Une nouvelle monnaie pour le Sahel à l’initiative de tenants du pouvoir d’État qui procrastinent sans fin une transition politique vers un renouveau démocratique et prennent en grippe l’Union monétaire ouest africaine (Umoa) !!!
Encore du récréatif, de la diversion populiste, de l’intellectuellement léger (1), des signes de mal gouvernance (2), des déficits d’assainissement du secteur réel et du secteur public (3) en Afrique de l’ouest au détriment d’un vivre ensemble monétaire et solidaire, pourtant en réussite vaille que vaille, dont des forces obscures tentent de sonner le glas dans un environnement où l’émotion est vraiment nègre et la raison hellène pour reprendre des mots du poète Senghor. Une monnaie de pistoleros pour le Far West sahélien, annonciatrice d’aventures regrettables : c’est l’onction de la déraison sur la gouvernance des affaires de l’État.
Intellectuellement léger et faiblement consensuel comme enjeu
Le Sahel putschiste et l’Afrique des gouvernances médiocres imaginent encore et toujours la monnaie sous le prisme de billets de banque imprimés à la demande et à l’effigie du Chef de l’État puis mis en circulation à la roulette russe, tous processus régaliens de fabrication et d’émission confondus ; la Banque Centrale, reformatée Institut d’émission à l’ancienne par dérision, est recluse dans un rôle d’usine à papier-monnaie à la merci du politique ou du monarque ; quant aux taux de change et taux d’intérêt, ces autres noms du prix de l’argent, nul ne soupçonne qu’ils sont adossés à un vaste, complexe et diversifié corpus dont la saine mise en oeuvre conditionne la crédibilité de la monnaie, la disponibilité du crédit et l’évolution conséquente du pouvoir d’achat ; enfin, les identités sonore et visuelle, ou appellation et représentation physique et fiduciaire de la monnaie, sont sacralisées et projetées ostentatoires car, dans un imaginaire englué d’illettrisme, elles symboliseraient toujours et encore l’indépendance et la souveraineté monétaires.
Cette perception lucide en apparence, mais totalement distordue et décalée de la réalité, alimente et entretient des illusions pittoresques qui laissent soupçonner que la monnaie souffre du syndrome d’Alice au pays des merveilles dans les cercles de non-initiés, d’influenceurs anti Franc CFA, de décideurs subsahariens extravagants et plus largement, en Afrique noire sevrée d’éducation et de formation idoines. Le syndrome d’Alice au pays des merveilles ou syndrome de Todd se caractérise par des troubles, de dissociation et de perception altérées et disproportionnées, dans des périodes de stress ou après des chocs traumatiques. Heureusement qu’il n’est ni dangereux ni pérenne : il est juste impressionnant, comme le sont les stress et chocs émotionnels hallucinants que vivent les panafricanistes et néo-panafricanistes et dont seraient coupables l’Union monétaire ouest africaine (Umoa) et son Franc de la Communauté Financière Africaine ou Franc CFA.
Dans ce sillage, l’Umoa, le Franc CFA et leur méjugé système monétaire, la présence française en Afrique sérieusement chahutée pour tout et pour rien, les sanctions de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) contre les auteurs de putsch militaire, mal vécues par les populations etc., ont bon dos comme chocs traumatiques et non moins qu’agents de stress ; ce sont les souffre-douleur patentés, les casus belli brandis urbi et orbi en trophées dans un Sahel en proie à d’indescriptibles transitions politiques et à un déni de bon sens préjudiciables au vivre ensemble comme si la déliquescence de la situation sécuritaire ne suffisait pas.
