En tant que citoyens responsables, nous nous trouvons dans l’obligation morale et civique de participer activement à la réflexion et à l’analyse de la stratégie de gestion de l’insécurité dans la région des Savanes, à l’extrême nord de notre pays. Cette région, souvent qualifiée de “grenier du pays” en raison de sa richesse agricole, est aussi un bastion de diversité culturelle.
Malheureusement, elle est devenue le théâtre de souffrances et d’angoisses pour ses habitants, confrontés à une insécurité croissante. Les attaques terroristes perpétrées par des groupes djihadistes (terroristes), qui sèment la terreur et la désolation, ne sont que l’aspect le plus visible d’un problème bien plus complexe et enraciné.
Nous ne pouvons rester indifférents à la détresse de nos parents et de nos concitoyens, dont la vie quotidienne est marquée par la peur constante. Chaque histoire que nous entendons, celle d’une famille déplacée, d’un enfant privé de son éducation, d’un commerçant ou d’un paysan ayant tout perdu, renforce notre conviction que la situation nécessite une attention approfondie et une action collective. Cette insécurité, qui détruit des vies et des rêves, n’est pas une fatalité ; elle est le résultat d’une combinaison de facteurs complexes, allant de la pauvreté à l’injustice sociale, en passant par des problèmes structurels de gouvernance.
Notre rôle, en tant que citoyens, dépasse le simple constat des faits. Nous avons le devoir de comprendre en profondeur les causes de cette insécurité, d’en analyser les racines et d’en dévoiler les dynamiques. Il ne s’agit pas seulement de pointer du doigt les défaillances gouvernementales, mais de construire une réflexion critique et constructive. Chaque jour qui passe sans une réponse adéquate est un jour de trop. Les enfants de la région des Savanes méritent de grandir dans un environnement sûr, où ils peuvent rêver et réaliser leur potentiel sans craindre pour leur vie. Les femmes et les hommes de cette région ont droit à des moyens de subsistance stables et dignes, à la justice et à la paix. Il est de notre responsabilité collective de ne pas fermer les yeux sur leurs souffrances et de travailler ensemble pour une solution durable et juste.
Ce devoir de réflexion et d’analyse n’est pas un fardeau, mais un privilège et une opportunité. C’est une chance pour nous de montrer que nous sommes un peuple solidaire, capable de se mobiliser face à l’injustice et à l’adversité. Nous croyons en un Togo où chaque région, chaque communauté peut vivre en sécurité et prospérer. C’est dans cet esprit de responsabilité et de compassion que nous nous engageons à contribuer, par nos idées et nos questionnements, à une gestion plus efficace et humaine de l’insécurité dans la région des Savanes.
La menace des groupes djihadistes est bien réelle dans la région des Savanes. Ces organisations, motivées par des idéologies extrémistes, profitent de la porosité de nos frontières, des faiblesses des systèmes de sécurité, et de la vulnérabilité des populations pour s’implanter progressivement. Ils recrutent principalement parmi les jeunes démunis, leur promettant une rémunération ou un sens à leur vie.
En tant que citoyens, nous devons soutenir tous les bons offices pour renforcer la sécurité nationale et lutter contre ces groupes. Cependant, nous rappelons que la gestion efficace de cette crise complexe ne doit pas être envisagée uniquement sous l’angle militaire.
Les mesures prises et leurs limites
Le gouvernement a mis en place plusieurs initiatives pour renforcer la sécurité dans la région des Savanes, telles que le déploiement des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), la création d’un Comité interministériel de prévention et de lutte contre le terrorisme et la mise en place d’un état d’urgence sécuritaire prorogé pour une période de douze mois à partir du 13 mars 2024. Ces mesures visent à coordonner les efforts de sécurité et à offrir une réponse rapide face à la menace terroriste.
Cependant, bien que ces initiatives soient nécessaires, elles présentent des limites indéniables. L’état d’urgence, tout en renforçant les capacités opérationnelles de sécurité, restreint les libertés civiles et exacerbe les tensions locales du fait de la réduction de l’aide au développement dans la région. De plus, la création du comité interministériel, malgré sa pertinence, ne traite pas directement les causes profondes de l’insécurité telles que la pauvreté, les injustices sociales, et les conflits intra-communautaires.
Il est important que ces mesures soient accompagnées d’une approche plus holistique qui inclut des efforts pour résoudre les problèmes structurels qui alimentent l’insécurité.
