Depuis la nuit des temps, dans la préfecture de la kozah, au nord Togo, les jeunes garçons et filles kabyè se reconnaissent matures à partir des rites initiatiques tels que : Evala, Akpéma ou Kondona. Et chaque rite initiatique a son importance et sa particularité. Au-delà des obligations traditionnelles, les rites initiatiques en pays kabyè permettent aux initiés d’affirmer leur identité culturelle et de leur pleine intégration dans la société. Dans cet article, votre journal Tampa Express s’intéresse particulièrement à Akpéma qui est une initiation de la jeune fille kabyè. Comment se pratique ce rite et quelle est son importance pour la jeune fille kabyè ?
Tout comme chez le garçon, la jeune fille kabyè, à partir de 18 ans doit subir une initiation dénommée (Akpéma, Akpendʋ). Cette initiation se fait en une seule année contrairement à celle des garçons qui dure environ huit ans. La tradition veut qu’elle soit vierge avant son initiation. Le rituel Akpéma, permet, surtout aux jeunes filles Kabyè de s’habituer à l’endurance, au courage et à la sauvegarde de certaines vertus qui lui donnent un statut particulier. Parmi ces vertus, celle qui est capitale est sa virginité avant le mariage.
Selon plusieurs connaisseurs de cette tradition, notamment les prêtres traditionnels, Akpéma exige une certaine préparation, tant sur le plan psychologique de la jeune fille, matériel (recherche de certains objets) que financier. Car, avant ces cérémonies, les parents de la fille doivent obligatoirement réunir les moyens nécessaires pour affronter les dépenses induises par ces rites. D’une manière générale, les parents doivent être capable de prévoir un sac de maïs, de sorgho ou petit mille, un bidon d’huile rouge, un bol de graines de baobab décortiquées, du piment, du sel, ainsi que de deux ou trois moutons, selon leurs possibilités financières, de la volaille et en plus d’une enveloppe financière. Tous ces biens serviront, entre autres, à faire des sacrifices dans les sanctuaires, à nourrir les invités, tout au long du rituel et à gratifier les accompagnantes des Akpéma qui chantent en l’honneur des familles des initiées. C’est lorsque tout cet ensemble de moyens est réuni, que les jeunes initiées entrent au couvent pour subir les différentes étapes du rite.
Quelques étapes du rituel
Le premier rituel s’appelle « Azola ». Il consiste à faire asseoir la jeune fille sur un tabouret ou « Kpéré » en langue locale, devant un petit mortier, « Sowa ». Ensuite, la tante maternelle de l’initiée vient lui raser la tête et lui faire des scarifications avec un objet tranchant nommé « Hounou» au niveau des joues, avant de procéder à l’immolation de la volaille et la bête en l’honneur des aïeux (Dana). Tout ceci pour implorer la protection des mânes des ancêtres, afin que la jeune fille, parcourt sans incident toutes les étapes du long trajet jusqu’au sanctuaire sur la montagne.
La cérémonie en elle-même est un ensemble de procession. L’initiée, très dévêtue, la hanche seulement ceinte de perles « Kédjissi », tête rasée, un collier en fer au cou et une mince tige « Doka » dans la main droite, part avec ses autres camarades en file indienne dans la forêt sacrée où se poursuivent les cérémonies. Elles sont généralement suivies de petites filles non initiées ou « Gakpayissi », âgées entre 8 ou 10 ans. Tout le long du parcours, les initiées des années précédentes et les parentes chantent pour vanter surtout les poils pubiens de leurs initiées. Elles comparent, dans leurs chants, les poils de leurs initiées à une brousse sauvage, aux roseaux ou à de hautes herbes qui peuvent blesser tout aventurier. Si les spectateurs sont autorisés à ces parades, la présence d’une caméra par contre est interdite. Tout contrevenant est lynché et conduit chez le chef. Son matériel peut être aussi détruit.
