Les Togolais sont à bout. Une grande majorité ne peut plus en supporter davantage. Il faut rapidement bâtir des ponts entre les citoyens pour construire le présent afin d’espérer un « avenir commun » sur la terre de nos aïeux. Jacques Nteka Bokolo disait, « une politique qui ne place pas l’homme au milieu de son intérêt ne peut être juste ». Par ailleurs, l’alternance politique consiste à un renversement de la majorité politique ou à la succession au pouvoir de partis ou de courants politiques différents lors d’élections ou de modes d’expression dédiés. Elle ne peut d’aucune manière être assimilée à un simple changement de patronyme. L’alternance renvoie à un concept normatif de la doctrine démocratique qui consiste à une échéance prévue ou attendue et profitable, rythmant la vie politique afin d’assurer la rotation régulière des projets ou des visions de gouvernance selon la volonté effective du constituant originaire. Et le choix du titulaire du pouvoir échoit au souverain national qui reste le peuple. Ainsi, un changement de constitution ou toute nouvelle constitution ne saurait se faire en dehors du constituant originaire.
Le 3 mai 2025 a été marqué au Togo par le lancement de la 5e République UNIR, concoctée pour perpétuer un pouvoir absolu intemporel d’une seule personne. À cet égard, Faure Essozimna Gnassingbé prêta serment comme Président du conseil, Chef suprême des Armées… Le site republicoftogo le qualifia d’ailleurs de tout puissant Président du conseil et c’est peu dire. Non seulement, le Président du conseil qui n’est d’aucune façon un élu, mais simplement désigné par UNIR cumule tous les pouvoirs de l’exécutif. La constitution de la 5e République lui confie entre autres la prérogative de dissoudre l’Assemblée nationale lorsque son gouvernement n’obtient pas l’approbation de la majorité des membres de l’Assemblée nationale (alinéa 2 de l’article 54). Cette incongruité est unique et inédite dans un système qui se veut parlementaire.
Par ailleurs, le Président de la Cour constitutionnelle du Togo, Djobo-Babakane COULIBALEY, qui recevait le serment du Président du conseil, ne se privera pas d’égrainer un certain bilan du gouvernement de Faure Essozimna Gnassingbé. Apparemment, on change de République, mais les habitudes de griotisme politique persistent. Alors que les citoyens se demandent, quel est en fait le bilan effectif de Faure Essozimna Gnassingbé en 20 ans de pouvoir exclusif et absolu?
La même journée du 3 mai 2025, Jean-Lucien Kwassi Lanyo Savi de Tové se voit offrir sur un plateau le titre de Président de la République par le Parlement réuni en congrès, avec 150 voix favorables sur 150 suffrages exprimés, soit 100%. Selon certains caciques de UNIR, cette caricature d’un régime parlementaire au Togo remplirait ainsi une aspiration des « citoyens » depuis des décennies, l’alternance politique. Pour eux, l’alternance c’est un simple changement de patronyme. Il fallait trouver un porteur de chapeau, un alibi pour prétexter pour « singer une alternance ». Est-ce que ce choix doit pour autant surprendre? Pas vraiment, car le désigné est un habitué de circonstances tragiques pour le Togo. Et quand les circonstances s’accumulent, elles s’apparentent à des circonvolutions qui ne relèvent plus du hasard. Ainsi entre autres, juste après le coup d’État de 1967, il sera nommé le 6 février 1967 secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Dans la foulée des massacres pour la succession dynastique au pouvoir, il deviendra ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat le 20 juin 2005 et sera décoré en 2006, Commandeur de l’ordre du Mono, etc. Avec ce micmac de la 5e République, il accepte à 86 ans la nomination au poste de Président de la République, pour jouer la carte de UNIR de partage du pouvoir avec l’opposition. Finalement, on pourrait dire qu’il est « l’homme-charnière » en référence à la formulation utilisée en 1994 par son ancien Président de parti, feu Edem Kodjo, « l’UTD est un parti-charnière… » pour justifier son poste de premier ministre qui revenait à Maître Yawovi Agboyibo du CAR si on se fiait aux résultats des législatives.
