Depuis quelques jours, les Togolais sont majoritairement ahuris d’apprendre par les réseaux sociaux qu’un texte de révision constitutionnelle est à l’étude par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Il s’agirait carrément d’une réécriture de la constitution togolaise. Cependant, tout reste secret pour le moment et seuls les porteurs savent les raisons. Toutefois, au moins 3 Députés de la présente Assemblée nationale ont confirmé publiquement qu’il y a bel et bien une proposition de révision constitutionnelle à l’étude par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Mais, tout ce qui est fait sans le peuple en son nom, est contre le peuple.
En effet, on retrouve en circulation un document intitulé « proposition de loi de révision constitutionnelle; exposé de motifs » signé le 26 décembre 2023 par Kouméalo Anaté, pour le groupe de Députés. En introduction le document stipule que « les enjeux actuels et futurs de notre pays ont connu maintes mutations, mettant en lumière la nécessité d’adapter notre cadre constitutionnel aux réalités et aspirations actuelles de notre peuple ». Puis en conclusion, les auteurs affirment que « nous devons mentionner que la proposition tient naturellement compte de la trajectoire historique du pays et de l’ambition nourrie par le Togo pour se positionner comme un pôle de croissance, de paix, de dialogue et de stabilité en Afrique ».
Après près de 6 décennies de pouvoir absolu, dont près de 2 décennies de pouvoir de Faure Gnassingbé, tout ou presque reste à faire. Du moins c’est ce qui ressort aussi de cet exposé de motifs. Alors est-ce un changement de régime qui procréerait subitement des qualités de bâtisseur, de visionnaire, etc.? En d’autres termes, malgré le fait béni que le port de Lomé soit « le seul port en eau profonde de la sous-région », les infrastructures pour desservir l’Hinterland manquent cruellement. Notamment une route nationale (Lomé-Cinkassé) digne de ce nom se fait attendre, le de transport ferroviaire qui doit être un pilier logistique pour profiter de cet avantage naturel est dans le néant total.
Et ne parlons pas d’assainissement, de fourniture d’eau, d’électricité, de communication. La presque totalité des domaines de compétence de l’État est bradée. Pire, l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire s’éloigne de plus en plus, au grand dam du citoyen lambda. La corruption est plus qu’endémique et l’absence d’imputabilité totale. Les scandales s’enchainent sans qu’aucune autorité ne s’en inquiète véritablement et prenne les mesures requises.
Alors la question se pose naturellement. Quand on a tout le pouvoir sans pouvoir livrer quoi que ce soit de pérenne, est-ce un changement de république qui serait la panacée, qui transformerait l’incapacité en capacité ou l’insuffisance en suffisance? Un régime politique peut être dans le meilleur des cas un catalyseur et encore là. Bref, ce n’est pas le régime politique qui donne la vision, la volonté et l’engagement.
Ce qui rend encore plus dubitatif dans cette mésaventure, est que le Togo soit jusqu’ici le laboratoire françafricain en Afrique subsaharienne. Le premier coup d’État sanglant y fut perpétré en 1963. C’est aussi au Togo que la dynamique des transitions des années 1990 fut anéantie entre autres par la guerre togolo togolaise du mardi 3 décembre 1991, par l’attaque de la primature. Puis c’est encore le Togo, qui fut le premier à tordre le cou au protocole additionnel de la CEDEAO sur la bonne gouvernance, particulièrement la limitation des mandats. Ainsi, le Togo fut le siège des mercenaires constitutionnalistes comme les a surnommés l’ancien président malien Alpha Omar Konoré. Et cette fois encore, c’est apparemment par le Togo que le labo mijote une nouvelle trouvaille afin de s’éterniser au pouvoir, tout en donnant l’impression de l’avoir cédé.
Le régime politique et ses différentes formes
Un régime politique fait référence à la forme l’organisation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire; et leur exercice dans un pays. Il est question entre autres; du mode de désignation, les compétences et de la définition des rapports entre les différents pouvoirs. C’est en quelque sorte l’ensemble des éléments d’ordre idéologique, institutionnel et sociologique qui participent à établir le gouvernement d’un pays dans un horizon de temps. Bref, il s’agit de l’évaluation, du contrôle et de la limitation des gouvernants.
Le régime politique prend donc corps par une loi fondamentale, la constitution ou la coutume et est influencé par des facteurs culturels, idéologiques, historiques, idéologiques, socioculturels, religieux, etc., qui teintent plus ou moins la nature des régimes politiques possibles. Ce qui distingue par contre un régime démocratique d’un régime non démocratique est la pluralité de l’expression ou de l’offre politique, la liberté exercée par les citoyens dans leur choix, la séparation des trois principaux pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire).
