À l’approche des festivités D’pontre, tout va bon train : l’organisation, les plaintes liées à la morosité économique, les débats autour du lieu de célébration du jubilé à choisir entre les deux préfectures concernées… Au-delà de toutes ces préoccupations, il subsiste malheureusement ces vieux démons, champions d’une navrante confiscation d’échéances festives dans les différentes localités du pays : ce sont les discours propagandistes intempestifs d’un parti unique aux oreilles des paisibles populations venues se ressourcer dans leurs familles. Si rien n’est fait, ce qui semble anodin aura fini de détruire ce qui reste de nos fêtes identitaires.
Dans un contexte socio-politique marqué par le triomphe de la pensée unique et une politisation à outrance de toutes les facettes de la vie quotidienne dans la cité, il est de plus en plus difficile pour le citoyen de faire la part des choses, entre les droits fondamentaux et les accessoires que proposent les folkloriques discours politiques. L’une des méthodes employées par les régimes politiques longévistes pour dominer le peuple sur le long terme consiste à créer des esprits faibles qu’on peut ensuite manipuler à volonté. On a recours notamment à un processus de clonage des mentalités : on vous persuade que vous ne pouvez pas vivre sans le régime en place. Mais à ce moment précis, on ne vous dit pas ce que ce régime vous exige en retour. D’où la nécessité de patienter, de rester assidu aux différents cultes que vous devrez vouer à des personnalités. Ensuite vous passerez toute votre vie à apprendre des chapitres de lignes de conduite conformes à un régime qui a droit de vie et de mort sur vous. Il faut avoir la chance de visiter d’autres contrées hors de ce pays, pour comprendre à quel point on était enfermé dans des bulles à la limite inconcevables. Pourtant, les manipulateurs tirent leur victoire injuste de l’ignorance collective des pauvres populations qu’ils maintiennent dans l’acceptation de l’indigérable.
Dans le cas spécifique de nos fêtes identitaires, puisque c’est le sujet, voici quelques scènes inconcevables, voire navrantes que le RPT- UNIR a montées et consolidées depuis des décennies : la désacralisation de l’autorité locale traditionnelle, la prise en otage des symboles identitaires à des fins politistes, la corruption de nos différentes divinités locales… Cependant, le plus brillant artiste au monde peut tout peindre en couleur bleue, mais pas le feu, grand symbole en pays Bassar. En illustration ce monument construit et offert gracieusement par le talentueux artisan, Commissaire de police Tchédré à sa communauté.
Et comme si cela ne suffisait pas, c’est l’ambiance festive qui est encore polluée par des discours propagandistes en faveur d’une même couleur politique. Des accoutrements de fête à l’effigie d’un régime politique, des banderoles avec la mention ” sous le haut patronage de tel ou de telle ”, des cadres politiques qui s’invitent à une fête identitaire avec leur manteau de marchands politiques comme en situation de campagne électorale, qui s’imposent comme des orateurs principaux. Ils vous bourrent les oreilles de leurs discours propagandistes complètement obsolètes aux refrains d’antan. De la pure abomination. Un groupe ethnique organise sa fête identitaire pour célébrer ses divinités, et c’est sous le haut patronage de quelqu’un qui n’est en rien lié à ce groupe, qui ne comprend aucun mot dans la langue du milieu en question. Après c’est pour quitter son groupe ethnique et aller introniser le roi d’un autre groupe ethnique. Et on vous dira que c’est comme ça que ça fonctionne. Or ailleurs, le débat politique relève du divertissement, et les retrouvailles festives en famille comptent parmi les rares moments où l’individu s’épanouit loin de toute odeur politique. On ne peut pas étouffer éternellement comme ça des gens jusqu’à leur retranchement. Lorsque le débat politique unit, on peut le mener volontiers n’importe où ; mais lorsqu’il est source de crises de nerfs et de douloureux souvenirs, il est simplement souhaitable de ne pas le susciter à tout va. Et nos cadres politiques du grand Bassar exagèrent dans leur zèle de loyauté envers le statu quo, eux qui tirent leur fonds de commerce dans la mobilisation des populations. On parlait du bétail électoral, mais maintenant on vend aussi du bétail événementiel. Et pour un évènement qui en principe n’a rien à voir avec la politique, ils prennent en otage des pauvres gens affamés qui ont l’obligation de rester sur place pour écouter tous les discours fleuves jusqu’à la fin. L’essentiel c’est de pouvoir filmer des foules et envoyer l’élément au siège pour se faire de l’argent.
Pis encore, depuis les deux dernières éditions (2022 et 2023), un groupe WhatsApp a été créée pour collecter de l’argent en vue de l’organisation de cette fête des ignames. Cependant, jusqu’à l’heure où nous bouclons ce numéro, aucun compte n’est fait des millions collectés et déjà dépensés. Voilà encore une mauvaise pratique que les confiscateurs RPT-UNIR imposent aux donateurs, la difficile reddition des comptes.
Tout ceci ne semble plus déranger personne, puisque tout le monde est habitué à ces normes frelatées et fantoches qui profitent aux dominateurs. Mais voilà qu’on invite tous les fils et filles à rejoindre leurs localités respectives pour célébrer les moments de fête. On nous dit que ce sont des moments de retrouvailles, de convivialité, d’harmonie. Comment voulez-vous qu’il règne l’harmonie quand vous gâchez l’ambiance de fête à des gens qui pour une fois voudraient fermer les yeux sur les sinistres politiques pour rentrer au pays juste le temps de leur fête en famille ? Le lien identitaire, c’est ce qui reste quand on a tout perdu. Et pour quelqu’un qui a fui tout ce climat mental de pensée unique qui a cours dans votre pays pour mener une vie un peu plus tranquille ailleurs, le minimum de respect voudrait que vous puissiez l’épargner de vos pratiques qui l’ont autrefois renvoyé du pays, lui qui n’a jamais réussi à s’habituer à votre incongrue normalité. Voilà pourquoi vous ne devriez pas vous étonner si progressivement les esprits libérés vous abandonnent vos fêtes identitaires, après votre territoire, votre carte nationale d’identité, votre démocratie, vos discours politistes qui vont dans tous les sens…
Hervé Kissaou Makouya
« TAMPA EXPRESS » numéro 0062 du 07 août 2024