Depuis près de 20 ans, à travers des discours, des gesticulations politiques, de grands reportages et ateliers, les Togolais sont informés des « Grands travaux d’Hercule », de ce surnom de Faure Essozimna Gnassingbé. Jadis, il était question de la « Politique nationale de grands travaux » ; signe du temps dira-t-on. Concomitamment, l’on observe la multiplication des initiatives prétendant lutter contre la corruption et les infractions y assimilées. On sait pertinemment le pays en avait grand besoin, après avoir subi le délabrement du fait de son abandon par ceux qui l’ont dirigé des années durant. Beaucoup avaient cru naïvement que Faure Gnassingbé, dans un « Esprit nouveau », ferait l’extraordinaire par rapport à son géniteur, le Général Eyadéma Gnassingbé et son creuset « national », le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT). Mais les concerts tour à tour n’ont fait que renforcer le statu quo.
Après plusieurs décennies de crises sociopolitiques qui ont résulté de la compromission du fonctionnement correct du pays essentiellement dû à la corruption et à la violation des droits humains, le pays a cru trouver, dans l’organisation des élections législatives et présidentielles et très récemment des municipales et régionales, la solution qui devait briser l’égoïsme des uns et des autres, tout en relançant son développement. Mais, pour le moins qu’on puisse dire, cette unique solution des élections se révèle calamiteuse, depuis la base, avec un découpage électoral et un recensement frelaté, une Commission électorale dite indépendante, totalement politisée à la solde du pouvoir en place, une Cour Suprême et une Cour Constitutionnelle inféodées au gouvernement. Ajouter à tout cela, l’achat des consciences doublé de fraudes massives : « bourrage d’urnes, vote des mineurs et étrangers, sans oublier un vote anticipé des Forces de défense et de sécurité (FDS) sans tête ni queue ». Le plus souvent, ces élections et, surtout, la présidentielle s’achèvent dans la violence, avec des blessés, des morts et des exilés. Et pour tout solutionner, le labo RPT-UNIR inventa une 5ème République : « Alice au pays des merveilles » où les premiers dirigeants ne seront plus des élus du Peuple. L’opinion publique pense que cette cinquième République n’est qu’un palliatif pour masquer les crises sociopolitiques, éviter les drames de morts en période électorale. Puisque de toutes façons, le régime en place n’est pas prêt à démocratiser la vie politique du pays.
Faure Gnassingbé et Hercule dans la mythologie Gréco-romaine
Extrait de « Histoire du Togo : il était une fois Eyadéma »
Hercule, selon la mythologie, a accompli 12 travaux qu’aucun être humain, à part lui, n’est arrivé à réaliser. Ce qui d’ailleurs, l’a amené à être accepté parmi les dieux. Ceci étant, à regarder de près ce qu’on sert aux Togolais comme travaux d’Hercule, l’on est tenté de se poser la question de savoir, lesquelles des actions sont comparables aux 12 travaux que ce dernier a accomplis. En effet, les plus remarquables travaux d’Hercule ont consisté à tuer l’hydre de Lerne, énorme dragon au corps de reptile surmonté de neuf têtes ; de ramener vivante la biche du mont Cyrénée aux cornes d’or et aux pieds d’airain, si rapide à la course que jamais personne n’avait pu l’attraper ; de capturer vivant le sanglier d’Érymanthe, une bête féroce qui ne sortait de son repaire que pour dévaster les champs ; de détruire les oiseaux monstrueux du lac Stymphale, qui attaquaient les gens du pays en se servant de leurs plumes aux pointes d’acier comme flèches et se repaissaient de leur chair humaine ; de nettoyer les écuries d’Augias, etc.. Maintenant, lequel exprime le mieux, le besoin le plus fort des Togolais que celui de nettoyer les écuries d’Augias, c’est-à-dire, lutter contre la corruption ?
Augias était un roi à qui le dieu Soleil avait offert des écuries et de nombreux troupeaux. Selon la mythologie, ce roi n’avait pas nettoyé 30 années durant les étables qui étaient pleines de bouse et dégageaient une odeur très nauséabonde. Et, Hercule, chargé de les nettoyer fit des brèches dans le mur des écuries, puis il détourna le cours de deux fleuves au travers des écuries qui à leur passage les rendirent propres et sains.
