Ce discours, vieux datant des années de l’indépendance a certainement fait dormir les Togolais sur leur laurier au point de s’engouffrer dans une sorte de « déni d’initier ». Ce qui était naturellement profond semble avoir totalement perdu son charme. Sur ce point, le confrère Saint Éric Gato dans sa plage invité dans l’émission « Taxi Média Show » du 06 septembre 2024 posait la question au tout nouveau ministre de l’Économie Maritime et de la Protection Côtière sur la progression des ports voisins, la réponse confirme l’attentisme observé depuis des décennies : « Nous le savons, ils veulent être à notre niveau…nous avons appris qu’ils cherchent à devenir aussi un hub, mais le Togo est en avance sur eux (Bénin) », dixit Richard Kangben. On ne peut plus à ce stade tenir des propos pareils à l’heure où tous les pays travaillent pour sortir de l’état nature. Sur la question de satisfaction par rapport au port sec, le ministre est resté très vague en s’appuyant sur les industries connexes et la création virtuelle d’emploi. Ce qui donne raison à tous ceux qui n’espèrent rien au gouvernement transitoire de Victoire Tomegah-Dogbe
En effet, le Bon Dieu a doté le Togo d’une côte naturellement en eaux profondes. Tout le long de la côte togolaise de 50 km, de la frontière Aflao jusqu’à Hilacondi, possède une profondeur qui facilite les installations portuaires notamment les ports. Le pays pouvait en avoir plus pour protéger la côte de l’érosion et même plus grand, mais à condition que les dirigeants aient des ambitions. Savoir d’abord que tout développement passe par une valorisation de l’humain et aussi le développement des infrastructures permettant la fluidité du transport des biens et services et en plus la libre circulation des hommes/femmes. Sachant qu’il n’y a pas de port dynamique sans hinterland et ces pays sans littoral constituent des parcelles pour les côtiers. C’est le cas patent d’un Togo qui est un pays essentiellement de transit. Le Togo possède quatre ports à savoir, celui qu’on appelle les deux ports conventionnels et à conteneurs Lomé Container Terminal (LCT) ou port (2), Togo Terminal (AGL) ou port (1) qui sont contigus et en plus les deux petits ports de Kpémé spécialement dédié à l’embarquement du Phosphate et le petit port de pêche.
Le port Togo Terminal (AGL) ou l’ancien port et ses réalités
Le port Togo Terminal n’est que l’ancien port des années 1968 composé de sept môles. Il a été repris par le breton Vincent Bolloré et rénové entre 2011 et 2014. Tout ce qui a changé après ce lourd investissement de 450 millions d’euros (FCFA 295 milliards) en 2014 était le rallongement d’un quai de 470 à 920 mètres et l’installation de deux portiques qui n’existaient pas au PAL. Sinon, la profondeur du bassin était naturelle et tout bateau qui chargeait à partir de 40 mille tonnes de marchandises devrait obligatoirement faire un shipping à Lomé port pour s’alléger c’est-à-dire décharger une partie de la cargaison avant d’aller mouiller à Cotonou, au Ghana ou en RCI. Mais aujourd’hui, c’est le mouvement contraire qui se passe quand le navire est destiné au port AGL. Ce qui signifie que le travail de dragage de sédiments et de renouvellement des installations n’a pas été fait à ce niveau.
AGL Togo et MV Kota Tema de Pacific International Lines
Le plus gros navire à opérer officiellement à Togo Terminal a été le navire Kota Tema de Pacific International Lines (PIL) en juin dernier, long de 272 mètres sur 42 m avec un Draft 12,2 m. Le Kota Tema est un navire fraichement sorti du chantier naval de 7 092 EVP (équivalent 20 pieds) que PIL a affrété en avril 2024 pour mieux répondre aux besoins d’expédition. En définitif, l’information officiel précise bien que c’est Lomé Container Terminal (LCT) togolais qui a une profondeur de 16,5 mètres. Ce qui signifie que toute agence maritime opérant dans le port Togo Terminal est obligée de renoncer aux bateaux excédent 14 mètres de draft. Et ce n’est pas aisé au Togo de basculer un navire d’un port à l’autre.