Les formes de régime politique ont évolué à travers le temps. Si pour Platon le meilleur régime était celui incarné par les philosophes, pour Machiavel, soit on est en république ou en principauté. Quant à Montesquieu, auteur de « De l’esprit des lois » en 1748, il entrevoit la monarchie, le despotisme, et la république. Cette dernière peut prendre la forme d’une démocratie ou d’une aristocratie.
Les régimes politiques démocratiques se sont progressivement remodelés. C’est ainsi que depuis un temps, on en retrouve essentiellement trois catégories, notamment le régime présidentiel, parlementaire et celui mixte. Il y a aussi une combinaison de république à régime parlementaire liées à un régime présidentiel avec un chef d’État et de gouvernement élu ou nommé par la législature et pouvant ou non être soumis à la confiance parlementaire. Une telle combinaison est pratiquée en Suisse, en Afrique du Sud, au Suriname, au Botswana par exemple.
Il est parfois question d’une autre catégorie de régime qui est le régime de l’Assemblée, qui cependant ne fait pas l’unanimité comme les trois principaux. Et on la retrouve généralement durant certaines transitions. En fait, le régime de l’Assemblée confère à une assemblée unique la souveraineté avec tous les pouvoirs. À cet égard, le pouvoir législatif est tout puissant et ne peut habituellement pas être dissout. C’est d’ailleurs pourquoi ce régime d’assemblée est considéré comme une sorte de dérive du régime parlementaire.
Les avantages et limites des principaux régimes politiques
Le régime parlementaire : La principale caractéristique de ce régime réside dans la nécessité pour le Gouvernement de disposer de la confiance de la majorité parlementaire, d’où la nécessité d’une étroite collaboration entre les deux. La séparation des pouvoirs y est faible. Chacun des pouvoirs exécutif et législatif peut renverser l’autre sur une motion de censure, question de confiance, etc. Le Gouvernement dispose de l’initiative législative et participe à l’élaboration de la loi. Il est donc responsable devant l’Assemblée et doit remettre sa démission s’il ne dispose plus d’une majorité. Le plus souvent, les membres du gouvernement sont des parlementaires, donc élus du peuple, comme au Canada, par exemple. Ce qui veut dire que les ministres sont choisis parmi les élus. La France l’avait pratiqué jusqu’à la IVe république.
L’exécutif est dissocié entre le chef de l’État (monarque ou non) et le Gouvernement. Le Président ou monarque n’a normalement pas de rôle actif. Il a des pouvoirs nominaux et est politiquement irresponsable. Par contre le Chef de gouvernement a la conduite de la politique nationale sous le contrôle des assemblées et a donc le pouvoir effectif.
La faible séparation des pouvoirs peut amener une forte instabilité (exemple de l’Italie, de la Grèce dans les années 1990), en cas de faible majorité ou de représentation arc-en-ciel de diverses mouvances au parlement. Le mode de scrutin proportionnel, comme le système actuel au Togo, accroit ce risque en raison de la difficulté à dégager une majorité dans un système politique viable et transparent.
Le régime parlementaire, dont le Royaume-Uni est le prototype originel, est pratiqué actuellement sous forme de monarchie constitutionnelle aux Pays-Bas, Australie, Belgique, Danemark, Espagne, Canada, Japon, Norvège, Suède, Luxembourg, etc. On trouve le régime parlementaire sans monarque en Grèce, Italie, Israël, Pologne, Autriche, Éthiopie, Finlande, Irlande, Islande, Maurice, Singapour, etc. En Afrique c’est l’Éthiopie qui le pratique comme tel.
Le régime présidentiel : Le Président habituellement élu aux suffrages universels détient tout le pouvoir exécutif, comme aux USA. Et sauf dans des cas graves (Empeachement ou mise en accusation), le président n’est pas responsable devant les Assemblées et ne peut être destitué. Normalement, le Président ne peut donc pas dissoudre les Assemblées ou s’opposer au vote d’une loi. Il a seulement un véto suspensif. Mais, il peut y avoir quelques variantes.