Le contexte national qui devrait favoriser un Faure Gnassingbé nouvellement élu
Eyadéma Gnassingbé & Faure Gnassingbé
La paupérisation croissante de la population, les sanctions économiques imposées par l’Union Européenne au Togo, pour des raisons de déficit démocratique, la méfiance croissante des citoyens à l’égard des institutions publiques, la cruauté des tenants du pouvoir cinquantenaire à maintenir une bonne partie du peuple dans la misère et aussi l’incapacité croissante de l’Etat à assumer ses fonctions essentielles, etc. sont autant de maux qui minaient le pays. Ce sont ces problèmes, semble-t-il, qui ont poussé au sursaut d’orgueil du président Faure Gnassingbé à faire le choix de l’humilité qui va le conduire à opter pour la résolution pacifique des problèmes politiques et lutter contre l’exclusion, dont ont été victimes tous ceux qui, à un moment donné de l’histoire du pays, ont décidé de redevenir simples citoyens plutôt que de demeurer éternels militants au sein du RPT, parti Etat. Le Togolais, pour ce faire, a choisi de se remettre au travail, pour peu que le travail ne lui soit plus présenté comme un sacerdoce, mais un gagne-pain. Le ton a été donné par le Chef de l’Etat lui-même qui a ouvert un certain nombre de chantiers parmi la kyrielle que le pays a hérités de la gestion artisanale du RPT de l’époque Eyadema. Cette entreprise du Chef de l’Etat, Faure Gnassingbé qui éclipse, un tant soit peu, la chute accélérée d’un pays en mal d’identité était louable. Il n’en était plus que temps.
Toutefois, sans verser dans la suggestion des reportages de la chaîne première et certains propagandistes, qui font le rapprochement avec les douze travaux d’Hercule, ce héros de la mythologie Gréco-romaine, demi-dieu de part sa naissance, courageux, brave et fort qui a réalisé des exploits légendaires, ce rapprochement à caractère diffamatoire est pour le moins dubitatif. Et pour preuves, tout le peuple est témoin des dérives contradictoires sans fin depuis la dissolution-fusion du RPT et sa refondation dans UNIR.
La politique de « grands » travaux ici et là par Gilbert Houngbo
Faure Gnassingbé lance depuis Atakpamé, les travaux de construction de 21 ponts
Le Premier ministre, Gilbert Houngbo, à son arrivée à la tête du gouvernement, discourait fièrement sur les efforts faits par le Chef de l’Etat, pour faire du Togo, un état moderne ou un pays émergeant. On est parfois tétanisé lorsqu’on voit que la construction de petits hangars de marchés ruraux soit tellement évènementielle, qu’il faille qu’un chef d’Etat se déplace avec toute sa cour pour son inauguration. Penser que cela n’en valle pas la peine que le Président Togolais fasse des travaux durables qui relèvent de l’exception, est simplement déraisonnable. Or souvent, ces travaux à la fois bâclés et non professionnels créent des indignés. On peut citer les riverains de bassins orageux et des routes en travaux qui durent de longues années. Mais, cela n’empêche pas de se poser la question de savoir, d’où ça vient cette valeur que le Togolais ne peut plus rêver de réaliser de grandes choses ? D’où vient ce manque de confiance ? D’où vient ce syndrome d’un peuple qui souffre sans sentir la douleur comme un lépreux ? D’où vient ce contentement à faire du patchwork et s’en féliciter ? En un mot la médiocrité. C’est à croire que le togolais est devenu minimaliste dans tout ce qu’il fait, qu’il se contente du très peu et qu’il n’a plus d’ambition.
La mise en scène du déclin des Togolais dans tous les sens
Gal Gnassingbé Eyadema et Faure Gnassingbé
Si sous d’autres cieux, des travaux similaires s’exécutent sans tambour ni trompettes, le Togolais moyen reprendrait l’adage qui dit : « mieux vaut tard que jamais ». Ceci, pour la simple raison qu’il lui revient à la mémoire qu’à l’un des pics dans la cohue des crises politiques qui se sont succédé au Togo, Eyadema Gnassingbé avait fait une sombre prophétie pour le pays lorsqu’il avait lâché une phrase en apparence anodine, mais qui en ces temps-ci permet de comprendre l’évolution de la situation politique du Togo. « Si on ne sait pas faire, le Togo va reculer de 100 ans en arrière » ; c’était en substance la prédiction d’Eyadema.
