Raphaël Issa Takassi
Professeur Titulaire des Universités, ancien Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université du Bénin, Lomé
C’est en classe de terminale que j’ai entendu le nom de ce Professeur pour la première fois. C’était le vendredi 13 décembre 1996, pendant que je suivais le journal de 20 heures, dont justement l’un des titres portait sur la soutenance de sa thèse d’Etat à l’agora de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université du Bénin. Mon niveau ne me permettait pas encore de cerner la portée d’un tel événement : une soutenance de thèse ; mais je pris soin de le consigner dans mon calepin de jeune chercheur curieux. Ce n’est que plus tard en année de maîtrise, au cours de l’année 2000-2001, lors du séminaire méthodologique sur la rédaction d’un mémoire, que je sus ce qu’était une thèse d’Etat.
Pour revenir au personnage qui fait l’objet des présents mélanges, ou de cette ”bande magnétique”, je dirai que notre véritable rencontre, hormis les innombrables fois où je le voyais sur le campus, remonte au mois d’août 2002, au moment où je mettais la dernière main à mon mémoire de maîtrise dans le bureau de mon directeur de recherche, Professeur Goeh-Akué, bureau situé en face du sien, lorsqu’il assurait les fonctions de Directeur pédagogique des formations doctorales à la FLESH. L’”entremetteur” fut évidemment mon patron de recherche qui apostropha son Doyen en bredouillant quelques mots en N’cam, quand celui-ci ouvrit sa porte et s’avança vers lui, pour lui présenter ses civilités. Après échange des amabilités, mon directeur de mémoire me présenta au Professeur Takassi en tant que son candidat au DEA. Il s’enquit du sujet de mon mémoire et me posa quelques questions à propos de ma problématique de recherche. Avant de prendre congé de son collègue, il m’encouragea à achever mon document dans les meilleurs délais afin de pouvoir postuler au DEA. Ce fut l’un des jours mémorables dans ma vie estudiantine, parce que je venais d’avoir l’occasion d’échanger avec un ancien Doyen de faculté et Chef de département.
Après mon admission au DEA, au cours de l’année académique 2002-2003, j’étais allé à son bureau pour m’acquitter des frais d’inscription pédagogique. Ce jour-là, j’eus droit à un accueil aimable et notre conversation se fit à bâtons rompus. C’est à cette occasion que je sus qu’il était le cadet de mon père au collège moderne de Sokodé dans les années 1950. Mais ce qui m’a particulièrement impressionné, c’est la question que me posa le Professeur, et relative à une expression que j’avais utilisée dans les dédicaces de mon mémoire : « les co-niais ». Il a voulu savoir le contenu que je mettais dans ce terme. Je lui répondis qu’il s’agissait d’un code secret entre mes deux amis – Samani Kondi et Makouya Gbandi – et moi, en guise de souvenirs de moments de stimulation dans nos études. Cette question en dit long sur l’humilité du Doyen Takassi; sinon comment expliquer que lui, linguiste et Professeur titulaire de surcroît, ait cherché à comprendre le sens d’une expression apparemment anodine qu’un simple étudiant en maîtrise a employée dans les dédicaces de son mémoire. D’autres personnes de même rang ne se seraient pas donné de la peine pour en savoir davantage, encore que ce détail ne concernait pas l’aspect académique du travail. C’était en clair une marque d’intérêt pour la vie d’un anonyme que j’étais à l’époque.
Un autre jour, au sortir d’un séminaire de méthodologie animé par le Professeur Goeh-Akué, nous, ses disciples, étions en train de deviser, devant l’immeuble du nouveau décanat de la FLESH, quand le Professeur Takassi passait près de nous. Quand il m’aperçut dans le groupe, il s’approcha, serra la main de nous tous et participa à notre discussion. Notre échange portait sur les conditions des recherches académiques en Afrique. Moi, j’en profitai pour faire part à mes cadets de maîtrise de la modeste expérience que je vécus à Paris, lors de mon séjour de recherche au laboratoire des Sociétés en développement dans le temps et dans l’espace (SEDET), du 19 novembre au 23 décembre 2002. Le Doyen Takassi porta témoignage sur la facilité de la recherche en France. Il prit congé de nous, non sans nous avoir conviés à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Lorsqu’il s’en alla vers l’escalier du décanat, mes cadets m’interrogèrent sur son identité. Quand je leur répondis qu’il s’agissait du Professeur Issa Takassi, Doyen honoraire de la FLESH, ils n’en crurent pas leurs oreilles.
Les marques d’humilité, de modestie, d’affabilité du Professeur Takassi, pour qui a passé son temps à l’observer, sont légion. Je voudrais m’en tenir à un dernier fait pour achever mon témoignage. En effet, en 2008, dans le cadre de l’élaboration de ma thèse de doctorat, je m’étais rendu à la Bibliothèque centrale de l’Université de Lomé pour consulter des mémoires soutenus en droit et en économie, afin d’en tirer matière à certains aspects de mon sujet qui revêtait un caractère pluridisciplinaire. A l’issue du travail de documentation, je me dirigeai vers la sortie de l’université quand je vis le Professeur Takassi à bord de son véhicule, allant dans la même direction. Après avoir hésité un moment, je lui agitai la main, en guise de salutation. Bien qu’il m’ait dépassé, il fit une marche arrière et m’invita à monter à bord. Avec un tel honneur, sans commune mesure avec mon statut de doctorant, d’assistant-délégué à l’Université de Kara à l’époque où je ne pouvais prétendre aux mêmes égards de la part de mes supérieurs hiérarchiques qui n’avaient pourtant pas la carrure de celui qui m’honorait, je ne me fis pas prier pour monter dans le véhicule du Doyen Takassi, rien que pour parcourir les 400 mètres qui nous séparaient de la grande entrée de l’Université de Lomé, du côté de la Résidence du Bénin. Une fois dans le véhicule, il me confia penser qu’eux les anciens ont l’obligation de soutenir la génération montante. Très ému par cette grande estime, je lui promis de toujours me souvenir de cette marque de soutien à ma modeste personne et de m’en ragaillardir à bon escient.
En définitive, l’objectif du présent témoignage est de mettre en relief le sens d’humilité qui caractérisait le Professeur Issa Takassi. Certes, ce n’est pas le seul mérite du personnage, mais c’est sur celui-là que moi qui n’ai jamais suivi un cours ni un séminaire du Doyen Takassi pour apprécier ses qualités de linguiste, de chercheur ou de pédagogue, j’ai décidé d’insister afin de faire d’une pierre deux coups : rendre hommage à l’Aîné regretté d’une part, convier les jeunes universitaires en pleine ascension dans la carrière à ne pas s’enfermer dans leur tour d’ivoire, d’autre part. C’est, à l’évidence, un legs annexe, mais non négligeable, à l’important héritage qu’il a laissé en Linguistique, et que nous devons perpétuer. Puisse cette humilité intrinsèque au Doyen Takassi devenir la chose la mieux partagée dans les universités togolaises, voire africaines où les grades écrasent et rabaissent à loisir.
Témoignage de M. Nakpane LABANTE
Professeur Titulaire des Universités du CAMES
Enseignant-chercheur au Département d’Histoire ; Université de Kara
« TAMPA EXPRESS » numéro 0068 du 30 octobre 2024
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