Aux toutes premières heures de dures sanctions plus illégales qu’opportunes de la Cedeao, aujourd’hui levées mais aux empreintes toxiques indélébiles, le Mali mis au banc de fauteurs de troubles institutionnels, pour cause de coup d’État militaire, fut secoué par une frénésie anti Franc CFA et vertement anti Umoa. Pris en otage par des réseaux sociaux foisonnant de spécialistes déconstructeurs de vivre ensemble et professionnels auto-proclamés de questions complexes de monnaie et de système monétaire, les nouvelles autorités militaro-civiles maliennes ont cru trouver dans le bashing de l’Umoa et de son franc CFA un filon pour donner une âme à leur leadership en construction et surtout, s’affranchir d’un sérieux carcan à leur yeux monétaire et néocolonial ; elles étaient par ailleurs ballotées et le sont toujours entre d’inextricables problèmes de gouvernance liés à la réalité de l’exercice du pouvoir d’État auquel elles n’ont été nullement préparées. Mal leur en a pris, puisque le monétaire de la problématique se révéla ardu et bien plus corrosif qu’une décision de routine de commandes de kalachs ou de nominations, en veux-tu voilà, de membres de Gouvernement. Fort heureusement.
Ironie du sort, pour qui observe impuissant tant et tant de maladresses juvéniles touchant le vivre ensemble monétaire et solidaire proposé par le Traité de l’Umoa, les putschs militaires et l’esprit putschiste ont entre temps gagné du terrain en touchant le Burkina et le Niger, manquant d’assommer la Guinée-Bissau. Le Mali putschiste, devenu anti Umoa et anti Franc CFA par dépit, n’est plus seul ; l’hydre de la déraison monétaire va se faire une nouvelle santé et renforcer les symptômes du syndrome d’Alice au pays des merveilles.
Démultiplier des fonds de stabilisation, fonds compétitifs, banques d’investissement et de développement ou approfondir le secteur financier institutionnel sont des sujets bien plus commodes et consensuels que lancer une nouvelle monnaie. De même, battre seul sa monnaie n’a rien de mystérieux ni de compliqué. Par contre, se mettre à plusieurs États souverains pour le faire relève d’un tout autre paradigme. C’est surprenant au demeurant que ceci n’ait pas été bien compris au plus haut niveau de l’État dans des pays qui assument depuis des décennies le vice-gouvernorat de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) s’agissant du Burkina et du Niger.
Lâcher la proie pour l’ombre : un signe de mal gouvernance
En ces temps de grosses insécurités et d’instabilités, abandonner une monnaie qui n’a de cesse de faire ses preuves en matière de préservation du pouvoir d’achat, de constituer un solide ferment intégrateur et d’être un exemple grosso modo réussi de vivre ensemble soixantenaire, pour s’embarquer de manière précipitée, épidermique, au mépris des règles, usages et meilleures pratiques, l’émotif à la Sékou Touré de Guinée-Conakry en prime, dans une aventure monétaire complexe impliquant plusieurs États plus instables les uns que les autres ? Il faut être décroché de tout souci de bonne gouvernance pour l’envisager : ce que ne feraient sans doute jamais les chinois, ces nouveaux courtisans effrontés de l’Afrique. C’est finalement laisser filer la proie pour l’ombre et préférer l’ivraie à la bonne graine. Les chinois particulièrement, comparaison n’étant certes pas raison à tous les points de vue, se gardent bien, en dépit d’un large consensus sur le sujet, d’être dans l’émotif contre le dollar-système qui les expose pourtant aux chantages politico-financiers des américains ; ils travaillent avec patience, organisation et méthode à contenir son hégémonie.
Une nouvelle monnaie pour les pays de l’Alliance du Liptako-Gourma ou Alliance des États du Sahel (AES), Burkina, Mali et Niger, est sous ce qui précède forcément cousue de passions, de zizanies latentes et totalement dépourvue de raison. Elle relève en outre d’un inqualifiable illettrisme.
En effet, contrairement à la croyance populaire, ces trois pays cités émettent déjà et depuis des décennies chacun leur propre monnaie nationale nonobstant leur appartenance à l’Umoa. Leur monnaie est seulement invisibilisée par les bonnes vieilles et opportunes règles de l’Umoa qui les dispensent de s’appeler franc malien, franc burkinabè, franc nigérien ou franc AES ou liptako ou gourma ou sahel ou n’importe quel nom d’oiseau ; ces dispositions en matière d’invisibilité sonore et visuelle laissent intact leur caractère national, sans retirer quoi que ce soit à leur identité sauf assurément la photo du Chef de l’État ou la mention ostentatoire du nom du pays émetteur.