Depuis ce temps, le pays qui connaissait déjà les soubresauts politiques, va verser dans la violence et la corruption. Au moment où ceci se passait, le Chef de l’Etat de l’époque avait perdu bon nombre de ses prérogatives. Mais cette phrase a sonné le glas pour la population togolaise qui allait devoir payer le prix fort, pour le fait d’avoir lésé la majesté de celui que, quelques mois plus tôt, le groupe Choc des Animateurs de la Révolution Togolaise (ARETO), dans leurs prouesses, avait intronisé roi, dans leur chanson « Il est roi ». Et de suite, les querelles politiques qui n’ont jamais cessé de miner les partis dits d’opposition vont dérouler le tapis rouge pour le retour de sa majesté.
Le RPT, avec son retour au pouvoir va choisir de façon délibérée, de ralentir le développement économique par la mauvaise répartition des ressources en capital et en talents. Il va procéder à la perversion du processus électoral et à la modification de la concurrence politique, pour consolider le pouvoir politique ; créer, entretenir et accentuer la fracture des injustices et des conflits de nature sociale. Il va exclure de façons des plus pernicieuses les « coupables », ce qui va faire du gouvernement, non pas celui qui est chargé de créer les conditions d’épanouissement de tous les fils du pays, mais un oppresseur, puisqu’il va commencer par sélectionner les bénéficiaires et exclure la majorité du fonctionnement de la vie publique. C’était donc parti pour l’anarchie, et l’arrogance ; parce que sur les plans politique et économique, la corruption va conduire à l’exclusion par la perte d’emploi, le chômage, et à la pauvreté.
« Or l’humanité n’a pas connu, durant toute son histoire, un seul exemple de pays qui se soit développé dans de telles conditions. Un Etat capable, du fait de la légitimité et de l’autorité incontestable qu’il peut tirer de la conviction largement partagée par les citoyens qu’il est bien à leur service doit contraindre tout le monde au respect du bien public, instaurer l’ordre nécessaire pour garantir la liberté des individus et la sécurité de leurs biens et mettre la société au travail dans la discipline, l’unité et la mobilisation, en vue d’une répartition juste et équitable des fruits du travail collectif ».
La promotion de la corruption et le clientélisme comme béquille du pouvoir
Le délabrement de l’Etat s’est aggravé par ce plan qui consistait à léguer le pays au prince héritier, un pays en piteux état, afin qu’il puisse être perçu comme le baptiseur du Togo moderne. Ainsi, les Togolais se trouveront un nouvel éclaireur de pointe, puisque les textes le rendent éligibles à jamais. En plus la militarisation de la politique est bien assurée pour éloigner et dissuader toute forme de contestation du peuple. Aussi, après les violences inouïes qui ont conduit l’héritier Faure Essozimna au pouvoir en 2005, le premier pas qui va conduire à l’instauration de la dynastie va être l’organisation des législatives de 2007 sans violences. La botte secrète était au-delà de l’achat des consciences. Il y a la corrosion du corps enseignant, parmi lequel on nommait souvent des préfets, sous-préfets, et quelques ministres pour bourrer les urnes dans les bureaux de votes. À ce corps est venu se greffer celui des magistrats, eux qui en tant que présidents des CELI, au lieu de s’occuper des contentieux électoraux étaient plutôt juges et partis.
Parmi les moyens utilisés par le parti au pouvoir, pour atteindre les objectifs de se maintenir au pouvoir on cite la violence et la corruption. Il n’y a qu’eu la violence malgré le slogan « Plus jamais ça » de Faure Gnassingbé, en juillet 2007 à Atakpamé. Quant à la corruption, elle est héritée de l’homme qui voulait plus que tout une bonne renommée qu’une ceinture dorée, lui qui a dépouillé le pays et joué au mécène par la suite. Rien de plus normal qu’au sortir de sa longue crise, l’on essaye de panser les plaies, avec au bout, la réconciliation nationale et la reconstruction annoncée du pays. Mais ce faisant, l’on préfère vivre avec le mensonge et la corruption comme Augias s’était accommodé de l’odeur nauséabonde de ses écuries.
Que de rumeurs n’ont circulé sur la qualité des appareils acquis au prix d’or pour équiper les centres médicaux, dont celui du scanner du Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus OLYMPIO (CHU-SO), avec les vagues qu’il a faits, depuis son inauguration. Que de rumeurs n’ont circulé dans ce pays portant sur d’importantes sommes d’argent qu’on aurait détournées au FER, dans les Travaux publics, les multiples révélations dans la presse togolaise dont celles du journal « L’ALTERNATIVE » sur le Petrole-Gate. Récemment, le rapport accablant de la Cour des comptes dans la gestion des fonds de la Covid-19, dont les auteurs ne sont pas inquiétés, ou lorsqu’ ils semblent inquiétés, ils ne font que sortir d’une porte pour se réintroduire dans le circuit par une autre. Que n’entend-t-on pas sur la qualité des infrastructures routières réalisées, sur les hauts fonctionnaires devenus concurrents des entreprises privées, sur la mauvaise gestion des ressources allouées à l’administration publique.
