Une monnaie peut être qualifiée de nationale quand une territorialité est attachée à son processus d’émission (et non de fabrication) et accessoirement à son cours légal et libératoire ; elle appartient au pays émetteur et à lui seul dont elle représente une dette pérenne.
Les monnaies émises au sein de l’Union monétaire ouest africaine (Umoa) par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) ou francs de la Communauté Financière Africaine (Franc CFA) observent ces différents critères et ce qu’ils impliquent en matière de dette du pays émetteur. C’est aussi le cas en Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac) où sont mis en circulation par la Banque des États d’Afrique Centrale (Beac) les francs de la Coopération Financière en Afrique (Franc CFA).
Les lignes qui suivent abordent l’invisibilité du statut de monnaie nationale des signes monétaires en circulation dans l’Umoa et l’Umac (i), la territorialité des processus d’émission (ii) et ce qu’elle induit, les terminologies monnaie générique, nationale, unique et bien d’autres (iii) galvaudées par les politiques et les influenceurs et la pertinence du vivre ensemble monétaire et solidaire (iv) au sein notamment de l’Umoa.
Des monnaies nationales invisibilisées
Tenant compte notamment du critère de territorialité attaché à leur processus d’émission, les francs CFA sont des monnaies nationales, en substance une par État émetteur ; le pays émetteur est partiellement invisibilisé par les règles de l’Umoa et celles de l’Umac. Celles-ci dénationalisent, homogénéisent ou communautarisent, autant que faire se peut, ce qui est visuel et sonore sur un signe monétaire national sans être ni nécessaire ni recommandé : pour exemples, des portraits de Chef d’État en fonction ou de leader autoproclamé bien-aimé ou timonier, des dénominations et images clivantes pour un vivre ensemble apaisé entre États souverains, des affichages ostentatoires sur le pays émetteur etc.
En fait, le visuel (jolis dessins, belles calligraphies) et le sonore (belle appellation éco, euro, cedi, franc, dollar etc.) ont beau singulariser un signe monétaire, ils demeurent parfaitement accessoires voire inutiles en politique de la monnaie, du crédit, de taux d’intérêt et des changes. Ce ne sont ni les dénominations, qui du reste s’accommodent d’homonymies, ni les slogans, ni les enseignes, ni même les assimilations à des symboles de fierté nationale comme un drapeau qui font une monnaie saine dans une économie saine. Une monnaie est un outil de travail universel ; il faut savoir en user sans en abuser, sauf si elle se prénomme Dollar US, la seule monnaie adossée à une puissance économique, militaire, immatérielle et démocratique qui a les capacités de ne rien se refuser ou presque.
Ainsi donc, l’Umoa fait tourner ensemble et cohabiter en harmonie fragile, il faut le reconnaitre, huit (8) monnaies nationales qui s’autorisent entre elles discrétion, invisibilité de leur nationalité, mais traçabilité comptable, et ce qui suit : cours légal et libératoire sur le territoire de l’Umoa, convertibilité paritaire entre monnaies des États-parties, avoir et réserve de change pour tout État détenteur de franc CFA émis par un autre membre de l’Umoa et conséquemment dette à vue de l’État émetteur etc., soit trois caractéristiques fiduciaires fortes de vivre ensemble. Les monnaies de l’Umoa sont émises par une banque centrale unique et unitaire représentée dans les États-parties par une direction nationale au profil juridique de succursale.
Une territorialité de l’émission et de la création monétaire.
Chaque signe monétaire franc CFA a une et une seule nationalité d’origine, attachée à la territorialité du processus d’émission en amont auquel sont adossés en aval les concours, directs ou indirects, de la banque centrale aux établissements bancaires ou assimilés et au Trésor national. Par ailleurs, dans tout pays de l’Umoa et pour les nécessités de politique monétaire, la masse monétaire ou besoin en moyens de paiement est corrélée aux prévisions de produit intérieur brut (PIB) : ce qui renforce pour chaque franc CFA émis son statut de monnaie nationale. Bien évidemment, ceci est à distinguer des processus de prévisions budgétaires, de commande, de fabrication et de détention en comptabilité-matière de stocks de billets de banque neufs, prêts à l’emploi mais en attente d’émission, représentant à ce stade de simples bouts de papier joliment imprimés et transformés en ouvrages.