À la vérité, les monnaies émises par la Bceao au Burkina, au Mali et au Niger, en substance des francs CFA, ne sont pas seulement nationales sur leur format. Sur le fond, elles sont mises en circulation selon des règles de territorialité comme le fut le Franc Malien avant sa réintégration dans l’Umoa. En clair, le Franc actuel du Mali actuel, invisibilisé sur son identité sonore par les règles de l’Umoa, n’est émis qu’au Mali et nulle part ailleurs, que par le Mali et en relation avec ce dont l’économie malienne a besoin en termes de moyen de paiement ; ce dont l’économie malienne a besoin en termes de moyen de paiement ou masse monétaire est intimement corrélé, selon le modèle de programmation utilisé par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), au produit intérieur brut ou PIB du Mali qui dépend à son tour de la qualité des politiques publiques (et des gouvernants) de ce pays.
À mots couverts, à politique économique médiocre, monnaie nationale médiocre et à politique économique vertueuse, monnaie nationale vertueuse que ce soit sous l’égide de l’Umoa ou de l’AES ou en dehors de ces regroupements. Ceci étant, à l’inverse d’un franc malien, burkinabè ou nigérien non membre de l’Umoa, tout franc CFA relevant des dispositions de l’Umoa est un appel permanent à gérer selon des règles harmonisées ou uniformisées éprouvées de vivre ensemble solidaire en matière de monnaie, crédit, change et taux d’intérêt – les politiques budgétaires farfelues ou vertueuses, enrobées ou exemptes de corruption, étant du ressort des pouvoirs publics nationaux comme si ces derniers n’étaient pas Parties au Traité de l’Umoa.
Des déficits d’assainissement du secteur réel et exigences de bonne gouvernance
Une nouvelle monnaie pour le Sahel, en remplacement émotionnel, obsessionnel et compulsif du Franc CFA, est une promesse malsaine et certaine de hausse d’impôt des pauvres, à la noble appellation d’inflation, de paupérisation des couches les plus vulnérables de la population via une réduction inéluctable du pouvoir d’achat, de dévoiement de réglementation des changes avec à la clé des doubles et fausses facturations à l’import-export, de dollarisation sauvage et à outrance, de pénuries de denrées de premières nécessités, de surendettement intérieur indu etc. ; ce sont, ni plus ni moins, une ultime détresse programmée pour les populations locales et un énième signe de mal-gouvernance. Cette nouvelle monnaie dit non avec la tête mais oui avec le cœur et dit oui à ce qu’elle aime et non à l’Umoa …, puis invite à lire ou à relire le magnifique poème de Jacques Prévert intitulé “Le cancre”.
Ce à quoi sont confrontés le Burkina, le Mali et le Niger, tout comme le Togo ou la Guinée-Bissau, ces autres derniers de la classe, ne relève qu’à la marge de problèmes d’appartenance à un vivre ensemble monétaire et solidaire comme l’Umoa ; il faudrait plutôt soupçonner en priorité un triomphe du clientélisme, de la courtisanerie et de la corruption des gouvernants, citoyens richissimes bourrés de deniers publics, invités en vain à concevoir et impulser une politique économique de qualité, notamment une politique budgétaire vertueuse, et à veiller à sa saine mise en œuvre dans l’intérêt général.
En étant dans l’incapacité de faire ses preuves au sein d’un vivre ensemble monétaire et solidaire, qui prouve au demeurant chaque jour qu’une croissance est possible dans la durée avec des taux parmi les plus élevés d’Afrique comme dans le cas du Sénégal et de la Côte d’Ivoire de ces dernières années, ce n’est pas en dehors d’un espace riche en ressources immatérielles comme l’Umoa que ce sera nécessairement plus aisé et sensé. In fine, il y a mieux et plus urgent à faire au Burkina, au Mali et au Niger que d’inonder la République d’enjeux monétaires de saison, factices ou en trompe-l’œil.
Vilévo DEVO
« TAMPA EXPRESS » parution 0049 du 10 janvier 2024