Lors de la procession, seules les jeunes filles vierges accèdent au lieu-dit sacré. Une étape déterminante qui, lorsqu’elle est franchie, fait l’honneur de la famille de l’initiée. La réussite à ce test donne le privilège d’avoir accès à la petite case sacrée. Toutefois, celles qui ne remplissent pas la condition de virginité, subissent toutes les étapes initiatiques, sauf l’entrée au sanctuaire. Mais, malheur aux filles qui ne respectent pas cette prescription en mettant pied dans le lieu sacré : les menstrues se déclenchent immédiatement ou elles se voient poursuivies par des abeilles. Cet acte constitue une honte pour leurs familles et une insulte pour le couvent. Après les cérémonies, elles sortiront toutes nues de la forêt sacrée et entreprendront le voyage du retour en passant par un autre chemin que celui emprunté pour y arriver. La fin de la cérémonie est marquée par une parade des « Akpéma», sous l’arbre sacré du canton.
L’une des dernières étapes de ces rites est la sortie au marché des initiées vêtues seulement d’un slip et d’un soutien-gorge, avec la hanche ceinte de perles.
L’autre palier des rites Akpéma est la danse « Tchimou ». En effet, la tradition voudrait que dès que le père de la fille prend la décision d’initier sa fille, il entreprend alors des démarches pour avertir son beau parent qui s’organise, à son tour, pour venir en aide à son beau-père, dans les préparatifs des rites. Au terme des cérémonies, les parents de la fille initiée organisent la danse traditionnelle, « Tchimou ». Cette danse peut-être également organisée par le fiancé au domicile de la fille initiée. La caractéristique de cette danse est l’apparat, l’étalage de richesses du fiancé. Le fiancé, ses parents et ses amis offrent une quantité impressionnante de boisson locale, communément connu sous le nom de « Tchoukoutou », préparé à base du sorgho. Ils peuvent même la verser par terre pour juste signifier qu’ils vivent dans l’abondance. Cette ostentation vise à rassurer la jeune akpénou sur la fortune de son futur époux : elle n’entre pas dans une famille indigente ; elle sera à l’abri du besoin dans la famille où elle s’en va. Au cours de cette danse, Akpénou (l’initiée) est souvent « enlevée » par son fiancé. Cet enlèvement est suivi de cris de joie des parents prononçant la phrase « on a tiré sur une biche », noire ou rouge, selon le teint de la fille et c’est le mariage qui se concrétise ainsi.
Les règles sociales prescrites sont-elles encore respectées de nos jours ?
Aujourd’hui, l’exigence de l’abstinence avant que les initiées n’entrent au sanctuaire n’est plus respectée. Ceci entraine la déperdition des mœurs. Pour certains observateurs, la venue de la religion chrétienne et les nouvelles technologies de la communication poussent les jeunes à concrétiser leur amour à partir du sexe. De plus, beaucoup de filles se désintéressent, de plus en plus, de ces rites traditionnels qui, souvent portent atteinte à la dignité humaine. C’est pourquoi, au nom du respect des droits humains, certains parents optent aujourd’hui pour la pratique du rite initiatique de leurs jeunes filles à l’église (Catholique).
Comparant les rites traditionnels « Akpéma » à ceux qui se font au niveau de l’église, un prêtre traditionnel, en la personne de Kpatcha Alafia, relève qu’au niveau de l’église, ni les réglementations, ni les interdictions des rites ancestraux ne sont respectées. Les instruments qui interviennent dans le rite traditionnel, ajoute-t-il sont carrément absents, pire encore, les chants exécutés retracent les aventures de Jésus Christ, alors que les chansons fredonnées au niveau des rites traditionnels évoquent la puissance des divinités.
« Akpéma qui se fait de façon traditionnelle, marque le départ d’une génération, draine beaucoup de monde et, c’est ce qui constitue le brassage des peuples. Tel n’est pas le cas au niveau de l’église catholique qui est d’ailleurs critiquée par les autres confessions religieuses pour cette pratique d’Akpéma en son sein », souligne-t-il.
De l’avis de ce prêtre, cette pratique d’Akpéma au niveau de l’église catholique peut s’expliquer simplement par le refus des jeunes filles qui ne veulent pas se soumettre aux exigences traditionnelles, pour des raisons que l’on ignore et certainement la fuite de certains parents qui ne voudraient pas engager plus de dépenses. Car, après tout, initier sa fille demande beaucoup d’argent.
La Rédaction
« TAMPA EXPRESS » numéro 0061 du 26 juillet 2024