Les sorties médiatiques d’Umaro Sissoco Embaló, en sa qualité de leader, le temps d’un mandat de Président de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), alimentent une escalade verbale dans les rapports déjà conflictuels entre les États putschistes ou supposés et les autres membres de la Cedeao.
Un Président de Conférence : obligations d’écoute, de neutralité et de réserve
Umaro Sissoco Embaló s’était par le passé fendu à plusieurs reprises, de façon épidermique et parfois frontale, en déclarations qui indexent vertement certains Présidents de la République sur les troisièmes mandats et, plus incompréhensible, sur leur âge avancé à l’état-civil objet d’ironie de sa part ; il s’était ainsi créé d’inutiles inimitiés pour un jeune Chef d’État.
De temps en temps, ses anciennes déclarations enflammées dans l’espace public le rattrapent. Umaro Sissoco Embaló laisse par moments l’impression d’un politique inexpérimenté, en dépit de son parcours inclusif de fonctions de premier ministre d’un pays plus souvent instable qu’en paix sociale. Il se prend le plus ordinairement à s’exprimer avec une véhémence et une suffisance de militaire, discutables au demeurant, sur des thématiques qui débordent du cadre national bissau-guinéen. Sa spontanéité et son énergie juvénile devancent ses obligations de réserve. Il lui faudrait maitriser son envie irrépressible de livrer à la presse ou à ses représentants ce qui relève de la confidentialité des relations, entretiens et débats avec ses pairs, de la gestion ou de la souveraineté des autres ou qui nécessite discrétion ou diplomatie. Il lui faut en résumé revoir de fond en comble son urbanité et sa com.
Le Président Sissoco Embaló, un ancien militaire, devrait en effet reconsidérer son style fait de déclarations trop fréquentes et trop crues à la presse, avec force détails analytiques sur les points de vue de ses pairs ; cette façon de procéder est faiblement compatible avec l’exercice de la fonction de Président de la Conférence de Chefs d’État (CDCE). À titre d’exemple, avait-il besoin de recevoir les médias France-24 et RFI en prélude à la Session extraordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Cedeao devant se tenir le lendemain à New-York en marge de l’assemblée générale des Nations-Unies ?
Un tel exercice n’était nullement indiqué, avant ladite Session, parce qu’il mettait le Président Sissoko Embaló en situation d’assouvir de menues curiosités de réseaux sociaux malveillants et rien d’autre. En outre, une telle interview, de surcroît exclusive et réservée à deux médias français, n’augurait rien d’incontournable pour les débats à venir entre Chefs d’État : elle avait tout pour alimenter de nouvelles et inutiles polémiques. L’après Session justifiait peut-être une conférence de presse de sa part, si ceci ne fait pas ombrage au Président de la Commission de la Cedeao ou n’empiète pas sur ses prérogatives.
Des pratiques en marge des dispositions du Traité et à risques avérés de conflits de compétence avec le Président de la Commission de la Cedeao
Cette manière du Président Embaló d’occuper le devant de l’actualité n’est certainement pas pertinente, ni efficiente, ni conforme aux dispositions du Traité de la Cedeao. Cette présence trop visible, trop fonctionnelle et a fortiori trop engagée dans l’action et la gestion quotidiennes de l’organisation sous-régionale, fait ombrage et empiète assurément sur les fonctions du Président de la Commission. En substance, l’action et la gestion quotidienne sont du ressort du Président de la Commission, conformément aux dispositions du Traité de la Cedeao. Ainsi, c’est le Président de la Commission qui représente et parle au nom de l’organisation sous-régionale devant les tiers.
En outre, que le Président de la CDCE de la Cedeao soit en cette qualité à l’investiture du tout nouvel élu Chef de l’État du Kenya questionne. En effet, sauf mandat expressément obtenu de la Conférence des Chefs d’État de l’organisation, il ne peut représenter les États ni parler en leur nom, ni individuellement, ni collégialement là où c’est le rôle et la place du Président de la Commission. À moins qu’il ne soit écrit dans le Traité de la Cedeao et dans ses textes subséquents que le Président de la CDCE représente l’organisation au nom de ses pairs : ce qui serait affabulatoire. Fort opportunément, les textes de la Cedeao mentionnent seulement que le Président de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement préside les sessions de l’organe.