La forte séparation des pouvoirs dans le régime présidentiel a aussi un hic. Elle pourrait amener à une paralysie, si par exemple le président se retrouve sans majorité dans les Assemblées. L’opposition majoritaire pourrait le défier constamment. Ainsi, le Président ne peut faire passer certains de ses programmes, initiatives et autres; comme on l’observe des fois aux USA. Par contre, le Président dispose dans ce régime du pouvoir de dissolution de l’Assemblée, de référendum et en cas de crise majeure de tous les pouvoirs pour un temps relatif. Toutefois, les assemblées parlementaires conservent des prérogatives importantes de législation et de contrôle. Elles disposent conséquemment de la pleine maîtrise du vote des lois et le monopole de l’initiative législative.
On retrouve le régime présidentiel, dans la grande majorité, dans des pays africains. C’est le cas dans la zone CEDEAO, où la Guinée-Bissau, Sénégal, Cape-Vert, Niger (avant l’arrivée des militaires) ont un régime semi-présidentiel. Hors de l’Afrique, on le retrouve aux USA, Brésil, Mexique, Paraguay, Pérou, Philippine, Uruguay, Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Corée du Sud, République dominicaine, Équateur, Guatemala, Turquie, etc.
Le régime semi-présidentiel : L’exécutif est donc à deux têtes (bicéphale) et les pouvoirs sont partagés entre le président et le gouvernement mené par un premier ministre influent. Le président détient des pouvoirs spécifiques.
Dans ce contexte, il y a un régime parlementaire avec une faible séparation des pouvoirs et un gouvernement provenant du parti ou d’une coalition majoritaire, de même qu’un chef d’État avec des pouvoirs importants. C’est ce régime qui semble prévaloir actuellement au Togo. La séparation de pouvoirs est faible et donc le risque de cohabitation est élevé quand l’exécutif ne provient pas d’une majorité législative. Alors, l’exécutif pourrait être en partie paralysé car, on a une trop grande proximité entre pouvoir exécutif et législatif. RPT/UNIR s’est toujours donné une grande majorité et donc seul maître à bord, et pourtant.
Ce régime semi-présidentiel est pratiqué en France, Russie, Portugal, Roumanie, Sénégal, Guinée-Bissau, Cap-Vert, Algérie, Botswana, Congo, RDC, Égypte, Mauritanie, Madagascar, Mozambique, Niger, Taiwan, etc.
Quels peuvent être les objectifs de la réécriture de la constitution en cours?
Est-ce la création du poste de Président du conseil pour Faure Gnassingbé afin de le soustraire ainsi de la critique d’une autre rallonge de mandat de président de la République? Mais en réalité, il resterait le seul maitre à bord, dans la mesure où le Président de la République serait dépouillé des pouvoirs essentiels au bénéfice du Président du conseil. La finalité sera la possibilité d’autres mandats pour Faure Gnassingbé. Car, peut-on raisonnablement imaginer un Faure Gnassingbé concéder les pouvoirs militaires, diplomatiques, financiers et autres à une autre tête de l’exécutif togolais et se contenter d’être un monarque sans pouvoirs?
Cette affaire de changement de la constitution togolaise risque de ressembler à l’histoire Vladimir Poutine qui a bondi en fin décembre 1999, à la suite de la démission de Boris Eltsine. Il a assuré la présidence par intérim de la Russie. Vladimir Vladimirovitch Poutine devient président de plein exercice le 7 mai 2000, après avoir remporté l’élection présidentielle anticipée. Après avoir quitté le Kremlin suite à ses deux mandats, huit années passées comme président de la Russie, Vladimir Poutine a été nommé, premier ministre du gouvernement de son successeur, Dmitri Medvedev, début mai 2008 et confirmé à une écrasante majorité par « La Douma ». Cette chambre basse du parlement qui renforce le pouvoir du premier ministre Poutine pour en faire le président du gouvernement. En 2012, Vladimir Poutine se représente à l’élection présidentielle et gagne pour s’éterniser jusqu’à ce jour. (Sic)
Il y a aussi un volet international dans ce cheminement, surtout que Faure Gnassingbé se crée une toison de faiseur de paix. Alors, compte tenu de la dynamique actuelle dans la sous-région et les peuples qui fustigent l’inertie de la CEDEAO face aux coups d’État constitutionnels, c’est peut-être l’occasion de donner l’os à un « nommé » parmi les « accompagnateurs nommés » en le désignant Président de la République et garder la viande, c’est-à-dire le nœud gordien. Et le tour est joué. Le véritable chef d’orchestre et détenteur des pouvoirs resterait le Président du conseil, Faure Gnassingbé. Ainsi, on arguerait, il n’est plus Président de la République. Il y a un ver dans le fruit de cette réécriture de la constitution. Un proverbe enseigne que « quand le voleur pactise avec le serviteur de la maison, il peut faire sortir un bœuf par la cheminée ».
