Devant les ruines hélas grandissantes de notre vivre ensemble au plan local, on se demande quel vrai sens est donné à la fameuse intégration africaine que nous vendent nos ministres philosophes et leurs patrons. Est-ce finalement un simple concept qui couvre d’un voile blanc une politique internationale de réseautage pas très orthodoxe ? Est-ce une méthode de diversion visant à distraire les esprits inquiets concentrés sur les vrais enjeux de la République ? Sinon est-ce que réellement on a besoin de politiser l’intégration africaine alors que les peuples au-delà des frontières n’ont aucun problème d’échange entre eux ? On se félicite d’une intégration africaine mais au même moment et au plan territorial, on attise les petits feux qui brûlent entre des groupes ethniques, on porte un regard laxiste sinon complice sur le fléau du régionalisme et du repli identitaire.
Le repli identitaire demeure l’un des fléaux majeurs qui ravagent nos sociétés en Afrique. À la base, on déplore une certaine culture de la méfiance à l’égard d’autrui qui va avec la tendance à l’individualisme. Dans nos pays, il y a des termes discriminatoires qui pullulent au quotidien et qui relèvent du régionalisme. Au sein de chaque région il y a des groupes ethniques qui également se font une guéguerre entre eux. Et même au sein de chaque groupe ethnique, on a le loisir de faire découvrir ou ressortir de quelconques ramifications qui différencieraient telle famille de telle autre en termes d’origines. En tant que citoyen on a toujours, soit des préférences, soit des réserves dans le traitement qu’on réserve aux autres sur des questions sociales. Cette culture du repli représente un terrible frein au développement de l’Afrique. La logique de l’union dans la multiplicité voudrait qu’on se demande l’un à l’autre : quelles sont nos différences positives ? Qu’est-ce que nous pouvons faire ensemble ?
Alors qu’on devrait travailler à minimiser progressivement ce phénomène social jusqu’à l’éradiquer de notre vie intercommunautaire, les politiciens l’instrumentalisent plutôt à des fins électoralistes. On en fait ouvertement un thème de campagne électorale ou de débats publics autour des questions de gouvernance et de géopolitique. Il y a dix ans, j’ai traité de régionaliste un intellectuel qui détenait une très infime partie du pouvoir public et qui n’a pas hésité à l’exercer contre moi, en représailles à cette vérité crue qu’il n’avait jamais entendue auparavant. Lui qui était un cadre influent et membre d’une association dite des ressortissants du Nord coiffée d’un joli sigle qui sonne encore dans ma mémoire. Lui qui pensait sincèrement que le marchandage d’un militantisme politico-ethnique est un fonds de commerce. Plus tard j’ai dû comprendre que ces mouvements citoyens à connotations ethnique, régionale, sectorielle et machin servent en réalité de socles sociaux qui garantissent et assurent la ruée du bétail électoral que l’on n’a plus qu’à récolter, en temps opportun. Voilà notamment pourquoi nos pouvoirs publics sont particulièrement nonchalants quand il s’agit d’œuvrer à l’édification de véritables Nations telles qu’ils ont le navrant loisir de baptiser nos pays. Une raison supplémentaire, c’est le fameux diviser pour mieux régner. Quand on espère créer une rude concurrence parmi des chanteurs de louanges à un régime politique, on a l’ingéniosité de diviser subtilement des groupes ethniques, comme un homme viril qui a horreur du calme dans sa maison et qui a la trouvaille de diviser ses multiples épouses. Il préfère semer ou amplifier la zizanie dans sa maisonnée pour occuper l’esprit des gens et les empêcher de faire attention à sa gestion très peu orthodoxe. Donc on aggrave exprès des sources de clivages sociaux qui devraient en temps normal passer inaperçus jusqu’à leur propre extinction de façon spontanée.
Il apparaît désormais clair : le mot d’ordre malicieux serait de nous enfermer chacun dans sa bulle : une bulle ethnocentrique, une bulle régionaliste, une bulle nationaliste, une bulle intellectualiste, ou plus loin dans celle du bloc idéologique mondial auquel on est inscrit à son insu. Les degrés d’enfermement sont échelonnés, selon le niveau personnel du citoyen. Et c’est là où je jette la pierre à un grand nombre de nos influenceurs, qui se disent panafricanistes, que moi j’appelle panafricabêtistes, et qui agitent la toile, fort de leur populisme éhonté, loin de toute modération. On nous suggère que tous nos problèmes nous viennent de tel bloc mondial ou de tel autre que l’on traite de tous les noms d’oiseaux : impérialiste, esclavagiste, xénophobe, raciste (encore que pour moi il n’existe qu’une race, la race humaine). Il n’y a en principe aucun mal à réveiller la conscience de chaque africain, à provoquer un sursaut chez chaque individu de sorte qu’il prenne conscience de son identité, qu’il l’assume, la défende en vue de son développement et celui de sa communauté. Le bémol, le voici : le repli identitaire, lorsqu’il est massivement proclamé, sonne avec le mépris de l’autre, la haine, la méfiance, les préjugés… Or aucun peuple ne s’est jamais développé sur la base de la haine des autres. La haine n’a pas un seul bord. Le mépris non plus, encore moins les préjugés. Il y a le mal partout, le bien aussi. C’est simplement ce que l’on sème au plan local dans les groupes ethniques que l’on récolte plus tard au niveau mondial marqué par une grave fragmentation en blocs dits idéologiques. Le phénomène de la traite négrière se serait inspiré entre autres des razzias, des guerres tribales entre africains. Les Africains se tuaient entre eux et se vendaient les uns aux autres comme esclaves avant l’arrivée de l’impérialiste qui n’a fait que profiter d’une occasion que nous-mêmes lui avons offerte. On ne peut donc pas prétendre unir l’Afrique des pays quand on divise allègrement la même Afrique des collectivités locales. Cette comédie doit cesser.
Hervé Kissaou MAKOUYA ; philosophe et écrivain.
« TAMPA EXPRESS » parution 0050 du 24 janvier 2024