C’est une innovation dans le secteur éducatif au Togo, elle survient deux semaines après la reprise des classes avec la publication du découpage de l’année scolaire 2023-2024. Il s’agit bien des congés de détente, jugés nécessaires à la santé mentale et physique des enseignants et élèves. Cette mesure est-elle opportune hic et nunc ?
Dans une interview sur la radio Victoire FM, M. Eloi Komlan Nouwossan, doyen de l’Inspection générale de l’éducation, expliquait que ce n’était rien d’extraordinaire, et que sous d’autres cieux, cette pratique existe sous diverses appellations. D’après lui, les raisons qui ont motivé les autorités à prendre la mesure est de réduire la charge de travail qui fatigue les élèves et les enseignants. Au-delà de la détente, Il s’agit pour l’autorité en charge de l’éducation, de permettre également aux enseignants de mettre à profit cette période pour avancer dans les préparations de fiches, et pour les élèves qui ont des difficultés, de mettre ce temps à profit pour se mettre à niveau avec les devoirs de maison, avec un accompagnement particulier.
L’opportunité de cette décision se justifie donc par ses objectifs visés. En effet, les recherches réalisées dans le domaine des sciences de l’éducation démontrent le lien entre la fatigue cognitive et les heures accumulées de travail. Pour chaque heure que l’apprenant passe au travail, ses performances pourraient diminuer en raison de la fatigue cognitive. Les pauses répétées compensent les pertes de performance et les améliorent. Les interruptions sont donc non seulement souhaitables, mais nécessaires dans le processus d’apprentissage. C’est dans ce sens que les temps de détente de 3 à 5 minutes après 10 à 15 minutes d’activité d’apprentissage au primaire, et après 20 à 30 minutes au secondaire sont suggérés. C’est ainsi que des pauses hebdomadaires ou après quelques mois de cours sont également suggérés.
Si les objectifs et avantages ici énumérés sont favorables à la décision d’introduire l’innovation des deux congés de détente (de 9 et 10 jours dans le premier et le second trimestre), le jugement de l’opportunité d’une décision nécessite la prise en compte d’autres facteurs.
Les inconvénients d’une telle décision sont nombreux. Nous ne citerons ici que quelques-uns
Les cours ont démarré seulement le 25 septembre au lieu du 18 septembre comme mentionné et après deux mois de longues vacances pour les uns et plus de deux mois les autres. A peine un mois de cours, où les apprenants commencent par s’habituer au nouveau rythme scolaire (heure de coucher et de réveil, mise à côté des consoles de jeux, réappropriation des routines d’apprentissage, etc., sans aucune évaluation, et les voilà prêts à retourner aux détentes.
Le risque est encore grand pour les apprenants dans les classes d’examens où chaque enseignant, ou chaque établissement investi pour un bon taux de réussite en fin d’année, garant de l’image de l’établissement. On s’attend à une surcharge de devoirs. Les enseignants seront tentés de donner beaucoup de devoirs aux élèves pour les occuper pendant la période de détente, ce qui peut créer le stress chez les élèves.
L’école est un facteur de mobilité social, mais de plus en plus les éléments qui fondent cette mobilité sociale sont à la perte. Les inégalités sociales de plus en plus criardes, l’inégale répartition des ressources faisant une minorité de riches et une écrasante majorité de pauvres, entrainent également une inégalité d’accès aux activités de détente chez les enfants, et chez les jeunes. Certaines familles peuvent offrir des activités éducatives enrichissantes à leurs enfants pendant ces congés tandis que d’autres enfants n’auront pas ces opportunités. Les congés de détente constitueraient alors d’occasion de création d’inégalités entre les apprenants.
Pour une décision opportune, il faut une consultation pour obtenir des points de vue. Là nous ne sommes pas dans les secrets du Professeur Komla Dodzi Kokoroko et ses collaborateurs en charge de cette réforme, cependant le constat est que les parents d’élèves et les élèves, aussi partenaires de l’éducation ont été surpris par la décision. Ce qui suppose aucune phase de préparation, aucun plan d’action.
Quelles sont les priorités de l’heure ?
Des progrès significatifs sont faits en matière d’accès à l’éducation. Le Togo figurerait parmi les pays les plus scolarisés dans la sous-région, avec un taux d’achèvement de l’école primaire de soit 89% (2021). Le recrutement d’enseignants se fait aussi régulier. Cependant, les défis de notre système éducatif sont encore énormes et les acteurs du système éducatif le définissent dans leur plan. Il y a quelques jours seulement (mercredi 27 septembre dernier), à N’Gobo dans la Préfecture de Blitta au centre du Togo, un mur de salle de classe, s’effondrait sur des élèves et faisant deux morts avec leur instituteur blessé. Le lycée du 2 février en pleine rentrée des classes est fermé pour prévenir de la même situation. Plusieurs établissements scolaires souffrent de vétusté des infrastructures ou de matériaux de construction rudimentaire (terre battue, paille séchées). L’électricité, l’eau, l’accès à l’Internet, les laboratoires, les ressources pédagogiques, les ressources budgétaires allouées, la satisfaction des parties prenantes, sont des urgences et nécessités pour atteindre la qualité de notre système éducatif.
L’innovation dans le système éducatif par l’intégration des bonnes pratiques telles que « les congés détente » est essentielle. Les responsables ont cependant le devoir de préparer et d’expliquer toute innovation aux parties prenantes et surtout aux bénéficiaires, pour prévenir des inconvénients. Les défis restent énormes et nous ne devons pas les perdre de vue. C’est à tous de rester vigilants pour ne pas être distrait par quelque action de second plan.
Tampa Education