Les observateurs de la vie publique au Togo ont pu s’apercevoir de la publication du rapport d’activités de l’Inspection Générale d’État (IGE) couvrant la période 2020 -2023. Un travail censé être à la discrétion exclusive du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé, actuel Président du conseil (PC), mais qui se retrouve par enchantement sur les sites Internet officiel et les réseaux sociaux. Une première dans l’histoire du Togo, mais le pouvoir n’a pas cherché à découvrir l’origine de la fuite et faire subir aux auteurs la répression habituelle. Cependant, la revue du rapport appelle l’intelligence à des observations alarmantes quant à son contenu, tant sur la forme que sur le fond.
En effet, il est constant de noter que les Normes Internationales d’Audit (International Standard for Auditing – ISA) constituent la référence principale établie pour régir les audits d’états financiers, de sorte que cette référence est retenue par l’ordre des experts comptables dans la plupart des pays dont le Togo. Mais il est loisible de constater que le rapport de l’IGE manque de préciser le référentiel qui a servi de cadre à leurs missions d’inspection des entités qui en ont fait l’objet.
Dans le même esprit, même si l’IGE a relevé de nombreuses insuffisances dans ledit rapport, il nous semble qu’elle ne maitrise pas dans leur essence les principes fondamentaux d’un audit indépendant, principalement en ses points Communication claire, complète et effective – Jugement – Apporter de la valeur. Ces manquements graves peuvent sous entendre que soit ces rapports sont tronqués de manière à ne pas étaler l’exactitude des insuffisances et leurs implications financières sur les performances des entités auditées, soit il y a un réel problème de compétence en matière d’inspection (ou d’audit en général). Est-ce pour justifier les nombreuses carences ou la tromperie qu’on lira ces passages qui ressemblent à la victimisation pour des inspecteurs qui se prennent pour des “dieux” ? Par exemple, les observations sur l’équipe dès la page 6 : “ L’effectif de l’Inspection Générale d’Etat a fluctué de 2020 à 2022. Ceci est dû au départ de deux (2) inspecteurs d’Etat respectivement en 2021 et 2022. Il était de quinze (16) en 2020 et s’est établi à quatorze (14) agents en 2022”. Ou encore sur les pages suivantes : “Les moyens financiers et logistiques mis à la disposition de l’Inspection Générale d’Etat entre 2020 et 2022 ne lui ont pas permis d’atteindre ses objectifs. Le budget de l’IGE (hors charges de personnel) est en constante diminution au cours de ces trois dernières années… Ainsi, le budget a diminué globalement de 8,03% sur la période.”
Les rapporteurs ont évoqué deux départs en 2020 et 2021. Mais ils ont oublié de mentionner l’autre faiblesse de l’institution qui est la vieillesse de l’Inspecteur général d’Etat. Le premier dirigeant qui, visiblement, a perdu le contrôle de la boîte depuis des années, la délaissant aux mains des collaborateurs qui en font ce qu’ils veulent. La suite de l’article sur le cas de l’INAM et un prochain dossier qui sera consacré à la Direction des affaires maritimes (DAM) vous permettront de comprendre les ménages qui se font à l’IGE.
Prenons le cas de l’Institut National d’Assurance Maladie (INAM). Le rapport de l’IGE montre des redondances fâcheuses dans les recommandations, ce qui ne permet pas de situer les responsabilités des sous-entités à l’origine des insuffisances relevées. Nous relevons ainsi dix-neuf rubriques (truffées de fautes, que l’IGE a manqué de numéroter) dans les recommandations, qui sont :
- Au Directeur Général et au Conseil d’Administration (CA) et au Conseil de Surveillance (CS) ;
- Au Directeur Général et au Conseil d’Administration ;
- Au Directeur Général et au Conseil d’Administration (CA) et au Conseil de Surveillance (CS) ;
- Au Directeur Général et au responsable du département recouvrement et affiliation;
- Au Directeur Général ;
- Au responsable du budget, au responsable de la comptabilité et au Directeur Général
- Au responsable du patrimoine et au responsable des marchés publics ;
- Au responsable des ressources humaine et au responsable administratif et financier et au conseil d’administration ;
- Au responsable de la finance et de la comptabilité ;
- Au responsable des marchés publics ;
- Au comité de direction et au responsable des ressources humaines ;
- Au Directeur Général et au responsable des ressources humaines ;
- Responsable de la paie et directeur des ressources humaines et Directeur Général ;
- Au responsable du département de l’audit et de l’inspection, à la Direction Générale et au Conseil d’Administration ;
- Au Directeur Général et au Conseil d’Administration ;
- Au ministre de la Santé, au Conseil d’Administration, au Conseil de Surveillance et à la Direction Générale ;
- Au Conseil d’Administration et à la Direction Générale ;
- A la Directrice Générale, au responsable du département des Prestations, au responsable des Ressources humaines (RH) ;
- Au responsable du département de marketing et de la communication, au responsable du département des prestations et au responsable du département de la qualité des soins.
Ces différentes rubriques montrent à bien des égards l’amateurisme qui a présidé à ce travail de l’inspection de l’INAM.
En effet, on retrouve plusieurs fois les recommandations :
- Directeur Général et au Conseil d’Administration (CA) et au Conseil de Surveillance (CS) : rubriques 1, 3 et 16 ;
- Au Conseil d’Administration et à la Direction Générale, aux rubriques 2, 15 et 17 ;
Tantôt c’est le responsable des ressources humaines, tantôt le Directeur des ressources humaines. Bref, il est aisé de noter que les inspecteurs n’ont pas pris la peine de consulter l’organigramme de l’INAM pour s’approprier la dénomination des postes des chefs de département et chefs de service, tout le monde devenant responsable.
Sur le fond, l’IGE a manqué de préciser la méthodologie d’audit : soit un audit basé sur les risques (nouvelle approche), soit un audit basé sur les cycles (ancienne approche). Sur l’approche par cycle, l’IGE pourrait ainsi regrouper les insuffisances par cycles ou par fonctions :
- Recouvrement et affiliation ;
- Qualité des soins ;
- Achats et approvisionnement ;
- Comptabilité, Finance et Trésorerie
Plus grave encore, on ne sait quelle recommandation est faite par rapport à quelle insuffisance. Ainsi, le rapport passe sous silence les mauvaises pratiques liées aux marchés publics, comme il est apparu dans la presse par le passé, en l’occurrence les contrats d’acquisition de plusieurs logiciels à coup de milliards.
Tout compte fait, on retrouve partout dans les recommandations les vocables “Directeur Générale” et “Direction Générale”, ce qui peut faire croire que la personne qui occupait ce poste est seule responsable de toutes les dérives constatées dans la gestion de l’institution.
En termes de chiffres, l’Inspection générale d’Etat est restée muette comme une carpe sur les détournements massifs de milliards de FCFA, en dédouanant le premier responsable pour s’attarder sur les cas mineurs qui se chiffrent à peine à 100 millions de FCFA.
Ce travail d’audit qui devrait permettre aux Togolais de savoir comment l’épicerie du village a été gérée depuis sa création s’est limité à la gestion de 2020-2023. Ce qui passe sous silence une grande partie des crimes économiques depuis la création de l’INAM. C’est vraisemblablement une manière délibérée de camouflage de la vérité pour cautionner les détournements massifs, notamment les attributions des marchés gré à gré, les commandes de logiciels sans tête ni queue, les achats de véhicules et billets d’avion…. A moins qu’un rapport spécial et confidentiel ait été élaboré et soumis à l’attention de Faure Gnassingbé.
B. Douligna
« TAMPA EXPRESS » numéro 0079 du 13 juin 2025