À l’origine de son sort d’exilé, Tabé, un ex – élève professeur rend compte de ses opinions non favorables au régime politique en place dans un pays imaginaire qu’il n’a pas nommé une seule fois à travers tout son courrier.
« Je me suis plaint à l’époque que l’école est politisée, médiocrisée, piétinée, malmenée par des inachevés parvenus qui résument une vie à des chants de louanges à un homme et son régime politique. J’ai dit que l’école est prise en otage par une politique de cochon qui ne se préoccupe pas de l’avenir de l’éducation, mais juste d’intérêts corporatistes malsains. Tes éléments qui cherchaient à me tuer m’ont demandé de quoi je me mêlais ». Alors entré en conflit ouvert avec les membres de son administration scolaire et ses professeurs formateurs, Tabé est accusé de manipulations politiques en connivence avec l’opposition. Mais lui ne l’entend pas de cette oreille. << Je leur réponds que c’était mon avenir. J’étais appelé à enseigner dans ce pays. Tu vois maintenant ? Enseigner quoi ? Dans quelles conditions ? À quel type de jeunes citoyens ? Pour quel résultat ? Dans un pays où la mentalité générale est devenue ce que tu ne veux pas entendre ni savoir ni regarder en face. Moi je vais enseigner quoi ? Pour changer quoi ? Les bénéficiaires de ton régime m’ont exhorté à ne rien considérer de tout ça, à ne considérer que le petit gagne-pain.>>. De concertation en concertation, le directeur de l’ENS a alerté les cadres supérieurs non seulement du régime, mais aussi de la localité de provenance du jeune contestataire qui relayait également des revendications estudiantines à allure syndicale. Même dans son propre village natal il n’était visiblement plus le bienvenu. « Très tôt j’ai été repéré dans cette école dite normale comme étant ce que les robots inconditionnels et sur-zélés de ton système ont appelé un agitateur. C’est le vieux A., paix à son âme qui employait ce terme argotique. Au commencement était ce cadre politique de ce régime. Il était admis à la retraite après une carrière d’enseignant de français, ensuite proviseur ». Menacé d’exclusion, le jeune homme est sommé de renoncer à ses prises de position ouvertes.
« Ils m’ont exigé d’écrire et signer un engagement pour dire que je ne vais plus jamais parler à la presse. Je suis resté impassible devant toutes ces âneries… ». Ils en étaient à couteau titré jusqu’au jour où une dispute entre l’élève professeur et l’un de ses formateurs fait déborder le vase. Le jeune homme s’est plaint au tribunal contre son professeur pour ” menace de mort”. Après une seconde convocation, le professeur ne s’est pas présenté au tribunal. Le procureur du tribunal interrompt le processus et demande à rencontrer le plaignant en vue d’un règlement à l’amiable. Un pari non gagné. « Le procureur sachant bien que je ferais partie très prochainement de ces multiples morts dans l’ombre me renvoie vers mes bourreaux, soi-disant pour faire la paix. Seul. Les mains vides. Sans aucun accompagnement ». L’élève abandonne l’école et entre au maquis, craignant pour sa vie. Dans la foulée, il a saisi par courrier le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique qui finit par le recevoir en audience à son cabinet. « À l’audience le ministre de l’enseignement supérieur disait que c’était une antipathie qui opposait mon directeur et moi, et que cela ne devrait pas pouvoir agir sur ma formation ». Le ministre après confrontation des faits et des personnes a ordonné le rétablissement de l’élève professeur dans ses droits. Consigne non suivie d’effet. Et pour cause, le directeur et son administration scolaire étaient protégés par de puissants ténors du régime qui sont tapis dans l’ombre. Quelques semaines après, la situation de Tabé s’est aggravée. Le ministre à son tour est devenu introuvable. « (…) il savait lui aussi que je ne pourrais plus revenir devant lui ou même le saisir par courrier tel que je l’avais fait au début, pour me plaindre du non effet de sa décision en ma faveur. Il était convaincu que je devais soit mourir, soit démissionner dans cette lutte en devenant serviable, ou soit regagner l’exil. Dans un cas comme dans un autre, je ne pourrais plus revenir devant lui pour troubler sa conscience. C’est comme ça que tout le monde est devenu hypocrite dans ce pays. C’est comme ça que la vaillante jeunesse a été muselée, saccagée, triturée, chosifiée, dénaturée. On te met dans le mouroir, on verrouille, on croise ensuite les bras, on laisse le temps au temps pour te voir anéanti ». Avant de se voir moralement anéanti, le jeune homme a saisi presque toutes les plateformes de défense des droits de l’homme. Il a cité notamment la CNDH qui était curieusement dirigée par quelqu’un qui faisait également office de son professeur formateur. Hélas aucune de ces multiples tentatives n’a suffi pour faire reculer d’un seul iota un terrible accomplissement de la loi du plus fort ni pour empêcher le sacrifice d’un digne fils de la République sur l’autel de la monstruosité humaine. Après dix ans dans l’inconnu et dans les bras de ses rêves inachevés et renversés, cet énième exilé d’un système incongru qui se veut éternel conclut son courrier à son concitoyen : « Monsieur le Président…, Je sais que pour rien au monde tu ne permettras plus que j’entre sur ton territoire… Je m’en fiche complètement de devoir attendre encore… ». Et de lâcher, sur un ton d’espoir improbable : « Tôt ou tard j’aurai la possibilité de revenir voir la tombe de mon Feu père et rebâtir les murs de la case qui m’a vu naître ».
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« TAMPA EXPRESS » numéro 0057 du 08 mai 2024