Il est ainsi possible de déterminer et il se détermine, pour chaque État partie, la base monétaire (monnaie de la banque centrale), la masse monétaire (monnaie des banques primaires ou moyens de paiement), la situation monétaire intégrée de la banque centrale et des banques commerciales, ainsi que les compte d’exploitation, bilan et compte de résultat de l’institution locale émettrice du franc CFA de l’État partie, comme d’usage dans les pays qui ne sont parties à aucun modèle de vivre ensemble monétaire à plusieurs tels que le Ghana ou le Nigéria etc.
Les monnaies de l’Umoa sont incontestablement nationales de jure comme de fait, y compris au Burkina, au Mali et au Niger de l’Alliance du Liptako-Gourma et au Togo, nostalgique du Président Sylvanus Olympio promoteur contrarié d’un franc togolais, pour ne citer que ces pays où justement le rêve d’une monnaie nationale ne s’imagine qu’en dehors d’un vivre ensemble organisé, intégrateur et solidaire comme ne semble jamais l’être la méconnue Umoa. Oui, les monnaies peuvent demeurer nationales de jure et de fait au sein d’une union monétaire de pays souverains ! L’Umoa en est un prototype soixantenaire.
L’Umoa et l’Umac sont surtout connues et mal connues pour leurs comptes d’opérations, objet de polémiques sans fin, ouverts au nom des États-parties par la Bceao et la Beac auprès du Trésor français, et la garantie de convertibilité illimitée du franc CFA, en franc français par le passé et aujourd’hui en euro, à un taux de change fixe. Elles sont par contre peu connues ou ne le sont pas du tout, s’agissant de leurs signes monétaires homonymes, homophones et homographes, dont les sigles, richement évocateurs, passent opportunément sous silence un statut de monnaies nationales pourtant bien réel. Leurs dispositions oblatives ou d’ordre prudentiel et leurs savoirs et avoirs pour un vivre ensemble monétaire, solidaire et apaisé sont par contre demeurés des sujets confidentiels.
Monnaie générique, monnaie nationale, monnaie unique
De la sorte, il n’y a pas dans l’Umoa, tout comme dans l’Umac, une unique monnaie mais plusieurs, nationales de surcroit ; en outre, il n’y a pas un stock de monnaie, ni une monnaie standard, ni une monnaie communautaire sui generis à l’usage des États-parties, ni une production de papier-monnaie estampillée Umoa ou Umac sortie de l’imprimerie de la Banque de France de Chamalières etc., utilitaire et répartie ensuite entre pays comme un patrimoine ou un butin ou des avoirs (intérieurs) …
Il existe par contre au sein de l’Umoa et de l’Umac une monnaie-cadre, au sens d’une loi-cadre, pouvant être qualifiée de générique qui fonde une grande famille de quatorze (14) monnaies nationales dont les grands corpus, auxquels est adossé tout signe monétaire, sont harmonisés ou uniformisés ou reposent sur des principes mutualistes selon les cas : organisation de la banque centrale, règles génératrices de l’émission et de la création monétaire, directives de politique monétaire, réglementation bancaire et prudentielle, réglementation des changes et politique des taux d’intérêt.
Bien souvent, les terminologies monnaie commune, monnaie communautaire, monnaie unique, monnaie indépendante et souveraine, monnaie nationale, monnaie régionale, monnaie internationale, monnaie de la Cedeao (éco), monnaie africaine, etc. sont tellement galvaudées et politisées que leur sens dépend des contextes dans lesquels elles sont employées, de la paralogie et des fantasmes dont elles découlent, des politiciens ou influenceurs qui les manipulent etc.
Eco, la monnaie de la Cedeao annoncée depuis quarante ans, se présente ainsi en monnaie unique, monnaie commune, monnaie communautaire, monnaie indépendante et souveraine etc., au rythme des discours notamment anti franc CFA ; ce qui en réalité signifie à-peu-près en termes opérationnels qu’elle sera émise adossée au PIB ou à un agrégat représentatif des économies globalisées de la Cedeao, considérée comme une entité unique, et par une Banque centrale dont les règles génératrices de l’émission écartent tout principe de subsidiarité ; si c’est ce dont il s’agit, alors la monnaie de la Cedeao ou Eco sera vraiment à tout le moins unique, originale, commune et fondamentalement différente de celles de l’Umoa et des francs CFA. En effet, les francs CFA sont émis en lien avec le PIB de chaque État partie selon des règles génératrices uniformisées mais territoriales pour disposer d’autant de monnaies nationales que d’États-parties. La Cedeao n’en sera pas à un imbroglio près avec son projet polémique de monnaie unique noyé depuis quatre décennies dans du charabia de politiciens sans scrupules et d’influenceurs de réseaux sociaux malveillants.