La situation du port Lomé Container Terminal (LCT)
Qui parle de LCT fait référence au nouveau port de transbordement qui a débuté ses activités en octobre 2014 et dont le trafic fait la gloire des adeptes. Il s’agit des installations contigües à l’Hôtel Sarakawa pour un montant initial de 489 millions d’euros (FCFA 321 milliards) pour la construction de nouveaux quais de plus de mille mètres dotés de quatre portiques modernes. Ces installations ont été renforcées en octobre 2023 par deux nouveaux portiques plus performants pour une valeur de 50 millions d’euros (FCFA 33 milliards).
On peut lire sur les supports de propagandes portuaire : « La grande force du port de Lomé est d’être le seul port en eaux profondes de la sous-région ouest-africaine avec plus de 16,5m de tirant d’eau (profondeur) sur le terminal à container ». Ce qui positionne le port de Lomé parmi les grands ports maritimes qui vont de 12 à 20 mètres.
Au Port autonome de Lomé, plus grand navire, MSC JOSSELINE
Au Port LCT, le plus grand navire, MSC JOSSELINE, sorti des chantiers navals en mai 2019 a accosté en septembre 2020. Ceci grâce au fort tirant d’eau, la longueur du quai et aux équipements modernes de manutention. Car la cadence de chargement et déchargement dépend de la performance des équipements de manutention. Le navire MSC JOSSELINE est le plus grand venant à Lomé avec 366m sur 48,3m et une capacité nominale de 14300 TEUS. Il est surtout le plus moderne jamais venu dans le pays. C’est un challenge pour tous les ports d’accueillir ce genre d’armement et c’est tout à fait normal de mettre les vuvuzelas en trance.
La situation des ports concurrents sans une côte en eaux profonde
Le Port Autonome d’Abidjan inaugure son nouveau terminal roulier, mars 2018
La République de Côte d’Ivoire, un vaste pays frontalier au Burkina Faso et au Mali, est dotée de deux grands ports ; San Pédro et Abidjan. Le pays d’Alassane Ouattara a beaucoup investi dans le réseau routier et ferroviaire pour désenclaver son hinterland afin de l’acheminement massif du fret. Les ports ivoiriens sont très compétitifs car, le fret retour est assuré grâce à son agriculture : « La Côte d’Ivoire est le 1er producteur mondial de cacao et de noix de cajou, le 5e producteur mondial d’huile de palme (2e producteur africain), le 7e producteur mondial de caoutchouc naturel (1er producteur africain), le 4e producteur africain de coton… », selon les données de la Banque Mondiale.
Le tirant d’eau au Port de San Pédro jusqu’en 2020 le Chenal était de 13,50 mètres pendant que le Quais varie de 9 à 12m. Mais les travaux de dragage du bassin ont été engagés en 2020 pour passer les quais à 15-16m et le chenal d’accès à 16m. Il s’agit selon les autorités de ce pays d’obtenir des conforts de tirant d’eau (profondeur) dans le cadre d’extension des infrastructures avec le partenaire ARISE pour lesquels un contrat commercial a été signé avec l’entreprise CHEC pour un montant global de 284 milliards de FCFA.
Au niveau du Port d’Abidjan, le tirant d’eau était limité à 11,50 mètres jusqu’en 2012, mais à partir de 2024, les grands travaux permettent d’accueillir des navires de 16 mètres de tirant d’eau transportant plus de 12 000 EVP, soit un quai de 1 100 mètres et un tirant d’eau de 18 mètres. C’est ainsi que le mercredi 24 janvier 2024, le port d’Abidjan a accueilli, sur son deuxième terminal à conteneurs, le porte-conteneurs « MAERSK EDIRNE », long de 366 m, une largeur de 48 m, pour une capacité de transport de 13 676 TEU.