Combien de fois, des revendications sociales ne reçoivent d’échos qu’après manifestations. Combien de fois, ne se cache-t-on pas derrière les prétendus montages de l’opposition qui pousseraient la population togolaise à revendiquer un mieux-être social, avec tout le malaise que l’on vit.
Tout le Togo a assisté surpris par la vitesse avec laquelle le gouvernement a fait adopter par le parlement les lois portant liberté des manifestations, le Code de la presse et de la communication, La loi organique de la HAAC et la cybercriminalité alors que traînent encore dans les tiroirs, des années durant, ceux portant statuts et décrets d’application de la fonction publique, des magistrats, la police nationale et corps assimilés etc…
Le plus rocambolesque qui met totalement au chaos les Togolais, dans leur large majorité, aurait été, sans nul doute, la consécration de la ROYAUTÉ, qui leur enlève le droit de vote de choisir leur président, avec une nouvelle Constitution (5ème République) votée le 19 avril 2024 par l’Assemblée nationale, dont le mandat a pris fin quatre mois plus tôt.
Ce qui est en cause, c’est l’incapacité de respecter les quelques textes de lois que l’on se donne. Au Togo, la primauté n’est pas donnée à la loi. Sans application des lois et sans respect, comment peut-on moderniser un Etat quand on se refuse de chercher l’adhésion du citoyen par le respect des principes communément partagés. Ce qui faisait dire à Alexis Tocqueville qu’il n’y a pas de démocratie, si pour tous les citoyens, la loi n’est pas perçue comme un ouvrage commun, qu’ils « aimeraient et s’y soumettraient sans peine, où l’autorité du gouvernement étant respectée comme nécessaire et non comme divine, l’amour qu’on porterait au chef de l’Etat ne serait point une passion, mais un sentiment raisonné et tranquille. Chacun ayant ses droits, et s’étant assuré de conserver ses droits, il s’établirait entre toutes les classes une mâle confiance, et une sorte de condescendance réciproque, aussi éloigné de l’orgueil que de la bassesse. Instruits de ses vrais intérêts, le peuple comprendrait que, pour profiter des biens de la société, il faut se soumettre à ses charges. L’association libre de citoyens pourrait remplacer alors la puissance individuelle des nobles, et l’Etat serait à l’abri de la tyrannie et de la licence », de la démocratie en Amérique.
Presque tout, sur la société civile, les médias, les magistrats, les Forces de Défense et de Sécurité (FDS), même les organisations spécialement créées pour lutter contre la corruption et les infractions assimilées ont échoué car, certaines de ces institutions sont muselées et d’autres sont dans les compromissions ou encore sont totalement inféodées au pouvoir politique. En définitif, si la primauté avait été faite à la loi, nettoyer les écuries ne serait pas un problème sans solution. Mais, puisque c’est du maintien au pouvoir qu’il s’agit, l’on comprend que les lois ne soient taillées que sur mesure, ce qui exclut les préoccupations citoyennes. Or, il fallait que quelqu’un s’en occupe comme Hercule. Comme les écuries d’Augias qui n’ont pas été nettoyées pendant trente ans, Feu le Président Gnassingbé Eyadema avait passé plus d’une trentaine d’années à la tête du Togo, sans pouvoir le sortir du cercle de la violence et de la corruption. En principe, à la fin de ces trente ans, les écuries auraient dû être nettoyées, non pas par Augias ni un membre de sa descendance, parce qu’ils ont montré leurs limites, mais par quelqu’un qui viendrait d’ailleurs. Cet ailleurs nous semble être autre source que du RPT : d’où l’alternance. Et c’est certainement ce camouflage derrière la dissolution du RPT en le remplaçant par l’UNIR, comme si le changement de nom du parti au pouvoir et de la Constitution de la République signifiaient l’alternance. La question reste posée, FAURE avec le RPT ou UNIR peut-il lutter contre la corruption ? puisqu’il est né dans le système et a grandi avec lui. Ne dit-on pas que : « chassez le naturel et il revient au galop » ?
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0066 du 25 septembre 2024