Des monnaies nationales, de pays qui ne sont formellement parties d’aucun vivre ensemble monétaire organisé, il se dit aussi avec conviction qu’elles sont indépendantes et souveraines comme le seraient l’ouguiya de Mauritanie, le dalasi de Gambie, le cedi du Ghana, le naira du Nigéria, le franc congolais de RDC anciennement zaïre-monnaie etc. ; ceci s’entend de jure et non de fait. De facto en effet, ces quelques monnaies africaines citées en exemples ne sont pas plus nationales ou nationalistes, plus indépendantes ou souveraines que les monnaies émises par les États-parties à l’Umoa ou à l’Umac, en dehors de leurs présentations visuelles et sonores explicitement centrées sur le pays émetteur et de la propension de leurs décideurs politiques à abuser de la création monétaire via le financement monétaire de déficits budgétaires indus.
Dans les pays ne faisant partie d’aucune communauté monétaire formalisée, l’indépendance et la souveraineté monétaires se résument généralement à des pratiques inflationnistes qui érodent le pouvoir d’achat des plus démunis, participent à un élargissement de la pauvreté et relèvent d’une escroquerie monétaire des tenants du pouvoir d’État ; ceux-ci n’hésitent pas à procéder à des démonétisations politiques abusives, conséquences de l’effondrement des pouvoirs d’achat et de la monnaie nationale pour cause de mauvaise gestion de la création monétaire et de dévoiement de la réglementation locale des changes etc. Il n’est pas rare qu’au détour d’un changement de régime, des Chefs d’État, des ministres des finances et gouverneurs de banque centrale de ces pays, très riches pour la plupart, soient accusés, recherchés ou poursuivis devant les tribunaux pour corruption financière ou pour trafics en tous genres dont de devises.
Quitter le vivre ensemble de l’Umoa, une décision de mal gouvernance.
Y entrer, une bonne décision.
De ce qui précède et dans un pays qui n’est pas partie à un vivre ensemble monétaire à plusieurs États souverains, ni même partie à un système simplifié de paiement inter-États, ni dirigé de manière responsable, les tenants du pouvoir d’État sont, dans l’absolu, totalement libres de faire ce qu’ils veulent. Sauf dans de rares cas, ils pervertissent la monnaie nationale, qui devient politiquement malléable et corvéable, transforment le gouverneur de la banque centrale en courtisan et décrédibilisent sa fonction, vivent de Dollar US plutôt que de monnaie nationale, puis s’accommodent d’une réglementation et de taux de changes assassins des finances publiques.
Au total, sans discipline budgétaire, ni discipline monétaire comme souvent le cas dans les pays non-parties à un vivre ensemble monétaire, le marché va réprimer la mal gouvernance budgétaire et monétaire par une hausse des prix difficile à maitriser, une permanence des situations de pénurie, une détresse du pouvoir d’achat doublée d’une inégalité dans la répartition du revenu national, une poussée de la pauvreté et parfois, châtier tout un pays par l’effondrement voire carrément la disparition de la monnaie nationale comme récemment au Zimbabwe etc.
Sortir du vivre ensemble de l’Umoa au seul motif de vouloir disposer d’une monnaie nationale ne peut en définitive être motivé de nos jours que par des raisons politiques foireuses, sachant que chaque État partie émet au sein de l’Union, en dépit des apparences, sa monnaie et y met en oeuvre une politique monétaire qui reflète la qualité (ou la médiocrité) de sa politique économique. Il faut surtout que les dirigeants, enchantés par une telle perspective, apportent la preuve qu’une fois hors du vivre ensemble monétaire, ils sont capables de rigueur, d’éthique et de compétence au plan budgétaire, fiscal et macroéconomique.
In fine, les problématiques majeures irrésolues de l’Umoa n’ont rien à voir avec les modes opératoires des monnaies nationales, qui y ont cours légal et libératoire, ni avec les processus qui les fondent. Elles sont liées aux politiques publiques et singulièrement budgétaires et fiscales qui ne sont malheureusement pas toujours à niveau dans les États-parties handicapés bien trop souvent par la corruption, la gabegie, les coups d’État militaires ou assimilés et la permanence de Chefs d’État improductifs.
Vilévo DEVO
« TAMPA EXPRESS » parution 0050 du 24 janvier 2024