mandat le changement d’une constitution.
Ce ne sont que quelques-unes de la litanie de malversations sans aucune forme de redevabilités. Et cette impunité et absence d’imputabilité se poursuit. On remarque aisément ou le pouvoir UNIR met les priorités, la conservation tous azimuts du pouvoir absolu. Un nouveau gouvernement vient d’être publié le 21 août 2024, composé de 35 ministres, 3 postes ministériels non encore occupés, dont 2 rattachés à la présidence de la république et 1 à la primature; pour un pays de 56 000 km2 et 8,5 millions d’habitants. Certaines personnes, dont la gestion a été pointée par des rapports, sont reconduites dans ce gouvernement. Que conclure alors? Les faits parlent d’eux-mêmes.
Globalement en termes de subdivisions, le Togo compte 5 régions administratives, 39 préfectures, 117 communes, 394 cantons, 113 députés, 179 conseillers régionaux, 1 523 conseillers municipaux, etc. Tout ce monde engendre des frais directs, indirects et connexes, dont une panoplie de bons d’essence qui sont des surcharges oiseuses dans la majorité des cas. Déjà que rien ne va, cette lourdeur administrative, surtout non efficace, gruge énormément de ressources qui pourraient davantage servir pour les besoins de base. Il faut absolument construire quelque chose de structurant, autrement l’avenir ne présage rien de bon pour notre descendance.
Et pourtant, déjà le 26 avril 2012, le Chef de l’État Faure Gnassingbé lors de son discours soulignant le 52e anniversaire d’indépendance du Togo posait le constat. Notamment il soulignait entre autres que « le Monde change, le Togo aussi change… Le Togo d’aujourd’hui n’est pas le Togo d’hier. Certes, il reste bien de progrès à accomplir, notamment dans le domaine de la Justice et de la Solidarité… Nous devons revenir à des réflexes citoyens, que nous avons perdus de vue depuis quelque temps… Le respect de la chose publique est une valeur fondamentale que nous devons préserver, car le développement est à ce prix… Lorsque le plus petit nombre accapare les ressources au détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès ». Quand on fait le bon constat sans agir ou chercher à relever la barre, que dire de plus. Tout est là.
Pourquoi le mécanisme du prix à la pompe doit préoccupe tout citoyen ?
Le prix du carburant à la pompe au Togo est donc symptomatique du paradoxe sisyphéen togolais. Aucune autorité ou institution ne semble prendre les responsabilités qui s’imposent. Non seulement c’est un produit stratégique, mais aussi un déterminant dans le coût de la vie, notamment comme composant inéluctable de plusieurs prix et coûts. Principalement, la logistique des transports est les cycles de transformation et de production sont tributaires de l’énergie et donc aussi du pétrole. C’est ainsi que les variations de stocks disponibles et des coûts des différentes sortes de carburant ont des répercussions insoupçonnées. D’autant plus que l’activité économique est aussi définie comme la transformation d’énergie. Alors, comment comprendre qu’une opacité plus que totale entoure le secteur du carburant au Togo.
L’éparpillement des activités dans l’espace, les nouvelles formes d’occupation des territoires accentués par la suburbanisation résidentielle et l’étalement urbain ont fait que le carburant ou l’hydrocarbure est un rouage davantage impérieux de cet engrenage. En plus au Togo, dans le domaine du transport autant passager que marchandise, des obstacles additionnels s’y ajoutent inopportunément; dont la multiplication de péages routiers constitue d’autres supplices et des fois sur des routes existantes non entretenues. Le transport ferroviaire y est absent à une exception près et encore là.
Alors sans mécanisme de stabilisation et de péréquation, à qui profite la marge positive du prix à la pompe?
C’est indéniable que le prix du carburant à la pompe au Togo reste très élevé et invariable depuis plus de 2 ans, notamment depuis la dernière augmentation du 19 juillet 2022. Dès lors le litre d’essence Super sans plomb est vendu à 700 FCFA, le pétrole 650 FCFA /litre, le gasoil à 850 CFA et le mélange à deux temps à 788 FCFA/litre. Il importe de souligner aussi qu’il y a eu 3 augmentations de prix à la pompe dans les 7 premiers mois de 2022, notamment en mars, juin et juillet 2022.
Le gasoil ou encore appelé le diesel et qui est plus utilisé dans le transport de marchandises et autres connexes est actuellement vendu au Togo à 850 FCFA/litre, alors qu’il est à 700 FCFA au Bénin (plus de 21% moins cher), 715 FCFA en Côte d’Ivoire, 755 FCFA au Sénégal, 0,95$US (1$ = environ 587 FCFA à la mi-août 2024) au Ghana, 618 CFA au Niger, 675 FCFA au Burkina Faso et 800 FCFA au Mali. Il n’est plus à rappeler que les 3 derniers pays (Mali, BF, Niger) sont non seulement des pays enclavés, mais malheureusement en guerre contre le terrorisme depuis des années. Cela met autant en relief le scandale du prix à la pompe au Togo. Il n’en serait pas ainsi s’il y avait un mécanisme de stabilisation ou une péréquation pour parer aux fortes fluctuations.