De plus, des semaines après sa nomination, le Président de la République est disparu des radars. Il ne semble pas avoir de résidence officielle ni de lieu de travail officiel comme partout ailleurs. Encore moins, il n’a pas encore de portail internet dédié accessible. C’est indubitablement un poste fantoche fantomatique, bref un intermède. On ne doit pas s’étonner que même la parodie semble avoir été seulement imaginaire, à en croire le titre du Président du conseil qui est en mutation et qui phagocyte lentement le poste symbolique du Président de la République. Apparemment, la soupape imaginée pour présenter une soi-disant alternance est même de trop pour leur égo. Il faut le cacher le plus possible, voir le neutraliser simplement.
Un an de transition vers la 5ème République a servi à quoi au juste!
Pourtant, pour en arriver à cet enclenchement de la 5e République le 3 mai 2025, il y a eu une transition de 1 an depuis la promulgation de la constitution UNIR le 6 mai 2024, pour supposément mettre en œuvres les institutions prévues par ce texte. L’article 95 de la constitution du 6 mai 2024 « les institutions de la République prévues par la présente constitution sont mises en place dans un délai n’excédant pas douze (12) mois à compter de la date de son entrée en vigueur ». C’est leur constitution imposée. Mais en dehors des 2 prestations de serment du 3 mai 2025, quelles autres institutions prévues par cette constitution sont effectives? Il s’agit entre autres des différentes juridictions dans le cadre de la justice, de la composition de la Cour Constitutionnelle (9 membres), de la Cour des comptes, des autorités indépendantes comme la Haute autorité de régulation de la communication écrite, audiovisuelle et numérique, du Conseil économique, social et environnemental, du Protecteur du citoyen, de la Haute autorité pour la transparence, l’intégrité de la vie publique et la lutte contre la corruption, de la Commission nationale des droits de l’homme, de la Cour de Justice de la République, etc. Tout porte à croire que seule l’érection du poste de Président du conseil leur importe. Et le reste ne semble que de l’habillage.
Comment comprendre alors que des semaines après le début de cette 5e République, le 1er gouvernement n’est pas encore formé. La seule chose qui semble évoluer, est que l’appellation du poste de Faure Essozimna Gnassingbé, en mutation, mais jusqu’où? Tantôt c’est le Président du conseil des ministres, tantôt c’est Président du conseil, etc. Probablement que les « façonniers de UNIR » se sont rendus compte que le titre Président du Conseil des ministres ne correspondrait pas au poste taillé sur mesure pour leur champion. Rien, absolument rien ne doit lui faire moindrement ombrage. C’est ainsi qu’un communiqué de la Présidence du conseil du 17 mai 2025 relativement à la réunion de médiation de L’UA avec le panel de facilitateurs le désigne comme « Président du conseil de la République togolaise ». Subséquemment, le poste de Président de la République même protocolaire et épouvantail, se dissipe dans les brouillards du laboratoire UNIR. Ainsi va le Togo. La navigation à vue en temps de tempête est tout sauf censée. Tout compte fait, le bon sens, est la chose la moins partagée dans le Togo de UNIR, malheureusement.
Alors, ce qui devait être une évidence n’est jamais manifeste au Togo depuis des décennies. Cette 5e République a été simplement imposée au peuple togolais en dehors de toute logique. Pourtant, selon l’alinéa 5 de l’article 144 de la constitution de 1992 modifiée par la loi n° 2019 – 003 du 15 mai 2019 « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacances ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Et de fait, l’alinéa 6 dit que « la forme républicaine et la laïcité de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision ». De plus, les alinéas 1 et 2 de l’article 59 stipulent que « le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret… Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire ». Indubitablement, la constitution de 1992 qu’ils ont modifiée à plusieurs reprises prévoyait tout au plus des procédures de révision et non de changement ou de remplacement de constitution. Ils peuvent tout dire, mais l’histoire rétablira les faits.