Autrement, une autre option serait que ce micmac pourrait carrément être une soupape au cas où! C’est-à-dire par exemple instituer un système potentiellement instable, dans la mesure où par extraordinaire Faure Gnassingbé ne pourrait plus faire remettre le compteur à zéro, en raison de la dynamique intentionnelle. La sous-région semble donc être à un tournant.
Il importe de souligner que les modifications successives de constitution de 1992 adoptée par Référendum le 27 septembre 1992 promulguée le 14 octobre 1992, notamment celles révisées par la loi n°2002-029 du 31 décembre 2002, celle modifiée par la loi n°2007-008 du 7 février 2007, celle modifiée par la loi n° 2019 – 003 du 15 mai 2019 nous indique qu’elles n’ont été que pour qu’au service de la volonté du Chef de l’État ou du moins pour l’accommoder. Aucune de ces modifications n’a apporté un plus pour le peuple ou amélioré la transparence du processus. Encore que, ces révisions sont généralement entreprises par en période préélectorale.
Et cette fois encore, selon la version de la proposition de révision 2024 qui circule, mais qui est à prendre absolument au conditionnel, les arguments colportés ici et là ne tiennent pas du tout. Mais, rien n’étonne plus au Togo. Au demeurant, cela pourrait même être aussi une diversion ou un appât lancé par RPT/UNIR, tout en mijotant autre chose encore plus pernicieuse.
Autrement, pourquoi attendre l’expiration du mandat régulier de la législature pour entamer une révision constitutionnelle, encore que ce soit probablement majeur? Surtout, pourquoi le faire après à la fin du processus de dépôts des candidatures pour les législatives 2024? Probablement pour éviter que le rejet et le mécontentement du peuple n’obliquent l’opposition à une mutualisation des forces, qui pourrait menacer la majorité que RPT/UNIR compte se fabriquer comme à l’accoutumée.
Le malheur du peuple togolais est d’autant plus avéré et orphelin que l’opposition togolaise ne semble pas chercher à redresser sa courbe d’apprentissage, malgré l’état de situation pas du tout rose sur la terre de nos aïeux. Cette opposition crie à tue-tête à l’oppression, à la dictature et autres. En revanche, chaque parti ou entité de cette opposition se comporte face aux votes comme en démocratie parfaite. Chacun à son sort, semble être leur crédo. Alors qu’il faudrait constituer une alternative, provoquer l’alternance et construire la démocratie. Pour cela, il faudrait moindrement une mutualisation des forces, c’est-à-dire positionner dans chaque circonscription face à RPYT/UNIR le ou les candidats ayant les meilleures chances et éviter ainsi de dissiper le vote. Si c’est véritablement le bien du peuple qui les préoccupe en prime abord.
La liste des candidats aux législatives du 20 avril 2024 a été rendue publique le 22 mars 2024. Et n’est-ce pas aberrant de constater par exemple que pour 6 sièges à pourvoir dans la circonscription d’Agoe-Nyivé on ait 228 candidats de 19 entités différentes dont UNIR? Pour celle du Golfe, ce sont 448 candidats de 26 structures différentes pour 8 sièges. Par contre, pour la circonscription de Cinkassé, ce sont seulement 7 entités qui ont déposé des candidatures (28 candidats) et seulement 4 structures politiques (16 candidats) dans le Kpendjal; mais encore là sans synergie pour une victoire pour le peuple.
Au total, on dénombre dans le cadre de ces législatives 2 348 candidats pour 113 sièges (soit 4,8%) à combler, dont seulement 226 candidats d’UNIR (soit moins de 10%). Ce qui veut dire que les autres partis vont plus de 90% des candidatures aux législatives 2024, pour quels résultats en bout de piste? Surtout que les Députés sont élus au scrutin de liste bloquée à la représentation proportionnelle, le plus fort reste; on ne peut autant se tirer dans les pieds. En dispersant ainsi les voix, l’opposition se retrouvera surement avec des miettes et continuera de piailler.
Qu’est-ce qu’ils ne comprennent pas, et pourtant, c’est la nième fois. Le seul perdant sur toute la ligne reste le peuple. Alors, peuple du Togo, reprends-toi en charge pour construire un Togo nouveau.
Joseph Atounouvi
« TAMPA EXPRESS » numéro 0054 du 27 mars 2024 »