D’autant plus que le prix du baril (brent) était à 120$ à la fin juin 2022; de 111$ vers la fin juillet 2022; à 74,5$ en mai 2023; à 75,3$ à la mi-décembre 2023; à 81,1$ à la fin janvier 2024; à 89,5$ au début avril 2024, à 82,9$ début juin et à 80,7$ le 19 août 2024. Néanmoins, malgré la forte baisse du prix du brent depuis lors, il y a silence radio depuis l’augmentation du 19 juillet 2022. Lorsqu’on prend la moyenne annuelle des prix du brent, elle était de 40,76$ en 2016, 52,51$ en 2017, 69,78 en 2018, 64,04$ en 2019, 41,47$ en 2020, 69,89$ en 2021, 100,08$ en 2022, 82,89$ en 2023 et de 80,60$ au début de 2024, selon le site fr.statista.
Et quand on fait un bref comparatif de prix avec abcbourse.com, on remarque que le niveau de prix du baril actuel qui est d’environ 80,7$ est presqu’au même qu’en novembre 2014, ou fin mars 2018, ou encore avril 2023, et il reste inférieur au niveau de prix à la fin de septembre 2021, par exemple. Cependant, le prix à la pompe au Togo n’a cessé d’augmenter depuis lors contrairement à la tendance inverse du prix du baril (brent), régressant de près de 40% entre juin 2022 et août 2024. Le prix à la pompe au Togo a connu une explosion de près de 39% du début 2022 (super sans plomb à 505 FCFA) au 19 juillet 2022 (700 FCFA).
Il y a péril en vue, malheureusement. Pire, lors de l’augmentation de juillet 2022, le gouvernement argua que le prix réel du super sans-plomb était alors de 878 FCFA et qu’il y a une subvention gouvernementale de 178 FCFA sur chaque litre, au moment où le brent était supérieur à 110$. Ce prix de 700 FCFA est resté pareil avec un prix du baril 40% moindre actuellement, alors que la portion subventionnée n’existerait théoriquement plus (20% du prix du baril à au moins 110$). Car, en analysant les justifications du gouvernement, la subvention gouvernementale n’avait plus raison d’être. Et on aurait eu depuis la baisse en dessous de 100$, voire 90$/baril une sorte de « break even point », car symbolisant un début de marge positive et donc la fin théorique des subventions gouvernementales. Bref dans cette optique et toute chose étant égale par ailleurs, avec un prix à la pompe de 700 FCFA et celui du baril (brent) à 80$ on pourrait avoir au bas mot un « overtaking the cape » d’au moins 20 à 25$ par baril acheté.
Certes, la variation du change et d’autres facteurs pourraient influencer plus ou moins le coût d’acquisition et de distribution, mais ils doivent être du domaine du concret. Des questions plus que légitimes s’imposent, notamment :
- Où va actuellement le surplus du prix à la pompe?
- Est-ce que l’État continuerait de verser des montants pour la subvention du prix à la pompe? Si oui à quelle hauteur et pour quelle fin?
- Qu’en serait-il alors si le prix du brent reprenait de la vigueur, étant donné le contexte géopolitique actuel?
L’imputabilité et la redevabilité des gouvernants pour arrêter de saigner davantage le citoyen lambda
La structure du prix à la pompe est du domaine public, comme l’exigent les pratiques de bonne gouvernance, elle doit être accessible et compréhensible. La transparence des prix est l’un des principes par lequel l’effectivité des allocations peut être atteinte. Déjà le simple fait que la structure des prix du carburant et les mécanismes y afférents soient connus, exercerait une pression sur les velléités de manipulation et autres. On retrouve principalement 2 types de prix pratiqués, notamment le prix dynamique (dynamic pricing) et le prix fixe. Le prix dynamique est un mode d’optimisation de fixation des prix par lequel les prix varient de manière active et/ou automatique en fonction de différents paramètres ou de contextes. Le prix fixe ou unique, qui est pratiqué au Togo, est une approche de fixation de prix de vente sans fluctuation et identique pour tous; pour une période relative.
Un processus de stabilisation, de péréquation, de régulation s’impose pour le bien commun; d’autant plus qu’il y a des plus et des moins encourues par rapport au niveau de prix affiché. Donc l’objectif du mécanisme de régulation ou de péréquation ou d’une caisse de Stabilisation des Prix du carburant est de réguler les prix à la pompe sur l’ensemble du territoire national, de constituer des disponibilités financières dans les périodes de surprix et de prendre en charge plus ou moins les marges négatives; dans la mesure de ses disponibilités financières constituées.
Ce mécanisme de stabilisation et de péréquation assure une sorte d’arbitrage nécessaire à la gestion saine des ressources de l’État. Ce qui dégagerait même pour l’État des moyens substantiels pour les besoins énormes en transports, santé, éducation et agropastorale ou encore permettre à l’État de conserver un niveau de prix sans mobiliser d’autres ressources pour accorder des subventions au prix.
Des institutions fiables devaient être la garantie du gouvernement d’un peuple libre contre les formes de corruptions et une certaine garantie contre la corruption du gouvernement. Mais hélas au Togo, ces institutions ne sont que du chimérique pour le moment. Citoyens, espérons et agissons pour des jours meilleurs!
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » numéro 0065 du 11 septembre 2024