Pourtant, chez le citoyen lambda, il n’y a plus d’incertitude sur la nature de l’action gouvernementale à entreprendre pour un meilleur vivre ensemble. UNIR et son « champion » ont le pouvoir absolu ou exclusif et s’offraient des majorités partout, notamment à l’Assemblée nationale et au niveau des institutions étatiques, sans offrir des projets structurants viables aux togolais, depuis au moins 20 ans. Au contraire, on observe une rétribution de gâteaux avec des couches de représentations politiques et administratives sans plus-value pour les citoyens. Ainsi pour une superficie de 56700 Km2 et moins de 9 millions d’habitants, ce pays dispose d’un Président de la République, d’un Président du conseil, d’une Assemblée nationale de 113 Députés, d’un Sénat de 61 Sénateurs, d’un gouvernement démissionnaire de 34 portefeuilles dont 33 occupés, de potentiellement 6 Gouverneurs de région, de 39 Préfets, de 117 Maires, de 1527 Conseillers municipaux, de 179 Conseillers régionaux, d’environ 394 cantons, etc.
Malgré les promesses « les vingt plus de Faure » en 2005, aucune route nationale adaptée aux contraintes contemporaines n’a été construite, aucun hôpital, pas d’écoles ou d’universités modernes, ni de centres sportifs, culturels, ni des gares routières, encore moins une ligne de chemin ou projets structurants pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Théodore Jouffroy déclarait, « il faut donc choisir de deux choses l’une : ou souffrir pour se développer, ou ne pas se développer, pour ne pas souffrir. Voilà l’alternative de la vie, voilà le dilemme de la condition terrestre ». Les régimes politiques ne sont que les formes de structuration des pouvoirs pour la conduite de la vie de la nation. De ce fait, ce n’est pas le régime politique qui construit un pays, mais la vision, la raison, les projets, la lutte contre la corruption et la capacité à accompagner le peuple à se prendre en charge.
Le régime parlementaire de la 5ème République, un artefact comparé aux différents régimes parlementaires cités en référence par le pouvoir de Lomé
Le Chef de l’État Faure Essozimna Gnassingbé déclarait lors de sa présentation des vœux du Nouvel An 2025, « en février prochain, un Sénat sera mis en place et dans les mois qui suivent la réforme constitutionnelle votée en 2024 entrera en vigueur. Le Togo deviendra alors une véritable démocratie parlementaire comme c’est le cas dans plusieurs grands pays, notamment l’Inde, l’ile Maurice, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, par exemple ». Vraiment? Cette 5e République RPT/UNIR au Togo ne ressemble en rien à ces régimes, malgré qu’elle semble se prévaloir de tout. Ce qui est consistant est que dans ces régimes parlementaires le rôle du Président reste significatif, même s’il est qualifié de protocolaire.
Le parlementarisme en Grande-Bretagne :
Tout d’abord, il faut souligner qu’en Grande-Bretagne, le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour utilisé lors des élections législatives favorise un bipartisme et par ricochet accorde un rôle relativement important à l’opposition aussi. Le Roi y joue un rôle protocolaire, mais il assure par exemple la désignation du Premier ministre et des membres du gouvernement, la signature des textes (bills) adoptés par le Parlement, de droit de dissolution, entre autres. Le monarque britannique joue son rôle dédié tout en étant aussi à la tête de 14 autres États l’ancienne couronne britannique dont le Canada, d’Australie, la Nouvelle-Zélande, etc. Depuis 1902, tous les premiers ministres sont choisis parmi les députés de la Chambre des communes et chefs des majorités parlementaires. Avant cela, ils étaient membres de la Chambre des lords. Ils sont donc avant tout des élus du peuple. Depuis les années 1990, la Grande-Bretagne a connu 9 premiers ministres.