Dans l’exercice de ses fonctions de Président de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Cedeao, Umaru Sissoco Embaló déborde de ce qui est attendu de lui : il finira par installer et élargir, si ce n’est déjà le cas, des conflits de compétence entre le Président de la Commission de la Cedeao et lui, sans compter les inimitiés bilatérales dans les rangs de ses pairs.
Une Cedeao qui ne fonctionnait déjà pas convenablement
Une jurisprudence de mauvais contenu, créée par une gouvernance irrespectueuse des textes en vigueur, suffisamment clairs sur les attributions du Président de la Conférence des Chefs d’État et celles du Président de la Commission de la Cedeao, viendrait ajouter du bordélique à la cacophonie ambiante qui n’en finit pas de desservir l’image, combien écornée, et la pertinence de l’organisation sousrégionale dans ses œuvres politiques.
Il y a une urgence à rappeler au Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État le contenu combien sobre, neutre, saisonnier et notoirement administratif et non exécutif de sa fonction par opposition à celle de représentant et gestionnaire au quotidien du Président de la Commission. Celui-ci, “élu” par de grands électeurs que sont à l’occasion les Chefs d’État membre de la Cedeao, est le patron de la direction exécutive de l’organisation sous-régionale et, à ce titre, assume une fonction exécutive clairement différente d’une fonction d’administration du Président.
Au demeurant, Umaro Sissoco Embaló devrait consacrer moins de temps aux affaires de la Cedeao et davantage à son pays, une Guinée-Bissau aux potentiels macroéconomiques non négligeables, négligé et en manque de dirigeants de vertueux calibre. En effet, son pays est enlisé dans des crises politiques profondes et sournoises génératrices d’un quasi blocage des institutions et de l’économie nationale ces dernières années. La Guinée-Bissau est, du reste avec le Togo, un pays sonné par des problèmes de dette souveraine et une république des moins performantes de ces dernières années à divers points de vue.
Sortir au plus vite d’un serpent de mer sur le modèle Patrice Talon
Ce qui précède suggère que le jeune Président Sissoco Embaló sorte le plus vite possible de ce serpent de mer que sont les relations intra et inter États membres de la Cedeao en usant d’un style moins émotif, moins irrévérencieux et moins va-t-enguerre ; il serait gagnant et son pays avec dans une dialectique apathique à la gouvernance régionale, pro agenda national, combien discrète et efficace, d’un Patrice Talon du Bénin.
De plus en plus flamboyant de réussites et convainquant, le Chef de l’État béninois inonde en effet son agenda politique de préoccupations nationales, apparemment lassé des bisbilles et micmacs en récolte toute l’année au sein de l’insincère Cedeao et de son insipide doublon politique, de facto pour francophone, l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). Umaro Sissoco Embaló pourrait, pourquoi pas en prélude à un regain de relations bilatérales souveraines, s’inviter un weekend chez Patrice Talon sans la presse pour s’imprégner des b.a.ba et de l’habitus de son agenda gagnant malgré les turpitudes de ses voisins et partenaires : un Goliath, accro aux fermetures illégales et politiciennes de frontières, et un David, autocrate jamais légitimé par un suffrage apaisé, et d’autres partenaires de cour de récréation plus ou moins passe-temps au sein de la Cedeao.
Le Président Umaro Sissoco Embaló devrait définitivement cesser de donner l’impression de s’ennuyer à Bissau où pourtant il y a du grain à moudre pour régler des problèmes frontaliers et de fermetures récurrentes de frontières terrestres d’une part et d’autre part, pour cimenter l’unité nationale en déconfiture et réveiller le progrès social en berne depuis trop longtemps.
Vilévo DEVO