Le zem qui a déposé la dame devant le kiosque de Flooz n’avait pas de casque. J’observais depuis la fenêtre de la bibliothèque. C’était un dimanche. J’écoutais leur conversation aussi.
- – Il est 8h et le kiosque n’est même pas ouvert. Je suis foutu, on va faire comment ?
- – Tu ne connais pas la maison de la dame qui fait Flooz ?
- – On m’a dit qu’elle est juste dans la clôture où, on fabrique les pagnes.
- – Allons la voir, on va lui dire que c’est une urgence.
La bibliothèque est rattachée à la concession où nous habitons. C’est ma femme qui gère le kiosque de Flooz dont ils parlent. J’ai fini de nettoyer quelques romans puis, je suis rentré à la maison par la petite porte. Notre chien aboie de l’autre côté, je pari qu’ils ont réellement décidé de venir à la maison. Madame sous le palmier faisait la lessive. Mes deux princesses quant à elles, jouent avec l’eau savonneuse. Elles réalisent les bulles de savon et les laisse se casser au gré du vent. J’observe le spectacle avec sourire dans mon hamac. Deux personnes avancent vers madame.
- – Bonjour, bonjour, nous sommes venus pour faire Flooz.
Madame s’est mise en colère. Et jette sèchement aux intrus
- – Combien de fois je devrais vous dire dans ce village que je ne fais pas Flooz le dimanche. Vous venez jusqu’à la maison parfois aux heures de repos ou aux heures de cuisine.
Ça fait prêt de 8 ans que madame rend ce service à la communauté. Et je vous assure que c’est très pénible avec les petites commissions qu’elle reçoit à la fin de la journée. Les caprices des clients sont nombreux. C’est surtout quand tu fais la sieste qu’ils atterrissent. Un jour j’étais au salon quand un client est rentré à la maison. Il était 13h 09
- – Kafara, kafara ! comme personne ne répondait, il est venu jusque devant notre porte et il a Tocqué très fort. Ma petite Ornella est sortie et a dit au Monsieur que maman dort. Il a rétorqué qu’elle aille la réveiller, c’est urgent. Hum ! vous voyez comment ce monsieur raisonne ? Je suis sorti, nez à nez devant ma porte, il ne savait quoi faire. Je l’ai prié gentiment de sortir de la maison.
Et depuis ça dure. Une fois j’ai demandé à madame d’arrêter ce service pour qu’on retrouve la tranquillité à la maison. Moi j’en ai marre qu’on perturbe mes repos. Ils n’ont aucune notion de l’heure. On a écrit les horaires et les jours de services collés sur le kiosque, mais rien n’a changé. Hum ! Ce n’est pas facile surtout au village. Mais on va faire comment ! Bon, c’était une parenthèse.
La dame s’est mise à genoux devant ma femme. Elle portait un bébé au dos. Elle a expliqué son problème en pleurant. Sa fille aînée a été mordue par un serpent. Faute de moyens, on la conduit chez un guérisseur, mais depuis deux jours, ça ne va pas. Elle a sollicité de l’aide pour l’amener à l’hôpital. Pris de pitié, ma femme a envoyé la petite chercher un tabouret pour elle. Le zem est reparti.
La brise sous ma paillote a eu raison de moi. Je me suis en dormi. Au réveille, je vois la dame toujours assise. J’ai appelé madame qui m’explique qu’elle attend qu’on lui envoie de l’argent. Alors qu’elle retourne chez elle et qu’elle revienne si on le lui envoie. Au fait, elle venait d’un village situé à 34 km de Lama-Tessi fini t-elle par m’expliquer. Madame a fait la cuisine et lui a servit. Façon, elle a avalé son plat, tu pourras deviner le degré de faim qu’elle endurait.
Un instant après, elle montre un message sur son portable à ma femme. Elle venait de recevoir Cent mille franc CFA. Quand les billets sont rentrés dans ses mains, elle a fondu en larmes. Elle a pleuré comme si on venait de lui annoncer un décès. Ma femme était aussi étonnée. Elle n’arrivait pas à la calmer. Je me suis dirigé vers elles.
- – Madame vous avez quoi ?
Un long silence.
- – N’ayez crainte, soyez forte, votre fille sera sauvée affirma ma femme. Dépêchez-vous de l’amener vite à l’hôpital maintenant que vous avez de l’argent.
- – Pardonnez- moi ! C’est la tristesse et le remord qui m’anime. Je maudis ce jour où mon père m’a mis entre les mains de cet homme.
- – Vous parlez de quoi au juste madame ?
- – J’étais adossé au palmier très intrigué. Elle a commencé son histoire en disant : « Dieu bénisse votre couple »
- J’ai aimé un jeune homme depuis le lycée. Plutôt, on s’est follement aimé. Il était Kabyè et moi Peulh. Quand il a eu son BAC, il a passé un concours et il a réussi. Moi j’avais abandonné les classes faute de moyens en classe de 1ère. Nous avons décidé d’officialiser notre relation en annonçant la nouvelle à mes parents. Mon copain fut chassé comme un chien par mon père. Je fus envoyé au Niger chez ma tante pour m’éloigner de lui. Un an après, mon père a organisé un mariage forcé, il m’a offert à un monsieur plus âgé que moi. Et depuis lors, ma vie est devenue un enfer. Ma mère et mes tantes m’ont harcelé. Elles ont juré qu’une relation comme la notre n’avait pas de sens et que mon père avait fait un bon choix pour moi. Résigné, j’ai eu finalement deux enfants avec ce polygame. Mais ma vie est restée précaire dans ce foyer. Je manque de tout dans ce foyer. Je me suis marié sans amour. C’est la Nièm fois que mon copain du lycée là m’envoie de l’argent. A chaque souci, il est toujours près à me soutenir. Aujourd’hui, il est directeur d’une grande industrie. Il est marié, il a deux enfants et vit à Lomé.
Je me suis marié malgré moi. Je regrette n’avoir pas désobéit à mes parents. Aujourd’hui, je souffre mais mes parents qui m’ont forcé ne sont plus de ce monde. Je suis la seule victime de cette erreur. Je voudrais m’enfuir loin, loin, je n’en peux plus. Puis elle a fondu de nouveau en larmes.
C’était l’œil du passager par ATCHAM Aposto.