A la Gold Coast, le port de Tema est le port principal ensuite le port de Takoradi et encore d’autres dont celui d’Accra. Tout comme le RCI, le Ghana aussi est un grand pays agricole qui occupe le deuxième rang mondial du Café-Cacao. Le pays est en train d’achever son projet de réseau ferroviaire pour se connecter au Burkina Faso. Le Port de Tema, initialement de 11,20m, a connu une extension sur la mer avec une longueur de quai de 1400m et une profondeur de 16 mètres.
Le port du Bénin (second pays limitrophe du Togo avec le Ghana) se présente comme le plus petit avec un Port Autonome de Cotonou. Autrefois, très exigu pour une profondeur de 9,50 m, le projet d’extension destiné au renouvellement de 1400m de quai et le dragage du bassin au niveau du quai Nord à 15 m. Ce qui permet aujourd’hui d’accueillir les grands navires de plus de 300m de long et d’un tirant d’eau de 15 à 16 m afin d’augmenter la capacité d’accueil de conteneurs.
Le Nigéria autre possède plusieurs ports dont celui en eaux profondes de Port de Lekki (Draft 16,50-19 m), les grands ports de Lagos Apapa et Tincan Island.
Analyse des principales caractéristiques des ports concurrents
Le tableau ci-dessous regroupe les principaux déterminants dans le domaine de shipping. Non seulement, ils constituent des éléments de propagandes et de fierté pour chaque pays et son port, mais aussi toute entreprise consignataire et ligne maritime (leur service navigation, des opérations ou shipping) dans chaque pays doit les posséder comme un chapelet.
Tableau : Principaux caractéristiques de ports voisins
Désignations | Togo | Côte d’Ivoire | Ghana | Bénin | |||
Minéral | AGL | LCT | San Pédro | Abidjan | Téma | Cotonou | |
Draft 2014 | 11-12 | 14,5 | 0 | 12 | 11,50 | 11,20 | 9,50 |
Draft 2024 | 9-10 | 14 | 16-17 | 15-16 | 16-18 | 16 | 15-16 |
Longueur | 210 | 920 | 1050 | 846 | 1100 | 1400 | 1000 |
Tonnage 2023 | 30 | 6,5 | 34,8 | 30 | 12,5 |
Tampa Express, 06 sept 2024
Dans ce domaine de shipping, il ne suffit pas seulement de maîtriser le langage officiel des caractéristiques du port, mais aussi de faire la mise à jour journalière. Ne pas se fier seulement aux discours officiels de l’autorité et ses réseaux de propagande. Il faut bien maîtriser les réalités du terrain. Car le tirant d’eau (draft) peut changer à tout moment, soit être réduit par la présence des déchets et sédiments si les bassins et les manques d’entretien ou bien s’agrandir lorsqu’il y’a de grands travaux. Ces données sont donc cruciales pour la prise de décision des affréteurs et armateurs qui veulent désigner un navire à destination des ports. La pratique exige qu’à chaque nomination d’un bateau pour une destination (même connue), les principaux demandent et obtiennent la confirmation de son agence sur les restrictions du port (Longueur, Largeur, Draft, Jauge et Poids…). Et c’est après cette ultime confirmation qu’on fixe le navire pour le chargement.
Le tableau nous montre que le management portuaire est très dynamique sur les dix dernières années. Tous les ports ont désormais des eaux profondes avec un tirant d’eau de plus de 14 mètres afin d’accueillir des navires de nouvelles générations. Ces pays à qui la nature n’a pas doté de côtes en eaux profondes, ont dû travailler pour en avoir. Certaines côtes comme Bénin et Abidjan qui ont en plus des contraintes géologiques ont beaucoup investi et bossé dur pour y parvenir. On remarque que n’eut-été les investissements de LCT, même Cotonou et Téma auraient surclassé le Togo.
