Tout a commencé par cette pause de 10 minutes à Atakpamé. Quand il a fini de manger un gros poisson de Nangbeto, il a pris trois tas. Il tend un billet de cinq mille francs à la revendeuse qui scrute longuement le billet vert, puis dit :
- Monsieur votre argent n’est pas catholique
- Quoi ?
- Je dis que l’argent que vous m’avez remis n’est pas recevable
- Qu’est-ce qu’il a d’anormale ?
- Il est déchiré par endroit et collé avec du scotch
- Hum ! Il fouille encore son portefeuille et remet un autre billet bleu.
J’attendais mon tour pour être servi. Nous sommes remontés tous dans le DC 10 transport puis le bolide a démarré fièvrement. Je n’avais pas remarqué que le monsieur était assis depuis l’embarquement derrière moi. Quand je suis monté au niveau d’Agoe, le monsieur dormait. La tête contre le dos de mon siège. Il sort de nouveau son billet de Cinq mille francs et me montre, de voir en quoi ce billet ne peut être dépensé. J’ai observé longuement le billet puis je me suis souvenu d’une histoire autour des billets de dix mille francs quand je vivais dans une cour commune à Agoè Atchanvé. Mon esprit s’est envolé pour quelques minutes puis je fis sorti de ce souvenir quand le monsieur posa sa main sur mon épaule. J’ai sursauté puis je me suis excusé en lui remettant son billet. Après constat, j’ai vu qu’il manquait certains chiffres au numéro de série de cette coupure. Voilà pourquoi, partout on refuserait ce billet. Je lui ai conseillé de se le faire échangé à la banque centrale à Lomé. Mais c’est quoi ce souvenir qui m’a fait garder le billet entre mes mains, figé et silencieux plus d’une dizaine de minutes ?
Je me rappelle de cette histoire comme si c’était hier. Le jeune couple venait de louer dans la même concession que nous. Au bout d’une semaine, on était devenu familier. Le mari un jeune soldat, rentrait rarement avant la tombée de la nuit. Au bout d’un an, on pouvait compter des doigts le nombre de jour qu’on l’a aperçu à la maison. Son épouse était enceinte de quelques mois. Dans les blagues, je disais à la dame que si elle accouchait d’une fille, elle sera ma femme plus tard. Ça la faisait rire et elle disait avec certitude qu’elle n’accoucherait pas d’une fille mais d’un garçon. Pour elle, les indices ne sont pas trompeurs. Elle dit recevoir quelque fois de violent coup de pied du bébé dans le ventre. A coup sûr, ça ne peut être qu’un garçon elle disait: « Sodja »
Qu’est ce qui a pu bien se passer ce samedi matin dans la chambre du jeune couple? Le mari a foutu les bagages de madame dehors. Il pleuvait. Deux grosses valises étaient balancées dans la pluie. Ensuite, nous avons vu le soldat tiré sa femme par les cheveux avec des coups de pied jusqu’à dans leur véranda. Nous avons accouru pour secourir la dame. Mais hélas que peut-on faire devant celui qui a le vaccin de TAB dans le sang ? Il finit par la projeter dans la cours sur ces valises avec une violence démesurée pour une femme enceinte. Le sauvage pris son raglan et disparu en bloquant la porte de leur chambre, emportant toutes les clés. Ce locataire était moins bavard, mais il a lancé une phrase à sa femme en traversant le grand portail en ces termes : « on peut tolérer une fille de se prostituer mais pas de voler »
Nous avons rapidement saisi les bagages de la pauvre que nous avons mis à l’abri dans notre salon. Ma belle-sœur l’a fait asseoir. Elle était inconsolable. Dans ses sanglots, elle s’efforçait de placer quelques phrases. Depuis une semaine, mon mari m’accuse d’avoir volé son argent. Je ne connais même pas le montant. Il dit avoir laissé Cent mille franc dans le tiroir gauche de notre lit depuis plus d’un mois. A présent il ne retrouve plus rien. Nous ne sommes que deux dans cette chambre. Donc, aucun doute, ça ne peut être que moi. J’ai beau tout lui expliquer. Il n’a voulu rien comprendre.
Elle a dormi dans notre salon pendant trois jours. Puis sa maman et son Oncle sont venus de Kétao pour demander pardon au mari afin qu’il accepte de nouveau leur fille sous son toit. Mais c’est peine perdue. Le mari tient sa position et la renchérie avec la confirmation des consultations qu’il a fait auprès de deux charlatans. Devant le refus catégorique du mari, elle a suivi ses parents avec tous ses bagages. Je l’ai aidé à sortir la grande valise. J’avais la gorge nouée et les yeux plein de larmes. J’étais vraiment triste. Mais qu’est-ce que je pouvais faire. Pour moi, ce couple ne devait pas se disloquer à cause de Cent mille francs. Je trouvais cet argument trop simpliste. Surtout qu’elle a juré en toute âme et conscience de ne savoir rien de cet argent. Mon cœur me disait qu’elle était innocente, mais qu’elle autre explication pouvait l’innocenter ?
La tension est devenue tendue entre le militaire et nous, il nous accuse de complicité de vol. Notre seul crime le fait d’avoir hébergé la pauvre fille enceinte.
Trois mois plus tard, un jeune homme est venu en vacance auprès de son oncle : le soldat qui a répudié sa femme. Le jeune s’est aussi très vite habitué à moi dans la maison. En faisant l’entretien général de leur chambre, il m’invite de l’aider à sortir un gros carton qu’il a réussi à tirer difficilement jusqu’au salon. Une fois au dehors, il a sorti un à un du carton les objets qu’il déposait sur le sol. Des vieux pairs de rangers, une grosse souris s’est propulsée, puis une deuxième. Pris de peur, les chaussures tombent de ses mains et qu’est ce que nous voyons ? Des morceaux de billets violets en poudre sur lesquelles les petites souris sans poils dormaient yeux fermées. Les Cent mille francs du militaire on servit de matelas pour la venue des nouveaux nés de la dame souris. J’ai appelé tous les voisins pour leur montrer les restes des billets de dix milles francs prétendus volés. C’était la consternation totale. Ma belle-sœur s’est mise à genoux au beau milieu de la cour, elle a soulevé ses mains vers le ciel puis elle a lancé ces phrases : Dieu des innocents, merci d’avoir entendu ma prière. Jamais tu ne m’as déçu. En toute circonstance, je te ferai confiance. Tu combattras toujours pour moi. Elle a pleuré et pleuré encore… je crois que c’est de l’émotion.
A l’heure où j’écris ce récit, qu’est devenue cette femme humiliée ? Et son bébé, est-elle venue au monde ? A-t-elle accouché d’une fille ou d’un sodja ?
C’était l’œil du passager par ATCHAM Aposto