Le régime parlementaire en Allemagne :
L’Allemagne est une fédération et le Bundestag est la chambre basse composée d’élus sur le plan fédéral), alors que le Bundesrat est constitué de représentants des États fédérés. Le président (Budesprâsident) de la République fédérale allemande est élu par le Bundesversammlung, l’Assemblée fédérale constituée des membres de la Budestag et de la Budesrat. Il exerce avant tout une fonction représentative et est chargé d’examiner chaque loi avant la promulgation. Il peut refuser de signer une loi s’il la juge contraire à la Loi fondamentale allemande. De son côté, le pouvoir exécutif est conduit par un Chancelier ou Bundeskanzler (premier ministre) qui est un élu (Député) appartenant à la majorité parlementaire. Depuis les années 1990, l’Allemagne a connu 5 Bundeskanzler. Le nouveau Kanzler, Friedrich Merz de la CDU a été confirmé à la suite des élections du 23 février 2025.
Le régime parlementaire en Inde
Le parlementarisme indien s’inspire du système de Westminster (Brande Bretagne), mais en remplaçant le monarque par un Président. L’Inde est une union d’États d’au moins 28 États et 7 territoires et son Parlement est constitué du président et de deux chambres, soit la chambre haute qui est l’Assemblée des États ou le Conseil des États (Rajya Sabha) et la Chambre du peuple ou Assemblée du peuple (Lok Sabha) qui est la chambre basse. Le Président de l’Inde est élu par un collège électoral regroupant les deux chambres du Parlement ainsi que tous les membres des parlements des États. Il fait office de conseiller et de guide pour les gouvernements en place, notamment durant les périodes marquées par les difficultés et les crises. Le Vice-Président est le président de la Rajya Sabah. Le premier ministre Indien est un élu du peuple et le chef du parti ou de la coalition majoritaire. Il est le chef de l’exécutif et est responsable devant le Parlement. Depuis les années 1990, l’Inde a connu pas moins de 8 premiers ministres.
Le régime parlementaire de l’Île Maurice :
Le Parlement de Maurice est composé du Président et d’une Assemblée nationale (alinéa 1, article 31). Selon l’article 28 de leur constitution, le Président est le Chef de l’État et le Commandant en Chef de la République de Maurice. Il respecte et défend la Constitution et il est le garant des institutions de la démocratie et de la primauté du droit, du respect des droits fondamentaux de tous, et il est le garant du maintien et de l’unité de la nation mauricienne plurielle est maintenue et renforcée. Le pouvoir exécutif, l’alinéa 1 de l’article 58, dit que le Président est investi du pouvoir exécutif de Maurice. L’alinéa 1 de l’article 59 adjoint qu’un premier ministre ainsi qu’un Vice-Premier ministre sont nommés par le Président. Et l’alinéa 3 du même article précise que le Président, agissant de son propre chef, nomme comme premier ministre le député qui lui semble le plus susceptible d’obtenir le soutien de la majorité des membres de l’Assemblée. Donc, dans ce système politique de l’ile Maurice, aussi le premier ministre est un élu du peuple. Et depuis les années 1990, l’Île Maurice a connu environ 8 gouvernements de diverses mouvances.
Le régime parlementaire de l’Italie :
L’Italie est une république parlementaire, dont le gouvernement est responsable devant les deux chambres du Parlement bicaméral (Parlamento) composé de la Chambre des députés (Camera dei Deputati), et du Sénat de la République (Senato della Repubblica). Le Président de la République est élu par un collège électoral composé des deux chambres ainsi que de 58 délégués régionaux. Il joue un rôle clef dans la formation du gouvernement et nomme le Président du conseil des ministres. Il peut exercer son droit de veto pour empêcher un ministre de faire partie du gouvernement. Il peut également dissoudre chacune des deux chambres du Parlement.
Le Président du conseil des ministres issu de la majorité parlementaire est responsable du gouvernement dont il dirige la politique générale. Le principal détenteur du pouvoir exécutif, toutefois, il n’a pas le droit de révoquer les ministres avec lesquels il n’est pas d’accord. L’actuelle Présidente du conseil italien, Géorgia Meloni, est une élue du peuple. Depuis les années 1990, l’Italie a connu près de 18 alternances de Présidents de conseil.
Au Togo, on semble prendre au mot Henri Queuille quand il disait que « la politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent ». Il y a simplement urgence d’agir pour le bien de nous tous. Le Togo est notre héritage commun.
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » numéro 0078 du 02 juin 2025