La triste réalité au port de Lomé venant du côté des bassins du quai minéralier et Togo Terminal (AGL) est que les drafts et tonnages sont limités verbalement ou parfois à travers les notes circulaires de l’autorité portuaire.
Pour Togo Terminal, le draft n’atteindrait plus les 14 mètres et le tonnage pendant que le quai minéralier est parfois restreint jusqu’à 9 mètres au lieu de 11,5 mètres et le tonnage ne devant plus excéder 40 mille tonnes contre 60 mille tonnes par le passé. C’est la raison pour laquelle la capitainerie du port se voit obliger depuis un moment d’accoster des bateaux de clinker, gypse…sur les quais de conventionnels.
Aussi, l’une des conséquences fâcheuses est que le navire qui arrive au temps (T) ne peut accoster qu’en (T+n) en période de haute marée. Sachant qu’il y a 24 heures qui sépare deux hautes marrées. Cette attente entre les hautes marées est souvent incompréhensible pour les armateurs puisque la désignation du bateau pour le port de Lomé a tenu compte des restrictions du port. Car la perte de temps en maritime engendre souvent de grosses pertes et pénalités et une déprogrammation du trajet. Aussi, est-il important de préciser que la limitation du poids au quai minéralier fait dévier beaucoup de portes clinker en transit pour le Ghana vers Téma. Toujours parmi les mauvaises nouvelles, les bateaux transportant plus de 40 mille tonnes avec un tirant d’eau de plus de 13 mètres destinés à AGL sont obligés maintenant de se faire alléger dans un port voisin avant d’accoster à Lomé alors que c’était le mouvement contraire, bien avant 2010.
Les impératifs pour exister dans une logistique très dynamique
On constate que désormais le discours de chaque port est de devenir un « hub logistique » et tous les pays côtiers travaillent pour atteindre cet objectif. C’est ce qui échappe aux « dirigeurs » togolais comme mentionné dans les propos du tout nouveau ministre Gbalgueboa KANGBENI quant il laissa entendre sur « TAXI FM », par rapport au Benin de Patrice Talon que ce pays voisin « …cherche aussi à devenir un hub, mais le Togo est en avance sur eux (Bénin) ». A l’analyse du tableau ci-dessus, l’on peut en déduire que le discours du ministre est périmé et même un Etat responsable doit éviter certains comparatifs inter-états, sources d’irritation. Bref, l’autorité togolaise ne sait pas que la seule caractéristique d’avoir une côte naturellement (ou pas) en eaux profondes ne suffit plus.
En plus de la construction des quais s’ajoutent le matériel de manutention performant comme à LCT et dans tous les autres ports de la sous-région car, la vitesse de la cadence est un gain pour chaque partie. La performance d’un port est une dynamique qui touche plusieurs branches comme l’état du réseau routier et depuis un moment les chemins de fer pour une économie d’échelle. Cette compétitivité est aussi liée au prix du carburant qui est au centre de la logistique.
Au Togo, l’on a tendance à s’autosatisfaire d’une performance qui se limite dans l’enclos du Port Autonome de Lomé. Pendant ce temps, tous les autres pays sont dans des projets ambitieux d’infrastructures routières, ferroviaires et fluviales comme venaient de l’annoncer les pays de l’AES, sans inclure le Togo de Faure Gnassingbé qu’on présente comme un allié stratégique. Ne pas oublier également les avantages comparatifs d’une économie à l’autre (la rapidité dans l’accomplissement des formalités, les coûts d’opportunité, efficacité du guichet unique et son adhésion avec le système financier…). Savoir que si le Togo reste priser par les pays de l’hinterland par rapport au Ghana, c’est en raison du facteur linguistique et la stabilité de la monnaie zone FCFA par rapport au Cedis… il faut alors se lever du long sommeil, arrêter le ridicule !
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0066 du 25 septembre 2024