Les Facteurs Endogènes Contribuant à l’Insécurité
Au-delà du terrorisme djihadiste, plusieurs facteurs endogènes contribuent à l’insécurité dans la région des Savanes. Ces éléments, souvent ignorés dans les stratégies de lutte contre le fléau, doivent être abordés de manière holistique :
Pauvreté et développement économique de la région : L’absence d’infrastructures, le chômage élevé et le manque de perspectives économiques sont autant de problèmes qui alimentent l’insécurité. La question à se poser est « comment les politiques économiques dans le passé et actuellement ont réussi ou échoué à améliorer les conditions de vie dans cette région et proposer des alternatives qui incluent des investissements dans les infrastructures, l’éducation et la formation professionnelle » ?
Des Togolaises marchent dans la région des Savanes au Togo en 2023
De nombreux jeunes locaux au étrangers enrôlés comme terroristes sont souvent des victimes de la pauvreté et du manque d’opportunités. Certains, après avoir tenté leur chance dans les mines d’or du Ghana voisin sans succès, se sont tournés vers des activités criminelles. En les qualifiant à tort de terroristes, nous accélérons leur stigmatisation et leur reconversion, ignorant que ces jeunes sont souvent poussés par le désespoir plutôt que par une idéologie.
Injustices sociales et abus de pouvoir : De nombreuses familles de la région des Savanes ont été expropriées de leurs terres, parfois de leurs biens ou même de leurs femmes et jeunes filles, sous la protection ou avec la complicité des autorités judiciaires et locales et aussi des cadres politiques du milieu. Ces injustices, largement passées sous silence alimentent la colère et la frustration, exacerbant les tensions et l’insécurité. Les injustices sociales sont des catalyseurs de conflits. Il est important d’analyser et de comprendre comment ces pratiques affectent les communautés et exacerbent les tensions.
Conflits intra-communautaires : Les tensions autour de l’accès aux ressources naturelles, telles que les terres et l’eau, sont fréquentes. Ces conflits, souvent mal gérés, incubent des tensions et dégénèrent en violences. Il est important de mettre en place des mécanismes de médiation efficaces pour gérer ces différends de manière pacifique.
Migration et criminalité : Le phénomène migratoire, notamment vers les mines d’or au Ghana et les pays du Sahel, et le retour de jeunes sans perspectives, est un autre aspect important de l’insécurité. Il est essentiel d’analyser comment ces mouvements de population influencent la criminalité et d’explorer des stratégies pour offrir des alternatives légitimes et productives aux jeunes.
Absence de débat public et de dialogue : L’absence de forums où les citoyens peuvent exprimer leurs préoccupations et proposer des solutions limite la capacité de la société à trouver des solutions collectives et adaptées aux réalités locales. Un différend qui aurait pu être traité au village finit par devenir un ferment de haine et de conflit ouvert.
Les Recommandations Générales
Pour une gestion plus efficace et intégrée de l’insécurité dans la région des Savanes, nous proposons de privilégier les pistes suivantes :
Renforcement de l’approche holistique d’intervention : Les stratégies de sécurité doivent intégrer une approche globale, abordant non seulement les symptômes du terrorisme, mais aussi les causes profondes telles que la pauvreté, les injustices sociales et les conflits intra-communautaires. Cela nécessite une coopération entre les autorités locales, les organisations non gouvernementales et les communautés locales.
Amélioration des infrastructures et des opportunités économiques : Initier, renforcer et intensifier les projets de développement durable visant à améliorer les infrastructures et à créer des opportunités économiques locales pour réduire la vulnérabilité des populations. Des programmes de formation et d’insertion pour les jeunes doivent être intensifiés pour offrir des alternatives aux activités criminelles.
Promotion de la justice et de la réconciliation : Instaurer des mécanismes de justice équitable pour prévenir et traiter les abus de pouvoir et les injustices sociales. Les initiatives de réconciliation intra-communautaire doivent également être promues sur la base de la reconstitution des histoires positives communes et des liens de parenté entre les différentes communautés de la région.
Encouragement du dialogue public : Créer des espaces de dialogue public et inclusif pour permettre aux citoyens de participer activement à la réflexion et à la formulation des politiques et stratégies de sécurité. Ce type de dialogue doit inclure les perspectives des populations locales afin d’élaborer des solutions adaptées aux réalités spécifiques de la région.
Réévaluation du discours autour du terrorisme : Cesser de tout associer systématiquement à la menace terroriste car, cela contribue à légitimer les actions des groupes djihadistes et faire leur publicité. Il est important d’aborder l’insécurité de manière plus nuancée, en reconnaissant les divers facteurs en jeu et en évitant de donner une visibilité disproportionnée aux actions terroristes.
Suivi continu : Mettre en place des mécanismes inclusifs de suivi, d’évaluation et de communication réguliers des mesures de sécurité et de développement permettant d’ajuster les stratégies en fonction des évolutions sur le terrain.
M. Toumbounkou
« TAMPA EXPRESS » numéro 0063 du 16 août 2024